25 septembre 1993, Les Lucs-sur-Boulogne
par Dominique Souchet
Comment commémorer plus dignement qu’il n’a été fait à ce jour le centenaire du grand Soljenitsyne ? Et comment évoquer en même temps l’écrasement de la Vendée par la fureur révolutionnaire autrement que par les indignations faciles et les formules toutes faites cent fois répétées ? Le superbe récit des relations entre Alexandre Soljenitsyne et la Vendée de Dominique Souchet que le dernier numéro de la Nouvelle Revue Universelle vient de publier répond à ce souci de façon passionnante. On a là un récit précis mais aussi une réflexion à l’altitude qui convient pour évoquer en les reliant Alexandre Soljenitsyne, la révolution russe et le massacre de la Vendée. L’horreur révolutionnaire en soi-même d’un siècle l’autre. Du XVIIIe au XXe. Nous avons entrepris dimanche dernier la publication de ce récit qui s’étendra aux jours suivants. En remerciant Dominique Souchet et la N.R.U. de nous l’avoir donné. LFAR
Le récit
« NOUS N’AVONS TROUVÉ PERSONNE… »
Moscou, monastère Donskoï, 6 août 2008. Il est 9 heures. Alexandre Soljenitsyne est mort il y a trois jours. Il a choisi d’être inhumé dans ce haut-lieu de l’histoire russe où les restes du général des armées blanches Anton Denikine et du philosophe Ivan Iline, expulsé d’Union Soviétique comme le fut Soljenitsyne, ont été transférés en 2005. Ce site porte les stigmates de l’impitoyable lutte antireligieuse menée par le régime bolchevik. Le dernier patriarche de la Russie impériale, Tikhon, y fut détenu jusqu’à sa mort. La splendide cathédrale a été érigée par le fils d’Ivan le Terrible pour remercier de ses protections la Vierge du Don, et pour honorer sa vénérable icône, de la main même de Théophane le Grec (XIVe siècle). Elle fut, un temps, subvertie en musée à la gloire de l’athéisme. Dans les années Brejnev, je l’ai visitée, dénaturée en musée d’architecture.
Elle a, depuis, retrouvé sa vocation et sa beauté. C’est elle qui accueille, en cette journée orageuse au cœur de l’été, la dépouille de l’auteur de L’archipel du Goulag. Dimitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, a interrompu ses congés d’été pour être présent aux obsèques.
La famille, avec laquelle nous avions gardé des liens étroits depuis le voyage en Vendée, nous a invités, Philippe de Villiers et moi, à nous y rendre. Naturellement, nous prévenons notre ambassadeur à Moscou que nous serons auprès de lui pour cette cérémonie. Nous apprenons qu’il est en vacances et ne prévoit pas de rentrer. Nous interrogeons le jeune et sympathique chargé d’affaires, qui fera tout ce qu’il pourra. Mais quand nous lui demandons quelles personnalités représenteront le gouvernement et les milieux culturels français, il répond : « Nous n’avons trouvé personne. — Comment cela… personne ? — Non, personne : il y a ceux qui ne veulent pas interrompre leurs vacances, et ceux qui font leurs bagages pour Pékin. — Pékin ? — Oui, pour parader au cœur de la Chine communiste, grande ordonnatrice des Jeux olympiques : il faut y être pour la grandiose cérémonie d’ouverture… C’est donc vous, les députés de la Vendée, qui représenterez la France, et je vous accompagnerai. »
Dans ses Mémoires, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Philippe de Villiers a décrit avec précision cette séquence historique. Il y voit une illustration topique de la futilité d’une élite occidentale amnésique, se voulant sans dette ni devoir, obsédée de loisirs et toujours prête à la connivence avec le pire.
Pour venir exprimer la reconnaissance infinie due à celui qui a délivré non seulement la Russie, mais le monde entier du vénéneux « charme d’Octobre », nous n’avons trouvé personne.
Au pays qui sut accueillir les dissidents, et eut l’honneur de publier L’archipel du Goulag dans son édition originale russe, nous n’avons trouvé personne.
Dans les autres pays d’Europe non plus, ni aux États-Unis, qui eurent pourtant l’honneur d’accueillir chez eux pendant vingt ans, à Cavendish, le laboratoire de la vérité sur le totalitarisme, nous n’avons trouvé personne.
S’appliquait ainsi à son propre destin ce que Soljenitsyne, dans son discours de Harvard, avait dénoncé comme l’un des traits dominants de l’Occident actuel : la superficialité, la frivolité, la futilité.
À l’Académie des sciences, lors du repas de funérailles qui suivit l’enterrement, la veuve de Soljenitsyne demanda à Philippe de Villiers d’évoquer, au nom de la France et de la Vendée, la mémoire du Maître. Après tous les éloges prononcés en russe, on entendit alors le Vendéen exprimer en français, aussitôt traduit par Nikita Struve, la dette immense de notre pays envers celui qui avait, sans crainte, osé mettre à nu la genèse des totalitarismes. Il dit son espoir que l’on ferait lire Soljenitsyne aux jeunes élèves français, en particulier le discours d’Harvard. Il exprima le souhait que l’on donnât le nom d’Alexandre Soljenitsyne à de nombreuses rues, places ou écoles, comme la Vendée venait de le faire pour le plus moderne de ses collèges, inauguré par son fils Ignat Soljenitsyne. Il manifesta enfin la profonde gratitude de la Vendée envers celui qui avait révélé le lien entre la « Roue rouge », persécutrice de la Russie, et les colonnes infernales qui ont martyrisé la Vendée, et envers l’homme qui avait lancé, en ouvrant son discours des Lucs : « Jamais je n’aurais pu imaginer, fût-ce en rêve, que j’aurais l’honneur d’inaugurer le Mémorial de votre héroïque Vendée ! »
Alors, ce Mémorial des Lucs-sur-Boulogne, allez le voir, pour y méditer, pour y chercher l’inspiration !
Allez-y pour retrouver la présence, toujours palpable, de celui qui lui a conféré sa dimension universelle !
Allez-y pour retrouver la présence spirituelle de cet ami incomparable de la Vendée, Alexandre Soljenitsyne ! ■ [FIN]
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Je joins mon remerciement à celui qui précède. On ne trouve guère d’équivalent ailleurs qu’ici. En tout cas pas sur les débiles réseaux sociaux. Merci.