New-York
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il travaille depuis 2005 pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc et ailleurs, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà donné des extraits. Nous en faisons autant, depuis janvier 2016, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
EXTRAITS DU JOURNAL MAROCAIN 2018 INÉDIT DE PÉRONCEL-HUGOZ
Rabat, 24 mars 2018
Dans la bibliothèque des enfants je trouve L’éruption du Karamako, par Hergé, dans sa réédition de 1980 qui échappe encore au politiquement correct et reste donc conforme à l’édition de 1952-1953. (Photo)
Ainsi New-York continue d’y être écrit avec son trait d’union, façon de franciser ce toponyme anglo-américain que notre gauche américanisée a répudié à la fin du XX° siècle. Je fus seul au Monde, alors, à défendre New-York, contre New York, le patron, André Fontaine, me soutenant mais en sourdine seulement, n’osant affronter les Kajman et autres américanomanes culturels, bien décidés eux, à supprimer « la façon française d’écrire New-York »… A l’énoncé de l’adjectif « française », ils grimaçaient, comme si j’avais dit une incongruité…
J’eus beau citer Morand (aïe!) mais aussi Camus et même Sartre, en faveur de New-York, rien n’y fit. Plus près de nous, la ministre marocaine de nationalité française, chargée de l’Education nationale sous le président Hollande, déclara être favorable à l’abolition de tous les traits d’union… On commence par « New York » et ensuite on écrit « petite fille » ou « belle fille », également sans tiret, ce qui créera une jolie confusion…
Je ne sais pas si l’album d’Hergé (photo) réussira à conserver son New-York dans de futures rééditions mais je vois arriver le moment où Karamako aura le même sort que Tintin au Congo (photo). En effet, dans l’album mettant en scène Jo et Zette, on voit des Noirs appelés « sauvages » et taxés de « cannibalisme », sans parler de leurs lèvres épaisses et de leurs nez épatés dessinés par Hergé, affreux catho tradi, royaliste et colonialiste…
Dans le même ordre d’idées, si on peut dire, je vois dans Le Figaro de ce jour que Douma, petite localité proche de Damas, où a lieu en ce moment une bataille décisive entre l’Etat syrien et des insurgés islamistes, est désormais orthographiée Duma, que les lecteurs moyens prononceront sans doute comme Dumas…
Ça ne fait rien, il faut à tout prix s’américaniser, comme la vieille librairie casaouie, Carrefour des livres, rénovée récemment grâce, en particulier, à une subvention française de 10.000 euros et qui, pour nous remercier s’intitulera désormais Coffee and Books… Il est vrai que, récemment, le président Macron a déclaré que quand il parlait anglais, il travaillait « pour la Francophonie » (sic) Comprenne qui pourra !
Dernière nouvelle yanquisante claironnée comme une victoire sur Internet et sur les ondes : les nouveaux compteurs électriques « plus performants », en France, s’appellent Linky… Last not least, le Monde daté 24 mars 2018, après avoir noté que l’expression anglo-américaine bottom-up, chère aux macroniens et macronistes, pouvait se traduite par « remonter des idées de la base vers le sommet », ce qui équivaut à officialiser définitivement le beaucoup plus court bottom-up, Le Monde, donc, toujours lui, découvre enfin que l’expression bien connue sous l’Ancien Régime de « cahiers de doléances » est l’exacte traduction de bottom-up. Bravo ! Est-ce à dire que Le Monde emploiera désormais la parfaite vieille expression française ? J’en doute, tant les préjugés restent profonds contre l’héritage de notre vieille monarchie capétienne… ■
Retrouvez l’ensemble des textes parus depuis le 14 janvier 2016 en cliquant sur le lien suivant : Journal d’un royaliste français au Maroc et ailleurs.
L’anglomanie ambiante, promue tant par les média et la publicité que par le snobisme des soi-disant élites informatisées, a quelque chose d’exaspérant. Il y a un mot dont l’usage de plus en plus généralisé me crispe, c’est le mot « digit » et son adjectif « digital » employés dans leur sens anglo-américain à la place de « numérique ». Même si le mot est d’origine latine, tant pour l’anglais que pour le français et si la version anglaise dérive du fait de compter avec ses doigts, le sens des deux adjectifs a divergé et si digit et digital en anglais se réfèrent aux chiffres et aux nombres, « digital » en français se réfère à ce que l’on fait « avec le doigt ». La généralisation du mot dans son sens anglais est une aberration linguistique et un suivisme imbécile. Employons donc systématiquement à sa place le terme : « numérique ».
Le combat pour la pureté de la langue est gigantesque et impératif. Mais, y compris dans les cercles les plus réactionnaires, il est trop souvent délaissé.
Remarquable billet de Péroncel-Hugoz…
Je souscrit tout à fait à ce qu’a écrit Jihème. Cette récente et croissante manie en France de s’exprimer avec des mots anglais ou américains au milieu de phrases et de textes grammaticalement français est regrettable, ridicule et risible. Elle est devenue une forme de snobisme, un nouveau pédantisme pour ceux qui s’y adonnent afin de témoigner de leur modernité et leur supériorité à la face des pauvres « petits français arriérés, incultes, ignorants du monde de demain, péquenots du monde ancien ».
Je conviens que certains concepts nouveaux (notamment dans l’univers des nouvelles technologies) sont parfois difficiles à traduire en français de façon simple et brève, ce qui favorise l’importation de mots anglo-saxons dans leur langue d’origine, en faisant l’économie de la recherche d’une traduction possible en français.
Mais la forme de snobisme dont je veux parler porte sur l’utilisation de plus en plus systématique d’expressions comme, simples exemples que l’on peut multiplier à l’envie, les « days » pour évoquer les jours de promotions de vente de véhicules, les « happy hours » pour fêter la fin de la journée de travail, les « save the date » pour annoncer un évènement futur, etc.
P.S.: je ne me considère pas comme un arriéré franchouillard inculte ignorant du monde nouveau qui se profile à l’horizon mais je n’éprouve pas le besoin de ringardiser la langue française lorsqu’elle est bien parlée et écrite. Et je ne pense pas que le reste du monde ait beaucoup d’admiration pour les locuteurs français qui méprisent le français, leur langue maternelle, pour faire « moderne ».
Dans le même ordre d’idées, l’emploi du mot » finaliser » au lieu de » terminer » m’horripile. Ce n’est pas seulement du globish. C’est le mépris de la « fin » par la primauté proclamée du « bout » sur le « but » ( J’emprunte ces 2 derniers mots à Fabrice HADJADJ)
Relire,sur ce sujet, la « Lettre ouverte à ceux qui en perdent leur français » de Philippe de Saint Robert (Albin Michel,1986),où tout est dit d’une politique de la langue,intelligemment initiée sous Georges Pompidou, et dont il reste des commissions de terminologie officielle chargées de franciser les locutions étrangères,mais que l’Etat lui-même,honteusement,a fini par abandonner dès la fin des septennats de François Mitterrand.
Et être conscient,hélas, que les Québécois,sur ce chapitre des dérives anglomaniaques,sont beaucoup plus réactifs que les Français…ou prétendus tels.
Dans le même ordre d’idée, préférer parler de « courriel » ou de « texto » à la place du « mail » et du « SMS » (Short Message System »)
On ne peut que s’associer à ce concert unanime pour approuver de diverses façons le « remarquable billet » de Péroncel-Hugoz. Grand journaliste et remarquable écrivain. Je crois que Mitterrand le lui avait dit. Il s’y connaissait …
Merci, tout simplement !