C’est la centième chronique « En deux mots ».
Nous y prendrons quelque distance avec « l’actualité » immédiate, même si cette dernière est contrastée, foisonnante, souvent agressive et violente, dangereuse en bien des régions du globe ; et même en France où, sans menace extérieure comme par le passé – une exception dans notre histoire – se profile, pour demain ou après-demain, le choc intérieur des communautés qui y vivent, soit depuis fort longtemps, de sorte que le patrimoine qu’elles y ont constitué au fil de nombreux siècles leur appartient, soit que, venues d’autres continents, d’autres civilisations, elles s’y soient installées plus ou moins récemment et continuent d’y venir en masse, sans pouvoir ni vouloir pour un grand nombre, s’y assimiler. Cette situation française explosive, comme d’autres dans le monde, atteste que la théorie dite de la fin de l’Histoire, du moins telle qu’elle a été comprise et vulgarisée en « Occident », n’est pas pertinente. Elle est née de l’illusion de l’inéluctable généralisation à la planète entière du modèle marchand américain après l’effondrement du bloc soviétique. Un monde plat, métissé et post-national devait remplacer l’ancien ordre différencié des continents, des nations, des peuples et des cultures. On voit ce qu’il en est aujourd’hui, où l’Histoire ressurgit partout dans le monde avec son lot d’ambitions et de menaces croisées.
Emmanuel Macron a souvent répété, en contradiction avec la théorie de la fin de l’Histoire mais sans incidence sur sa politique, que l’Histoire est tragique. Et cette tragédie, par-delà amitiés, alliances, et solidarités, qui sont toujours de circonstance, les nations la vivent finalement en solitaires, chacune selon sa destinée singulière.
Ni l’Histoire, ni les espaces géographiques où elle se déroule et qui la conditionnent, ni par conséquent, le politique, s’il s’affaiblit ici ou là, ne disparaissent vraiment ni tout à fait ni pour toujours.
Cette considération simple est en définitive le fil conducteur de ces chroniques, qu’elles traitent de la France ou de l’Allemagne, toujours confrontées, de notre vieille ennemie héréditaire, l’Angleterre, de l’immense Chine ou de l’Inde immémoriale, de l’Espagne et de l’Italie voisines, nos turbulentes sœurs latines, de la Mitteleuropa (photo), si souvent martyre, de l’Amérique ou de l’Islam, de l’immigration et du terrorisme, ces fléaux qui sont ceux de notre temps, de Poutine, de Trump, de Merkel ou d’Emmanuel Macron …
Même l’évolution extraordinaire des techniques à laquelle nous assistons, à laquelle que nous le voulions ou non nous participons tous, ne nous semble pas en réalité pouvoir venir à bout ni de la géographie ni de l’Histoire, ces deux grandes forces génératrices. La financiarisation du monde, l’asservissement du politique aux puissances cosmopolites de l’Argent, seraient en passe d’y réussir. Est-ce si sûr ? Regardons le monde, la résurgence de la Russie éternelle avec Poutine, les nationalismes asiatiques, chinois, indien, japonais et autres, le Brexit, l’Italie, l’Europe Centrale, le phénomène Trump et le formidable retour du national-conservatisme américain … Et même allemand. Rien de tout cela ne sonne la fin de l’Histoire ou du Politique.
Les nouvelles technologies (les avions, internet, les téléphones portables chers à Michel Serres, les moyens de communication, etc.) rendraient l’anéantissement des frontières, des anciennes cultures, et des peuples, inévitable. Mais cela aussi est une vue partielle : les avions transportent les voyageurs et les masses de touristes ( « l’homme en bermuda »*) mais aussi les terroristes, les soldats et accessoirement les bombes, y compris celles d’Hiroshima et Nagasaki, ils servent à la paix ou à la guerre ; Internet est dans un cas analogue : Il établit de multiples contacts entre individus, peut concourir à leur ressemblance, à leur uniformité, mais aussi à la diffusion des idéologies, des propagandes, à l’exaltation des particularismes de tous ordres, à l’expression des nationalismes, les meilleurs et les pires, il en est de même de toutes les technologies modernes : elles sont ambivalentes. Elles n’annihilent ni le poids de l’Histoire ni celui de la géographie sur les réalités politiques contemporaines.
Leur vitalité et leur perpétuelle résurgence, c’est ce que ces chroniques tentent de mettre en lumière au cas par cas. Il ne nous semble pas que l’actualité les démente. Au contraire.
Aux désespérés de l’avenir – français et au-delà – nous rapporterons que Jean-François Mattéi à qui, considérant son profond pessimisme, nous avions demandé s’il ne voyait aucun motif d’espérer en l’avenir, après un temps de réflexion nous avait répondu – en philosophe : « Heidegger pensait qu’à la fin tout recommence » (photo). Bainville, autre grand pessimiste, en la matière, pensait comme Heidegger.
Nous poursuivrons nos modestes réflexions sur l’actualité dans ce même esprit. ■
* Expression de Philippe Muray
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Il n’est pas sûr en effet que le projet de l’oligarchie libérale de transformer le monde en une vaste termitière composée d’individus indifférenciés et interchangeables, voués à la consommation et au divertissement (les » petits et vulgaires plaisirs » caractéristiques d’homo democraticus selon Tocqueville) parvienne à ses fins. L’ambition des libéraux est de faire disparaître la politique sous la gestion et l’économie, il n’y a pas de politique libérale, disait Carl Schmitt, le libéralisme est une anti-politique. Mais nous sommes naturellement des animaux politiques nous disent les Anciens et Aristote au premier chef. et renoncer à la politique c’est renoncer à notre humanité. Quant à cet intellectuel hébété qu’est Michel Serres, il est possible de lui rappeler qu’à la fin du XIX° siècle de doux rêveurs affirmaient que le développement du train allait mettre fin aux guerres. Non, le futur ne sera sans doute pas le règne d’Homo Bermudensis,
Plutôt que FUKUYAMA, je préfère l’analyse de Sam HUNTINGTON: le choc des civilisations, et dans ce cas notre société cosmopolite soumise à l’argent roi, ne fera pas le poids, et sera remplacée par le retour des nations et de la défense de son territoire