Par Edouard de Saint Blimont
Les convictions fortes mèneraient à la radicalisation.
Prétendre détenir la Vérité et la défendre mordicus préparerait le sujet à glisser vers toutes les formes de radicalité. On a là le nœud, jamais démêlé, d’une accusation qui vise de manière indifférenciée aussi bien les islamistes radicaux que ceux qu’on nomme, à dessein, les intégristes catholiques. Ceux-ci ont beau alléguer qu’ils n’ont jamais commis de crimes au nom de leurs convictions, à l’inverse des terroristes islamistes, leur réputation reste entachée du fait qu’ils partageraient avec les autres une tendance intellectuelle fâcheuse : celle de dire haut et fort ce qu’ils pensent être la Vérité. Entre les fous de Dieu qui impactent le quotidien de nos concitoyens par leurs méfaits et leurs outrances et les catholiques soucieux de s’inscrire dans une tradition, le bon sens inviterait pourtant à trancher en faveur des seconds (avoir des convictions ne rend pas criminel) mais ce sont les seconds qui paraissent métaphysiquement plus coupables. Il est assez clair que si l’on a tenu à situer l’origine des dérives terroristes dans une propension au fanatisme, on cherchait surtout à viser en fait ceux qui ont le tort d’avoir des convictions.
Il ne faut pas situer ailleurs l’origine de la démission de l’Occident face aux barbares, jugés somme toute moins détestables que ceux qui défendent les vérités chrétiennes. Il ne faudra pas demain chercher ailleurs la cause d’une domination de nos sociétés chrétiennes par un islam fanatisé à outrance. Il sera trop tard pour prendre conscience du fait que l’Ennemi était bien l’Islam et non ceux qui, à temps et à contretemps, rappelaient les Vérités qu’il ne fallait pas abandonner.
C’est la raison pour laquelle il nous a paru important de démêler dans les trois articles qui suivent si d’avoir des convictions nous expose à la radicalité. Nous estimons devoir distinguer trois moments dans le raisonnement :
1. est-il bien certain, d’abord, que le fanatisme islamiste trouve son origine dans une conviction forte ?
2. Notre mentalité occidentale n’offre-t-elle pas aussi l’exemple de telles dérives : en ce cas, les convictions fortes doivent-elles être seulement alléguées ?
3. Il s’agira alors d’examiner le bienfait qu’il y a de disposer de convictions fortes, dans un contexte où, pour parler comme Pierre Manent (photo) « nous procédons à un évidement méthodique de notre être intérieur. Tout ce qui est nôtre, nous le marquons du goudron du soupçon. »
Le fanatisme islamiste : une affaire de convictions fortes ?
Peut-on estimer qu’il y a place dans l’univers musulman pour la conviction forte dans la mesure où une conviction authentique s’appuie sur un examen approfondi par la raison des éléments de vérité qu’on présente à l’esprit ? Peut-on être convaincu si la raison ne désigne pas telle vérité comme convaincante ? Platon a distingué ce dont on est persuadé de ce dont on peut être convaincu. Les rhéteurs de l’antiquité grecque sont passés maîtres dans l’art de persuader leurs concitoyens de l’excellence de leurs positions en mettant les auditeurs dans la situation de ne pas avoir à examiner les choses au fond. C’est précisément parce qu’ils mettent leurs « clients » dans la position d’adhérer sans réfléchir que ces derniers embrassent leurs vérités sans sourciller. Il en va tout autrement lorsque Socrate mobilise toutes les ressources intellectuelles de son interlocuteur pour le convaincre de la valeur de ses positions. Socrate ne s’en sort pas avec une popularité accrue mais il aura, du moins l’espère-t-il, convaincu son interlocuteur.
Le musulman n’est pas face au Coran ou à son Imam dans la même relation que le public face au rhéteur qui le charme mais sa raison n’en est pas plus sollicitée pour autant puisqu’on cherche à empêcher chez lui l’exercice de la raison, la parole d’Allah étant tenue comme se situant au-delà de toute compréhension, comme l’a bien montré Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne (photo). Toute démarche rationnelle d’examen est tenue ici pour intempestive. Ce n’est pas du contenu du discours dont on doit être convaincu mais de la nécessité de le tenir pour ultima verba. Quoi qu’il dise !
Tenir ce que dit Le Coran et l’Imam pour vrai en se dispensant d’examiner s’il ont des titres à faire valoir pour être crus, sentir qu’on est dans la vérité à proportion de l’effort qu’on fait pour ne jamais examiner le degré de vérité d’une proposition m’a toujours paru comme l’expression même du fanatisme.
C’est une disposition fondamentale du croyant dans la religion musulmane. Cette disposition anti-intellectualiste qui enraye dès le départ toute prétention herméneutique (par laquelle un esprit examine un texte avec des dispositions critiques) est ruineuse pour l’esprit et elle permet de comprendre que, contrairement à ce que soutient le discours religieusement correct, il n’y a aucune solution de continuité entre le décryptage ordinaire du Coran et les aventures échevelées de certains islamistes. Certes il faut des conditions supplémentaires pour aboutir aux comportements aberrants mais la disposition intellectuelle du musulman expose à de telles dérives.
Placé dans la situation d’acquiescer et d’obéir sans jamais examiner, on ne mesure pas toujours à quel point l’esprit est fragilisé, comment même la confiance en soi en est ébranlée. Prendre l’habitude de s’ôter de l’esprit qu’il faut examiner les choses pour se faire une idée du monde, finit par incliner le sujet à prendre le chemin d’une mentalité superstitieuse.
C’est l’apport remarquable du livre de Lina Murr Nehmé sur L’Islamisme et les femmes. Dans l’affaire du meurtre de Sarah Halimi par Kobili Traore (photo), dans les massacres du Bataclan, comme dans l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray, Nehmé note que ceux qui accomplissent ces méfaits le font pour lutter contre les Djinns, les Sheytan, dont Mahomet dit qu’ils poussent l’homme vers le mal. Obsédés à l’idée d’être dominés par les djinns, les djihadistes tuent pour faire rendre l’âme aux djinns, en récitant le dhikr et les versets coraniques censés les en délivrer.
Les djihadistes, habités par des convictions fortes ? Plutôt des esprits faibles ou, pour être plus exacts, des individus tellement habitués à ne jamais examiner le fond des choses, que les cauchemars les plus ravageurs finissent par hanter, en permanence, leurs esprits.
Si notre exposé permet d’apercevoir que la pratique du texte islamique procède d’une mentalité régressive et qu’elle conduit l’esprit à entretenir les superstitions les plus noires, il serait intéressant maintenant de se demander si la radicalisation qui n’est que l’expression spectaculaire d’un esprit en débat avec ses cauchemars se rencontre aussi dans d’autres configurations mentales, étrangères à l’Islam.
Ce sera l’objet d’un prochain article. ■