Par Xavier Raufer
Le concept de tueurs en séries « serial-killers » tel qu’on le connaît actuellement vient des Etats-Unis. Pourquoi ce pays a-t-il connu une telle flambée de tueurs en série ?
Ce concept vient des Etats-Unis – et pour cause, car ce phénomène affecte et ne peut affecter qu’un pays-continent, immense et aussi morcelé (50 États…) que désorganisé (pourvoir central « fédéral » faible en interne). Les États des États-Unis sont très jaloux de leurs droits – dont le pénal fait partie. Tout existe en matière de police et de justice dans la fédération américaine, du plus répressif au plus laxiste. Et des lois fort différentes. Plus d’innombrables forces de police. Chaque année, le FBI, police fédérale, publie I’Uniform Crime Report, qui donne les statistiques criminelles nationales des Etats-Unis : les données lui proviennent de plus de 14 000 polices diverses !
Jusque vers 2000, divaguer d’Etat en Etat et y assassiner qui on voulait était enfantin. Car l’individu américain voyage à son gré dans tout le pays, mais la police urbaine s’arrête aux city limits et la police, disons, du Kansas, stoppe net à la frontière du Missouri – d’autant plus que ces deux États se haïssent depuis la Guerre de sécession.
Ainsi, un rodeur pouvait trucider cent personnes dans l’Amérique profonde avant d’être repéré et – parfois – arrêté. Notons aussi les plus de 40 (à ce jour) tueurs en série jamais identifiés, désignés par un sobriquet, genre Boston strangler, Zodiac killer, etc.
Quant au pouvoir central-fédéral faible, songez qu’il a fallu le choc des attentats du 11 septembre 2001 pour qu’on crée à Washington un ministère de l’Intérieur à l’européenne, Homeland Security. De 1800 à 2000, n’existait dans la capitale américaine qu’un Department of the Interior, gérant les parcs nationaux et les réserves indiennes…
Preuve de l’importance du maillage policier : le Canada est un peu plus grand que les États-Unis mais n’a qu’un nombre de tueurs en série « à l’européenne », dû à l’efficace maillage de la Royal Canadian Mounted Police (RCMP). A un cas près, ces tueurs en série canadiens sont arrêtés après quatre-cinq homicides, d’usage moins de dix, comme en Europe.
Une situation à l’américaine est bien sûr impossible dans les États-nations européens, au maillage de police-gendarmerie bien plus resserré et réactif. Un tueur en série américain, c’est 40 à 100 victimes, et son homologue européen, dix ou moins. Peut être y a-t-il des tueurs en série aussi prolifiques dans d’autres pays-continents type Russie ou Chine – mais là, la censure veille. Et dans l’Inde au désordre pire encore, hormis les familles, nul ne doit s’en inquiéter la plupart du temps – voire, s’en apercevoir.
L’article de la BBC pointe du doigt un fort pic du nombre de tueurs en série dans les années 80. Quel contexte a pu favoriser cette « épidémie » ?
Ca correspond à un nomadisme accru à l’intérieur des Etats-Unis (boom économique… bougeotte des Hippies après le triomphe de Sur la route de Jack Kerouac…) sans accroissement comparable de la police fédérale. Songez qu’aujourd’hui encore, le FBI ne compte que 36 000 personnels, du big boss au dernier balayeur, pour une population de 326 millions d’habitants, un policier fédéral pour plus de 9 000 américains. En France, à la louche, c’est un policier (police nationale) pour 450 habitants.
Avec une Amérique alors chaotique (agitation des droits civiques… émeutes des ghettos… manifestations anti-guerre du Vietnam… Terrorisme interne du Weather Underground (sorte de Brigades rouges locales) ou de la Symbionese Liberation Army; sans oublier les Black Panthers. Ajoutons-y l’explosion criminelle du début de la décennie 80, due au crack (cocaïne-base à fumer-inhaler) où des centaines de gangs s’entretuaient pour contrôler les territoires stratégiques du nouveau deal. De 1984 à 1991, les homicides connus aux Etats-Unis bondissent d’à peu près 8/100 000 à 10/100 000. Ainsi, la police avait d’autres chats à fouetter que de traquer d’évanescents tueurs en série.
Le cas de la France est-il comparable ? Les tueurs « français » sont-ils les mêmes que les Américains ?
Chaque tueur en série a son délire, ses caractéristiques – mais a en commun avec l’ensemble des criminels de ne s’arrêter que quand on l’arrête. Si vous laissez courir un tueur en série, il tuera tant et plus – ceux qui s’arrétent spontanément sont rares. Comme déjà dit, les Etats-nations européens unitaires et quadrillés par une police efficace comptent peu de tueurs en série. Exception l’Allemagne dont le système fédéral fragile laisse passer nombre de tueurs en série (en gros, le double de la France) et d’ailleurs de mafieux. Mais la mafia, c’est une autre histoire… ■