Le Mont Saint-Michel rongé par les masses de touristes
Mathieu Bock-Côté montre ici comment la gauche n’aime pas débattre avec la droite. Elle préfère la dénoncer, examinant à la loupe tout dépassement des lignes du politiquement correct pour mieux s’en offusquer et disqualifier le « fautif ». [Le Figaro, 14.09].. LFAR
D’aucuns se sont montrés surpris devant le refus affiché de Pierre Rosanvallon d’éventuellement débattre avec Alain Finkielkraut. Dans l’esprit du commun des mortels, rien n’est plus naturel que la dispute entre intellectuels, et plus encore avec un philosophe comme Finkielkraut qui a consacré une partie importante de son existence à mettre en scène la vie des idées de la manière la plus féconde qui soit, avec son émission «Répliques».
Et pourtant, quiconque lira Notre histoire intellectuelle et politique, le nouvel ouvrage de Rosanvallon, ne sera pas surpris. Avec une condescendance aussi mandarinale que caricaturale, il s’y pose en surplomb du débat à la manière d’un grand ordonnateur de la vie intellectuelle, et prétend surtout définir les paramètres et le périmètre du débat public, en décidant qui y sera admis comme un contradicteur légitime, et surtout qui ne le sera pas.
Sans surprise, Rosanvallon s’inquiète à plusieurs reprises de la confusion des catégories intellectuelles dominantes, et, surtout, du brouillage supposé du clivage entre la droite et la gauche, la première empruntant sournoisement les habits de la seconde pour se légitimer. Son livre correspond à une volonté de remettre de l’ordre dans l’intelligentsia et chacun à sa place en resserrant les critères de la respectabilité, souvent au nom de la science dont on croit avoir le monopole.
D’ailleurs, dans le livre de Rosanvallon, ils sont plusieurs à ne pas être considérés comme des intellectuels dignes de devenir des interlocuteurs. Rares sont les auteurs en désaccord avec lui dont il discute sérieusement la pensée. Il préfère les étiqueter. Un tel est un essayiste, l’autre n’est qu’un journaliste. Et ainsi de suite. Mais on ne personnalisera pas à outrance cette controverse, qui révèle surtout l’incroyable sectarisme d’une certaine gauche idéologique, pour qui le désaccord intellectuel fondamental a l’allure d’un scandale moral.
On retrouve ici une constante historique: pour débattre avec la gauche, il faut être de gauche, et marquer son appartenance au camp du bien en affichant régulièrement des signes ostentatoires de vertu. Être de gauche, c’est d’abord vouloir être de gauche et faire ce qu’il faut pour le demeurer, en suivant la cadence donnée par l’avant-garde progressiste. Et il suffit de ne pas suivre le rythme pour devenir suspect. Le mot gauche conserve un pouvoir d’hypnose qui pourrait passionner un ethnologue se penchant sur l’intelligentsia. La gauche n’aime pas débattre avec la droite mais la dénoncer. Dans son univers mental, la droite n’est pas l’autre camp, mais un lieu de déchéance morale, reconnaissable à son odeur: y circulent des idées nauséabondes.
Si on naît parfois conservateur, la plupart du temps on le devient, souvent lorsqu’on est heurté par le réel. Plusieurs des intellectuels qui, aujourd’hui, contribuent sans le dire ainsi à la pensée conservatrice en France viennent de «gauche». Mais du point de vue de ses anciens camarades, celui qui «passe à droite» ne change pas de camp parce qu’il a changé d’idées: il s’abîme. On ne passe pas à droite, on y dérive, comme si on rejoignait lentement le néant de la pensée.
Dans le même esprit, lorsqu’on contredit trop ouvertement le politiquement correct, on dérape, manière comme une autre de reconnaître que la pensée officielle évolue dans un corridor très étroit surveillé par des contrôleurs médiatiques distribuant des contraventions idéologiques. D’ailleurs, les médias se questionnent de manière récurrente pour savoir s’il faut donner la parole à la droite. Est-ce qu’on ne contribuerait pas ainsi à sa normalisation médiatique? Il en est de même à l’université, où les cabales idéologiques sont régulières.
Ce qui est en jeu, c’est le monopole de la parole publique légitime. Mais de Raymond Aron à Alain Finkielkraut, en passant par Jean-François Revel, Marcel Gauchet, Pierre Manent, Régis Debray et Pierre-André Taguieff, les grands intellectuels, d’où qu’ils viennent, sont non pas ceux qui tiennent d’abord à appartenir à un camp mais à penser l’histoire qui se fait en voyant ce qu’ils voient, pour reprendre la formule désormais consacrée.
Une véritable éthique du débat public devrait nous amener non pas à débattre sous le signe du même, mais en mettant en scène les dimensions contradictoires mais également nécessaires de l’existence humaine qui doivent féconder la cité.
L’homme a besoin tout à la fois de la liberté et de l’égalité, de l’enracinement et du cosmopolitisme, de l’ordre et de la dissidence: il s’agit d’articuler intelligemment ces pôles anthropologiques sans en abolir aucun, et en reconnaissant leur légitimité mutuelle. Dans cet esprit, le clivage gauche-droite, si on s’y enferme trop étroitement, étouffe la pensée. Qui s’y plie se condamne à une pensée rétrécie. Même les plus belles intelligences, lorsqu’elles s’y enferment, virent au sectarisme idéologique. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, est paru aux éditions du Cerf [2016].
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Il y a longtemps que l’on sait que les intellectuels de gauche prétendent avoir le monopole du Vrai, du Bien et du Juste. Cela date du XIX° siècle, il n’y a qu’à regarder les postures d’un Victor Hugo. La tendance s’est renforcée sous l’effet de la domination intellectuelle du marxisme dans notre pays depuis l’après-guerre. Les intellectuels de gauche actuels, même non-communistes, comme Rosanvallon, conservent le réflexe des staliniens des années 50, qui procédaient par invectives, exclusions, condamnations, maniaient l’injure à la place de l’argumentation. Ce qui caractérise aussi ces intellectuels de gauche c’est leur incroyable bonne conscience, jamais prise en défaut. Ils ont pu aduler Staline, regarder Mao avec les yeux de Chimène, trouver quantité de raisons à l’action de Pol Pot, ils n’éprouvent jamais le besoin de se justifier ou de faire leur examen de conscience. Et je parle là des intellectuels de la gauche non-communiste mais qui ont fait preuve de la plus grande des complaisances à l’égard des tyrannies de gauche. Cela ne les empêche pas de jouer aux donneurs de leçons, parce que voyez-vous, même quand ils se trompent, ils estiment encore avoir eu raison de s’être trompés. La tyrannie intellectuelle de la gauche et son pouvoir d’intimidation règnent en France depuis la libération. Il est temps que l’on passe à autre chose.
EN 1956 je crois Pierre Boutang disait qu' »un homme de droite commençait par donner raison à son adversaire » …. c’est ce qu’ont pratiqué la plupart des hommes de droite depuis 1956, en particulier dans les débats sociétaux. Le jour où un homme de droite se définira en dehors de ce champ où la gauche serait le bien, la droite la conservation crispée de privilèges ou de traditions désuètes, et où il renverra à l’homme de gauche son nihilisme profond, il ne subira plus ce terrorisme intellectuel et cela permettra un dialogue enfin fécond pour ceux qui veulent faire perdurer la cité, le sens de l’effort ( par exemple Finkelkraut) , les vrais constructeurs, face aux destructeurs Ce jour là Il pourra lutter contre la marée montante. . Là est la frontière : entre ceux qui construisent parce qu’ils fondent leur action sur un vrai socle, ce qu’on appelle parfois le bien commun et ceux qui au nom de leurs passions idéologiques sont des destructeurs, puisqu’ils ne veulent rien fonder ni transmettre. , Puisque Dostoïevski a été cité ce matin, relisons les » Possédés » ou les démons » Ils surplombent nos siècles. » le diable nous fait tourner en rond » est en exergue de son livre.
Les « hommes de droite » ont une lourde responsabilité dans le magistère des « hommes de gauche » depuis la Libération.
Ils ont commencé par leur donner l’Université.
Le reste serait bavardage.