Par Rémi Hugues
Dans le cadre du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, Rémi Hugues a rédigé pour les lecteurs de Lafautearousseau une suite dʼarticles très documentés qui seront publiés au fil des journées en cours. Ils pourront être objets de débats. Au reste, la guerre n’est plus exclue des perspectives mondiales d’aujourd’hui …
Pourquoi le ralliement n’est pas une trahison (suite)
Cependant, peut-on réellement parler de ralliement à la République ? Il serait plus juste, à notre avis, de voir dans lʼUnion Sacrée un ralliement du système républicain au programme, non pas institutionnel mais opérationnel, de lʼAction Française, à ses idées, ses méthodes et sa stratégie. Lʼhistorien Jean-Baptiste Duroselle souligne que lʼUnion Sacrée coïncide, pour les nationalistes en général et pour lʼAction Française en particulier, avec un curieux moment où ils « ont assisté avec béatitude à une sorte de ʽʽralliementʼʼ des autres à leur point de vue. »[1] Durant cet été 1914, paradoxalement plein dʼeffervescence et dʼespoir, Bainville note dans son journal : « La confiance est générale, les antimilitaristes dʼhier sont les premiers à réclamer un fusil. »[2] Cʼest le cas, on lʼa vu, du journal La Guerre sociale de Gustave Hervé, qui, aussi étrange que cela puisse paraître vu son titre, se présentait jusquʼalors comme résolument pacifiste.
Si lʼAction Française se range du côté du gouvernement républicain, elle ne met pas pour autant son corpus idéologique dans sa poche. Pour Maurras, la victoire militaire – battre lʼAllemagne – sera le prélude à la victoire politique – restaurer la monarchie –. Bainville définit la stratégie à adopter. Il préconise dʼécraser la Prusse, facteur dʼunification du monde germanique. Il faut à jamais, pense lʼhistorien royaliste, briser tout espoir dʼunité de lʼAllemagne. Et ne plus se préoccuper que de la France, mettre provisoirement au rancart lʼhostilité à la République.
Il sʼagit donc de faire front, dʼoublier les querelles idéologiques, enterrer la hache de guerre avec lʼex-Anti-France. Loyale au gouvernement, lʼAction Française ne sʼest pas pour autant convertie au républicanisme, loin sʼen faut. Le fait suivant lʼatteste : en juillet 1915, lors dʼune réunion publique la section dʼArras dénonce la chienlit républicaine responsable du désordre, concluant par un « Vive le Roi ! vive la France ! »
En outre, un an plus tard, dans un contexte difficile car lʼhiver 1916 voit la prise de Bucarest par les Allemands et la retraite des troupes russes, Maurras propose lʼinstauration dʼune sorte de dictature dont le souverain serait un podestat, ou lieutenant général, idéalement issu des rangs de lʼArmée. Il faut dire que la valse des présidents du Conseil, trait caractéristique de la IIIème République, ne sʼest pas arrêtée avec la guerre. La France a connu cinq chefs de gouvernement en lʼespace de quatre ans : René Viviani, Aristide Briand (photo), Alexandre Ribot, Paul Painlevé et Georges Clemenceau ; quant au président de la République il est resté le même. Raymond Poincaré a occupé cette fonction de 1913 à 1920. Lʼabsence dʼélections nʼa pas empêché cette instabilité gouvernementale. Selon Maurras il fallait aller plus loin. Non seulement il fallait rompre avec la démocratie représentative, ou régime dʼopinion, soit le pouvoir frivole et capricieux de la foule, mais aussi fallait-il mettre fin au parlementarisme, facteur dʼimmobilisme et de corruption. Le podestat devait préparer la venue du roi, dont lʼavènement sur le trône devait couronner la victoire contre à lʼAllemagne. En 1917, Daudet déclare en privé : « Il nous faut continuer notre propagande pour que nos amis du Front trouvent en revenant une force unie prête à renverser la République et à restaurer le Roi. »[3]
La fidélité renouvelée vis-à-vis de lʼÉglise
LʼAction Française étant favorable à la restauration de lʼalliance du trône et de lʼautel, elle a durant toute la guerre veillé à faire la part des choses entre son nationalisme intégral, qui la poussait à exiger de tous lʼeffort maximal afin de réussir à vaincre lʼennemi, et son tropisme transmontain, qui lʼobligeait dʼaccepter le discours pacifiste et la neutralité du Saint-Siège représenté par Benoît XV, « dont la position était des plus inconfortables ».[4] Entre les catholiques et lʼAction Française sʼétaient noués des liens très forts, comme le fait remarquer Duroselle qui évoque « lʼattitude royaliste du bas clergé presque entier. »[5] Cette relation étroite ne fut pas brisée par la guerre. Une certaine forme de gallicanisme facilita la tâche : « lʼÉglise de France se rallia au patriotisme. »[6] Celle-ci fit sonner le 11 novembre 1918 à 11 heures précises toutes les cloches de ses paroisses, se glissant dans un rôle de caisse de résonance de lʼÉtat républicain qui lʼavait pourtant sérieusement tourmentée.
Le « pagano-comtien » Maurras ne succomba pas à la tentation anticléricale que ses ennemis républicains ne manquèrent pas de semer auprès de la piétaille soldatesque, en sʼappuyant sur la faille que fait apparaître la contradiction flagrante entre le nationalisme intégral et le royalisme transmontain. Mais, comme le suggère Eugen Weber, le « Maître de Martigues » était bien trop intelligent pour tomber dans le piège qui lui était tendu :
« Nombreux étaient les Français qui sʼélevaient contre les efforts que faisait le Pape (photo) en vue de conserver la neutralité, qui lui reprochaient son refus de condamner lʼagression allemande, son silence devant les destructions et les atrocités des Allemands en Belgique et dans le nord de la France. Certains clercs et même certains laïques, comme Mistral dans ses Psaumes de la pénitence, considéraient que les souffrances de la guerre venaient en punition de lʼirréligion et lʼanticléricalisme de la France. Quand la protestation contre de telles déclarations eut menacé de provoquer une nouvelle campagne anticléricale, Maurras parla » dʼinfâme clameur », de brèche dans ce qui devait rester le front de lʼunité nationale, et son journal sʼérigea en soutien le plus ferme du clergé. »[7] (A suivre) ■