Le littoral touristique entre Rabat et Casablanca
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il travaille depuis 2005 pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc et ailleurs, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
EXTRAITS DU JOURNAL MAROCAIN 2018 INÉDIT DE PÉRONCEL-HUGOZ
21 mars 2018, sur la côte atlantique et en Chaouïa
Le littoral atlantique entre Moha et Rabat, encore presque intact il y a 10 ou 12 ans, à part quelques ruines de fermes coloniales et quelques maisonnettes de fellahs, est à présent presque entièrement urbanisé, à coups de barres en béton, baptisées « résidences balnéaires » avec d’absurdes noms plus ou moins anglo-américains : Blue Beach, Paradise Beach, Atlantis, San Diego Plage, Eden Island, Badria Golf Beach, Rico Flores Beach, Moonshine, Happy Beach, Bella Vista, Puerto, Andalousia, Magic House, etc, où viennent l’été les nouvelles moyennes bourgeoisies de Casa ou Rabat, plus quelques touristes bas de gamme germaniques ou scandinaves. Une horreur. Les derniers troupeaux de moutons paissent entre « résidences » et chantiers. Les tortues, lapins, perdrix, grues, sangliers que j’ai vus là encore jusqu’en 2010 ont disparu ou sont partis. Les particuliers viennent jeter leurs décombres et gravats, la nuit, dans les derniers espaces encore plus ou moins plantés de pins, lentiques, mimosas (sans odeur contrairement à ceux de Menton ou Hyères) ou eucalyptus. Un « écomassacre » dans le silence absolu de la presse et des autorités marocaines. Ah ! faire sortir journalistes et excellences de leurs bureaux climatisés de Casa ou Rabat !…
Je pousse donc un peu plus loin dans l’intérieur de la vaste plaine de la Chaouïa vers Ben-Slimane (le Camp-Boulhaut du Protectorat) et je m’enfonce dans le maquis encore apparemment intact, entre vignobles, champs de blé et un ancien aérodrome militaire états-unien modernisé sous ce règne en « aéroport d’affaires ». Je prends un petit chemin de terre rouge parmi lys des sables en fleurs, lentisques, pois de senteur grimpants, soucis jaunes ou oranges. Je lève un couple de perdrix. Mais bientôt je tombe sur des dépôts de bouteilles vides, de canettes cabossées, de gros morceaux de mousse plastique et surtout, horresco referens, sur tout un réseau de petites routes goudronnées fraîchement tracées et souvent finissant en cul-de-sac. Est-ce un de ces chantiers bidon lancés pour faire travailler l’entreprise de tel politicien ou tel industriel au bras long, dont parlent parfois les auto-stoppeurs paysans du cru qu’on dépanne sur quelques kilomètres ? Quel dommage que la prodigieuse nature marocaine soit si mal aimée – oh ! je sais il y a des exceptions mais elles ne sont ni agissantes ni puissantes – par l’élite de ce beau pays ! ■
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