Par François Reloujac
Economie. En France, des technocrates néo-libéraux se sont emparés de l’État jacobin. D’où des mixtures auxquelles les Français ont du mal à s’adapter.
L’ actualité sociale des dernières semaines a mis sur le devant de la scène, à côté des agents de la Fonction publique, des entreprises nationales telles que la SNCF et Air France. Or, ce qui est à l’origine de cette célébrité médiatique, ce ne sont ni les performances économiques et financières, ni les innovations technologiques, ni la qualité exceptionnelle de leurs services, mais leur persévérance dans la grève. Au-delà des revendications immédiates à propos desquelles chacun peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide selon son humeur ou son intérêt personnel, ces événements devraient nous amener à réfléchir sur quelques aspects fondamentaux de notre système économique et social actuel.
Des décisions qui ne rencontrent aucun soutien populaire
À première vue, il semblerait que les causes des deux principaux mouvements sociaux n’ont pas grand-chose en commun. Le premier se présente comme une réponse à un texte législatif qui vise à « réformer » une institution que les élites perçoivent comme obsolète, alors que le second vise à « conserver », et même accentuer, les acquis sociaux obtenus par une catégorie de personnels perçus comme des privilégiés. Et pourtant, ils ont bien en commun quelque chose qui dépasse ces intérêts immédiats. Ces deux conflits résultent de décisions – bonnes ou mauvaises, là n’est pas la question – prises sous la pression d’instances administratives supranationales qui n’ont aucune légitimité et qui, par le biais du dogme de la libre concurrence – libre circulation des biens, des services, des hommes et des capitaux – remettent en cause des systèmes qui fonctionnent mais qui sont onéreux. Pour faire simple, force est de constater que les choix édictés par Bruxelles n’ont d’autre finalité que de faire apparaître comme moins onéreux certains trajets – en fait ceux qui correspondent aux « besoins » des entreprises multinationales – sans se préoccuper réellement ni des nécessités liées à l’aménagement du territoire, ni des coûts cachés discrètement mis à la charge des contribuables, ni du fait qu’en exacerbant les aspirations égoïstes des individus regroupés en catégories uniquement identifiés par une convergence d’intérêts immédiats, ils détruisent la société. Il ne faut pas s’étonner du fait que ces « réformes » n’emportent pas d’adhésion populaire mais en même temps que les actions menées contre elles par ceux qui apparaissent alors aux yeux de tous comme des privilégiés, ne soient pas non plus vues positivement. Et ce n’est pas la propagande gouvernementale abusivement appelée « pédagogie » qui y changera quoi que ce soit, à terme. Si elle permet de calmer le jeu pendant un certain temps, elle générera des frustrations supplémentaires qui viendront grossir les mécontentements.
Le service public contre le service du public
Dans ces deux conflits, les grévistes expliquent qu’ils défendent le « service public », mais pour cela, ils prennent en otage ledit public. Que recouvre en fait cette notion de « service public » ? Normalement ce devrait être un service indispensable au bon fonctionnement de la société et qui, de ce fait, devrait pouvoir être assuré en toutes circonstances et auquel tous les citoyens devraient pouvoir avoir recours autant que de besoin. Un service public devrait être un « lien social », une forme d’expression de la solidarité entre les diverses composantes de la société. Dans un monde où les intérêts financiers communs à certains individus ont remplacé les relations entre les personnes comme agents de cohésion, le « service public » se dégrade. Il n’est même plus, ni ce que l’Union européenne considère comme un « service essentiel », ni ce que l’Organisation mondiale du commerce regarde comme un « service d’intérêt économique général ». Il est simplement devenu un secteur économique soutenu par des fonds publics en cas de difficultés, que celles-ci soient inhérentes au fonctionnement de l’entreprise ou qu’elles résultent de choix politiques qui leur sont imposés. Un « service public » est donc devenu aujourd’hui un secteur économique qui peut se permettre de ne pas être rentable, car il sera renfloué par l’argent des contribuables – qui, eux, sont de moins en moins nombreux !
Lors de sa réception du prix Charlemagne, le président Macron a déploré qu’en France on ait « une préférence pour la dépense publique plutôt que pour la norme », comme l’auraient les Allemands. Les Allemands, toujours la norme idéale de l’Europe ! Affirmant que sa politique avait pour but de « bousculer les fétiches », il laissait donc entendre qu’il voulait donner plus d’ampleur aux normes. Comme jusqu’à présent, quoiqu’en dise la « pédagogie » gouvernementale, la dépense publique n’a pas pris le chemin de la baisse, les Français vont pouvoir bénéficier à la fois de plus de dépenses publiques et de plus de normes. Est-ce cela le « changement » attendu ?
La concurrence contre les privilèges
Mais ces deux conflits révèlent aussi un autre aspect de l’évolution actuelle de nos sociétés. La « pédagogie » officielle explique que la libre concurrence est un facteur de progrès ; qu’elle permet d’offrir au consommateur plus de services, de meilleurs services, une plus grande qualité, tout cela au moindre coût. Mais dans un monde où seul l’intérêt financier compte, il est plus important de faire apparaître un meilleur coût, facilement mesurable, qu’une plus grande qualité, plus difficile à percevoir, surtout lors des achats impulsifs et compulsifs. Il en résulte que la concurrence a pour but premier de faire baisser les prix, quitte à chercher à masquer derrière une présentation attrayante les différences de qualité. Dans une société où plus personne ne cherche à servir mais où tout le monde cherche à vendre, la concurrence est en fait devenue un outil majeur pour lutter contre les « avantages acquis », pour détruire tous les privilèges, que ceux-ci soient légitimes ou non. En se mettant en grève pour défendre les « spécificités à la française », les cheminots comme les pilotes d’avion sont acculés à défendre leurs privilèges. Il faut bien s’entendre : malgré la propagande égalitaire développée par une démocratie individualiste, les privilèges ne sont pas, en soi, de mauvaises choses. Ce qui est mauvais c’est de les laisser se scléroser et de ne proposer pour remédier à cet abâtardissement que de les supprimer. Pour parler clairement, ce qui est choquant, ce n’est pas que les cheminots bénéficient d’un statut particulier mais que tous les éléments de ce statut ne paraissent plus justifiés.
En vérité, ce qui est choquant dans ces conflits ce n’est pas de savoir si ces entreprises doivent ou non être détenues, en tout ou en partie, par l’État, mais de voir que malgré leur rôle essentiel au service du bien commun, ils puissent s’arrêter et mettre en péril des quantités d’activités exercées honnêtement par d’autres membres de la communauté nationale. Peut-être, faudrait-il rappeler aux grévistes le discours du pape Pie XII, le 21 octobre 1948 : « Si la grève est un droit inscrit dans la Constitution, auquel certaines catégories de travailleurs se sont trouvées dans la nécessité de recourir à la suite du déséquilibre entre les salaires et les prix, il n’est pas permis de l’employer à des fins politiques, ni d’en user de telle sorte qu’elle finisse par léser la nation elle-même et par porter atteinte à l’autorité de l’État ». Tout est dit. ■
Ce sont les rois de France qui ont inventé les agents de service public, les architectes du roi etc L’erreur commise qui est d’actualité est de s’en prendre à l’agent dit public, le fonctionnaire nanti, alors qu’il faudrait se poser la question de la « politique » d’avenir » qui n’est pas défini par aucun de nos élus . Un pont s’écroule, il y a eu en France des ingénieurs et des agents de contrôle, pour que les ouvrages soient offert au public en toute sécurité; et demain?. L’entreprise qui construit n’a pas la notion de la sécurité du public, elle est là pour construire au meilleur prix. Ceci vaut pour l a SNCF,l’état républicain a tout fait pour réduire le service au public, et l’individu lamda pense que demain nous voyagerons gratis et en toute sécurité dans des trains étrangers. Il faut des agents au service du public, qui leur apportent la sécurité des ouvrages, et des services, mais pour cela il faut un état qui sache ou il va nous amener. Faire battre le privé contre le public démontre un manque de vision de la société t’elle que nous l’avions envisagée, mais demain nous allons avec nos élus féménisés devenir des soumis a cette civilisation qui n’a jamais construit quoi que ce soit. Alors inutile de débattre du privé ou du public, rendons nous de suite à la Mos..
La grève, sans doute une exception culturelle française, sauf que de plus en plus la France est évitée à cause de cette mauvaise réputation
Merci à François Relouac de son analyse pertinente. oui, les syndicats avec leur culture de grève folle ont tué le service public, notamment à la SNCF où il y a encore trente ans les agents mettaient un point d’honneur à faire circuler. les trains. il n’y avait pas autant de pannes. Que l’on en profite en haut lieu pour l’achever , lui ôtant tant tout son sens, montre bien que sans Etat véritable, non jacobin ! il est impossible de repenser la notion de service de public, qui est un legs d e l’histoire et qui préexistait à la funeste révolution. Il supposait une notion de service et un État qui le reconnaisse implicitement et explicitement. Les « hussards noirs se la république sont aujourd’hui morts justement de ceux qui ont tué sauvagement des fonctionnaires dévoués à l’Etat en 89. Cela a pris cent ans à peu près. Péguy a cru naïvement pouvoir transcender la république par ce qui la précédait, sans voir que le ver était dans le fruit. Nous avons vécu sur des valeurs traditionnelles, qui se sont épuisées, tuées par le le régime et abandonnées à un libéralisme sans état d’âme. Il y a des libéraux qui comme Pierre Manent qui ont le souci du bien commun et du travail constructif et des non libéraux , qui gardent cette nostalgie. Finalement les analyses de Michéa confirment la cruauté de celles de Balzac. Seul un autre régime pourra fédérer ces bonnes volontés. Il se fait tard . A nous de réagir encore et encore!
Il est certes légitime de défendre un service public mais il ne faut pas oublier que celui-ci peut très mal faire son travail. Nous en avons la preuve avec l’école publique qui depuis une quarantaine d’années à la suite de réformes dues à des idéologues fanatiques de l’égalitarisme, manque à tous ses devoirs et produits des générations de semi-analphabètes qui ensuite viennent engorger les universités qui n’ont d’ailleurs plus d’universités que le nom. Le service public hospitalier peut être parfois fort défaillant, et ne parlons pas de la Poste où les tarifs augmentent à proportion que la qualité des acheminements se dégrade. Oui aux services publics mais il faudra tout de même bien poser un jour la question de l’hypertrophie de l’État moderne, ce monstre bureaucratique, avec ses 5,7 millions de fonctionnaires sur les 29 millions d’actifs que compte notre pays. Certains penseurs comme la philosophe Chantal Delsol, se tournent vers le principe de subsidiarité. Comment ne pas souhaiter l’allègement du plus froid de tous les monstres froids, héritier du centralisme jacobin ? Les solutions ne sont certes pas évidentes, comme pour tous les problèmes qui touchent notre pauvre vieux pays, mais est-ce une raison pour continuer à applaudir aux recettes de cette ineffable gauche qui pense que tout se résoudra si on nomme de nouveaux fonctionnaires, encore plus de fonctionnaires ? Sans parler de la » culture de la grève » où 200 syndicalistes sont prêts à paralyser un pays pour demander une augmentation de deux centimes.
On ne peut que souscrire à la pertinence de cet article de M.François Reloujac.
Merci de cette série de commentaires de grande qualité. On se forme sur LFAR.