L’héritage de Johnny Hallyday
La semaine dernière, Christophe Castaner déclarait vouloir lancer une réflexion sur les droits de succession. Une prise de position qui ne surprend pas le juriste et essayiste Frédéric Rouvillois, auteur du Dictionnaire du conservatisme. Selon lui, le principe le transmission et d’héritage est remis en cause pour des raisons idéologiques (Boulevard Voltaire.22.09)
Christophe Castaner voudrait s’attaquer au principe d’héritier et aux lois de succession. On a l’impression que ce gouvernement n’aime pas beaucoup ce qui a trait aux héritiers. Selon eux, l’héritier serait synonyme d’inégalité.
Cette petite offensive ira peut-être loin, mais elle ne fait que s’amorcer, pour l’instant.
En réalité, elle s’inscrit dans une très ancienne tradition, qui remonte à la Révolution française, d’offensives contre le principe même de l’héritage et de la transmission. L’héritage serait, par définition, inégalitaire et créateur d’inégalité.
On ne veut pas voir qu’il est surtout créateur de civilisation à travers la transmission.
Cela remonte à la Révolution française. C’est à ce moment que l’on va supprimer la liberté de tester, autrement dit la liberté de décider à qui vont aller ses biens après sa mort. Cette liberté était essentielle jusqu’alors et, au fond, très importante. Jusqu’alors, les personnes avaient le droit de léguer leurs biens à qui bon leur semblait, à un de leurs enfants en particulier ou à tous de manière égalitaire ou à aucun d’entre eux si, éventuellement, les enfants n’avaient pas joué le jeu ou estimaient qu’ils ne le méritaient pas.
Cela reste peut-être le marqueur essentiel de la vraie gauche, du début du XXe siècle jusqu’à nos jours. De ce point de vue-là, l’école saint-simonienne constitue un courant de pensée extrêmement intéressant et important. Elle se développe dans les années 1820-1830. Elle aura une influence considérable sur la gauche et les élites, notamment financières, aux XIXe et XXe siècles, avec une approche à la fois socialiste, technocratique, ultra-individualiste, mais par ailleurs acceptant la propriété privée à condition que ce soit la propriété strictement individuelle. Ce qui caractérise fondamentalement l’école saint-simonienne, en tant que socialiste, ce n’est pas une remise en cause de la propriété ; au contraire, elle est tout à fait dans la perspective du fameux « Enrichissez-vous ! » de l’époque. Parmi les grands saint-simoniens, certains sont et seront parmi les gens les plus riches de leur époque. Michel Chevalier et Ferdinand de Lesseps sont de grands financiers immensément riches, mais qui, pour autant, sont totalement hostiles au principe de l’héritage. L’idée est que chaque individu a le droit de s’enrichir autant qu’il veut, le plus possible, mais une fois qu’il est mort, toute sa fortune revient dans le pot commun et l’État détermine la manière dont cette fortune va être utilisée.
Nous n’avons plus, comme dans la vision traditionnelle et organique, une continuité entre les personnes et les familles. On a des individus qui deviennent très riches ou qui restent très pauvres au cours de leur vie. Lorsqu’ils sont morts, l’État reprend la chose et redistribue selon ses souhaits. C’est un monde dans lequel il n’y a plus, en réalité ,que l’État et les individus. C’est une vraie caractéristique de la pensée de gauche. En revanche, les corps intermédiaires, les éléments, les familles, etc., qui supposent notamment la possibilité d’une transmission héréditaire disparaissent.
Macron a toutes les caractéristiques d’un saint-simonien. On retrouve, chez Macron, cette volonté de privilégier de manière systématique la fortune mobilière sur la fortune immobilière. L’important, c’est l’argent, car l’argent se compte et se dénombre d’une part. D’autre part, l’argent ne s’inscrit pas dans le temps long ni dans l’espace, autrement dit dans quelque chose qui suppose l’héritage et la transmission.
Quand vous avez une terre, des propriétés immobilières, une ferme et des forêts, vous ne pouvez pas concevoir tout cela en dehors de l’héritage et d’une perspective de transmission, notamment familiale. En revanche, lorsque vous avez juste un compte en banque dématérialisé, en parallèle, il y a toute cette réflexion qui se développe actuellement chez les économistes macroniens sur la disparition des billets de banque. Ce n’est pas un hasard. Autrement dit, un argent qui est totalement dématérialisé et qui est totalement sous le contrôle des pouvoirs publics, on peut très bien concevoir que cet argent-là ne soit pas susceptible de faire l’objet d’un héritage.
Aujourd’hui, en France, les droits de succession sont lourdement taxés par l’État. Est-ce juste de la taxe ou y a-t-il une volonté idéologique derrière ?
Bien sûr. C’est fondamentalement illogique et un des marqueurs de la pensée de gauche. Les saint-simoniens expliquent qu’il ne faut plus d’héritage au nom de l’égalité. C’est un mélange complexe. La pensée saint-simonienne et la pensée macronienne acceptent d’une part des inégalités immenses entre les fortunes et, en même temps, on plaide pour l’égalité, notamment cette fameuse égalité des chances. Cette suppression des inégalités de destins, l’inégalité de naissance dont nous a parlé Macron l’autre jour.
Ce qui les traumatise, ce n’est pas qu’il y ait des gens infiniment riches et d’autres qui crèvent la faim, mais c’est le fait que tout le monde ne parte pas sur la même ligne au départ. C’est aberrant. Pour que tout le monde parte sur la même ligne au départ, il faudrait que tout le monde ait le même potentiel, le même physique, le même cerveau, les mêmes neurones, etc. Le fait que, sur cette ligne de départ de la course de la vie, certains sont culs-de-jatte et débiles mentaux et d’autres géniaux et ultra-compétitifs, cela ne les gêne pas.
Le point de départ est cette obsession pseudo-morale de l’égalité, avec l’idée que l’héritage serait immoral car il donnerait beaucoup à certains et très peu à d’autres. Ce qui est vrai, d’ailleurs. Mais à cela, les penseurs de droite et les conservateurs répliquent depuis très longtemps que, derrière cette pseudo-injustice individuelle, il y a une véritable justice collective et politique. C’est grâce à cet héritage que la cité peut se développer, s’améliorer, se conserver et que la civilisation existe.
Dans la société ultralibérale et capitaliste, l’homme idéal du XXI siècle serait, au fond, un homme en marche, déraciné, qui n’a rien d’immobilier à transmettre.
Au-delà de l’immobilier, c’est un homme qui n’a rien à transmettre du tout. Ce n’est pas lui qui transmet, puisque la famille a disparu. L’image de Macron comme l’homme seul qui marche, mais qui n’a pas d’ombre, pas d’amis, pas de père et pas d’enfants, est très parlante pour la suite. C’est quelqu’un qui se dit qu’il n’a pas besoin d’héritage. Il avance seul et cela suffit. Si on conçoit les choses comme cela, la civilisation et la culture telles qu’elles existent depuis 3.000 ans s’effilochent et disparaissent en passant à autre chose.
C’est un homme qui marche seul, qui s’est construit seul et qui n’a rien à transmettre. C’est un peu l’idéal du start-upper.
C’est exactement cela. Le fait que l’offensive contre le principe même de l’héritage vienne, depuis quelques années, de la Silicon Valley et des hyper-milliardaires qui nous expliquent qu’ils se sont faits tout seuls dans leur garage en construisant des ordinateurs et qu’ils ne légueront rien à leurs enfants car leurs enfants n’ont qu’à faire pareil. C’est à la fois une espèce de manifestation d’égoïsme et d’autisme invraisemblable, mais aussi quelque chose qui nous dit quelque chose sur l’avenir de cette société moderne ou postmoderne que ces gens nous préparent. ■