Par Xavier Raufer
« Sujet stratégique, à la rentrée ! » écrit Xavier Raufer en présentant cette intéressante réflexion sur les véritables et immenses problèmes de la France en matière de sécurité. [Boulevard Voltaire, 20.07]. Ce n’est pas que dans l’affaire Benalla, Emmanuel Macron fuirait ses responsabilités, feindrait d’ignorer les faits, comme le colportent à contre-temps des images inconséquentes traînant sur des réseaux sociaux politiquement incompétents ; ce qui inquiète Xavier Raufer, c’est cette grave ignorance de ce qu’est la sécurité, cet amateurisme d’État, que révèle cette affaire, en cette matière cruciale, et c’est la faiblesse des équipes et des hommes, en charge du gouvernement du pays. En l’occurrence, de sa sécurité. LFAR
Grave, car symptomatique : l’affaire de l’élyséenne mouche du coche Benalla trahit une grave ignorance de ce qu’est la sécurité ; de comment on l’obtient et la maintient, par une cruciale sélection des hommes et prévision de toute chausse-trape possible.
Or, là, choisissant d’abord, laissant batifoler ensuite, un zigoto qui est clairement à la sécurité ce que M. Hanouna est à France Culture, la présidence Macron a tout faux.
Côté terrorisme, le quinquennat Macron avait cependant pas mal commencé. Un Président saisissant vite et bien les enjeux, un appareil resserré et proactif. D’où plus de détection de terroristes avant l’acte. Rassurés, nos partenaires internationaux en sécurité voyaient la France sortie de l’impuissance de la triade Hollande-Taubira-Cazeneuve.
Restait la sécurité intérieure, ni M. Collomb ni Mme Belloubet n’étant exactement de ces cruciaux généraux de terrain qui optimisent le plan du chef dans la bataille, tel Lannes et sa géniale progression en échelle à Austerlitz. Mais bon, avis général favorable.
Avis décisif, insistons, car à l’ère des chocs stratégiques brutaux, le champ terreur-crime-fraudes-trafics est affaire d’échanges rapides et pointus, entre gens de confiance. Or, début juillet – avant même l’épisode Benalla -, une rafale de loupés judiciaires et policiers replonge la France dans les affres sécuritaires de l’ère Mitterrand-Hollande.
L’évasion de Redoine Faïd. Toute la France savait que Faïd s’évaderait. Du neuf-trois au plateau de Creil, les caïds attendaient qu’il « s’arrache ». Les avocats – défense, partie civile – vivaient dans cette hantise. Les gardiens de prison bombardaient leurs supérieurs de fébriles alertes… Faïd va s’évader ! Or, « trop facilement », disent des experts, Faïd s’évade. Nouvelle si dingue que, quand un gardien prévient – sur son portable à lui – le commissaire du coin, celui-ci croit à une blague !
Partout au monde, un ministre ou directeur coupable du désastre était viré illico. Car tous auraient dû savoir – mais ignoraient – qu’un « gros » braqueur n’est pas un truand anodin. Il marche à 100 % à l’adrénaline. Braquage, évasion l’enivrent plus que la meilleure cocaïne. Pour and co., une sensation si intense qu’ils la recherchent à tout prix. Ainsi, renvoyer aux calendes son transfert de prison est une incroyable ânerie, à sanctionner brutalement ; car, symptôme d’un désordre grave de l’État, une telle évasion humilie durablement le pays en cause. Là, Mme Belloubet, hagarde Georgina Dufoix, nous rejoue vingt-sept ans après « responsable mais pas coupable ».
Ajoutons-y une police épuisée et dépressive, des policiers lynchés partout en France, devant l’école de leurs enfants, chez eux ou au supermarché, par des voyous ivres d’impunité, prenant les « keufs » pour des « bouffons ».
Pire : Nantes embrasé après la mort, non d’un gamin innocent, mais d’un truand recherché pour « vol en bande organisée », la Justice et le Premier ministre donnant le pénible sentiment qu’ils s’excusent d’exister et sacrifient un flic de base.
Moscou, Washington et Pékin, via Londres et Bruxelles : réaction des pros de la sécurité, Macron frime à l’étranger mais, chez lui, il n’y arrive pas. De fait, dans la France de l’été 2018, police et Justice sont à la dérive :
Police : un ministre de l’Intérieur fatigué et un ministère rigide, incapables de vraies réformes face aux défis nouveaux – tels que concevoir une doctrine et une pratique pour les hybrides terreur-crime, problème majeur de demain.
Justice : nul parquet spécifique ne traite ensemble – car le réel est là – terrorisme et crime organisé ; nulle coordination nationale des JIRS (juridictions inter-régionales spécialisées), cruciales juridictions traquant chacune dans son coin le crime organisé, celle de Marseille coupée de celle de Lille, etc.
Ainsi émerge l’avenir du quinquennat Macron : la première marche, SNCF-CGT, quasi franchie ; la seconde, des dispositifs sociaux (le « pognon de dingue ») plus ardue. La troisième à présent inaccessible : la sécurité intérieure, domaine où la coordination serrée du renseignement et de la lutte antiterroriste à l’Élysée ne suffit pas.
Car la France a un seul problème criminel – énorme : ces quartiers hors contrôle qui s’embrasent quand on touche à un voyou, demain à un hybride-terroriste ; quartiers où déferle la cocaïne qui inonde la France ; quartiers d’où sont issus l’évadé Redouane Faïd et Redouane Lakdim, l’assassin du colonel Beltrame. Quartiers où, depuis un-demi siècle, une « politique de la ville » mi-Bisounours mi-corruption enracine le crime, la terreur et les trafics. Quartiers où la République a disparu – et ne semble pas près de revenir – puisqu’au lieu du mirifique plan Borloo, rien de sérieux n’est énoncé.
Voici la troisième marche du Président Macron – une reconquête, plutôt. Tâche exténuante dont M. Collomb et Mme Belloubet sont incapables. Mais qui d’autre ? Car M. Macron est le Président le plus isolé de la Ve République. Et vouloir tirer un Davout, un Soult ou un Ney de la pitoyable République en marche est une blague – pour le coup, une vraie. ■
Docteur en géopolitique et criminologue.
Il enseigne dans les universités Panthéon-Assas (Paris II), George Mason (Washington DC) et Université de Sciences politiques et de droit (Pékin)