Par Pierre Builly
Mourir à Madrid de Frédéric Rossif (1963)
Et sur les chemins secs et roux…
Les guerres civiles sont à la fois les plus absurdes des guerres, puisqu’on y massacre voisins, frères et cousins, et les plus logiques, puisqu’on sait généralement assez précisément sur qui on tire et pourquoi on déteste le type d’en face, ce qui est rarement le cas quand la Valachie affronte la Suède ou le Brésil, la Malaisie…
À cet égard, la guerre d’Espagne a été un assez remarquable exercice de détestation totale, puisque, avec 1 million de morts en moins de trois ans, elle a fait presque aussi bien que la Grande Guerre en France en plus de quatre ans, et qu’elle résonne encore suffisamment dans les mémoires et dans les attitudes.
Le beau film de Frédéric Rossif a été tourné (je veux dire essentiellement monté et sonorisé, puisqu’il s’agit principalement d’images d’archives) en 1962/63 ; c’était là une époque où la notion même de politiquement correct n’existait pas encore, c’est-à-dire que, tout en prenant fermement un parti, on n’était pas obligé de n’en pas énoncer les limites, les défaillances et les crimes et où on pouvait dire et montrer l’infinie complexité de l’Histoire.
Tout en se rangeant clairement du côté républicain, Rossif et l’auteur du commentaire, Madeleine Chapsal n’esquivent pas des réalités qui sont aujourd’hui ensevelies dans l’ignorance collective et le manichéisme : le faible écart des suffrages entre le Front Populaire et la Droite aux élections de 36, les révoltes et les immédiats massacres de milliers de prêtres, de religieuses, de propriétaires terriens, l’assassinat concerté de Calvo Sotelo, leader de la Droite (apostrophé à la Chambre des députés par la Pasionaria d’un sympathique « Cet homme vient de parler ici pour la dernière fois ! » ; il est vrai que la dame se vantait d’arracher le coeur des prêtres avec les dents), et, naturellement, le remarquable terreau de disputes que la cohabitation de socialistes, communistes staliniens, trotskystes, anarchistes allait susciter.
D’où un film aussi passionnant que bien construit ; passionnant parce qu’il n’est coupable d’aucun didactisme, remarquable parce que les images qu’il montre – et que le commentaire, sobre, jamais pesant, laisse librement s’exprimer – sont superbes et significatives, bien construit, parce que Rossif était un monteur très talentueux et qu’il savait aussi, comme le dit très justement la productrice, Nicole Stéphane, dans un des suppléments, choisir les voix et composer comme une partition les différentes séquences, employant sur certains types de sujets les timbres de Jean Vilar, Pierre Vaneck, ou, par exemple, Suzanne Flon dès qu’il s’agit des Brigades Internationales.
La musique de Maurice Jarre, habituellement un peu grandiloquente (Docteur Jivago, Lawrence d’Arabie) est ici d’une exemplaire sobriété et alterne avec la reprise de chants d’assaut de la guerre (les très célèbres « Paso del Ebro » et « Cuatro generales »).
Ce film, que j’ai vu et revu depuis 1963 est, à mes yeux, un indispensable complément des oeuvres historiques solides sur la période, celles de Hugh Thomas (Bouquins) ou de Bartolomé Bennassar (Perrin), qui ne donnent ni dans la polémique, ni dans l’hagiographie d’un camp ou l’autre ; il est excellemment édité, malgré des suppléments un peu décevants ; outre l’interviouve de la productrice, un bref film sur l’Espagne tourné « en leurre » par Rossif pour abuser les autorités franquistes et, dans un second DVD, un film sur la prégnance du passé dans l’Espagne d’aujourd’hui (les disparus des fosses communes) qui, lui, est entièrement à charge et présente donc les défauts de toute œuvre militante qui se prend au sérieux.
On aurait apprécié, pour qui connaît mal ou peu la période, un documentaire de cinq minutes plus pédagogique sur le déroulement de la Guerre.
Cela étant, je crois que je regarderai encore souvent ce magnifique Mourir à Madrid qui s’ouvre et se ferme, au son du seul leitmotiv triste d’une guitare, sur la brume du col de Somosierra, où a eu lieu la première bataille pour la possession de Madrid. ■
DVD autour de 14 €
Le chiffre du million de morts est discuté aujourd’hui. Il a été accepté sans contestation durant des décennies parce qu’il glorifiait à la fois les vainqueurs et les vaincus. De plus il a servi à l’Espagne franquiste pour se tenir à l’écart de la guerre mondiale. Il semble qu’il oscille selon les historiens entre 400.000 et 600.000 ce qui n’est d’ailleurs pas rien.
Pour ceux qui l’ignorent vous auriez peut-être du signaler que « Et sur les chemins secs et roux » est un vers de Robert Brasillach. Poèmes de Fresnes- Le Testament d’un condamné.
La guerre civile avait commencé dès 1932, lorsque le dimanche, les anarchistes catalans faisaient la tournée des églises pour ouvrir le feu sur hommes, femmes et enfants sortant de la messe.
La gauche n’a cessé de rerchercher l’affrontement armé.
Elle l’a eu.
! Soy un hombre a quien la suerte hirio con zarpa de fiera !
Merci en tout cas de votre rappel d’un chant fameux et beau de la légion espagnole;