Henri de Gissey, Le Grand Carrousel donné par Louis XIV dans la cour des Tuileries à Paris, pour célébrer la naissance du dauphin
La diversité des lieux
En chantier permanent, Versailles et ses jardins sont le théâtre de nombreuses improvisations. Saint-Germain et Fontainebleau offrent de grandes salles de spectacles, mais c’est l’éphémère et le surprenant qui dicteront l’organisation des divertissements non moins somptueux à Versailles. Comme nous l’avons vu plus avant, c’est à travers d’ingénieux mécanismes, de scènes et décors démontables, de théâtres de verdure et en trompe-l’œil, que le roi divertit sa cour. Le château ne pouvant, quand les Plaisirs de l’île enchantée sont joués, accueillir les six cents invités. À travers ces architectures provisoires faites de treillages et de jeux d’eau, le roi permet aussi au peuple de se divertir et de piller les buffets.
Cependant, à mesure que les travaux du château avancent, le roi accueille de plus en plus souvent en intérieur, en témoigne le premier souper donné dans le château à l’occasion d’une grande fête telle que les Fêtes de l’Eté de 1674. Ce n’est qu’en 1682 que Louis XIV décide de construire un théâtre dans l’aile Nord du château. Jules Hardouin-Mansard et Vigarani sont sollicités pour cette entreprise mais les travaux commencés resteront inachevés. Les pièces de théâtre et de musique continuent ainsi d’être jouées sur des scènes éphémères avec cependant une évolution : le manège de la Grande Écurie récemment bâtie accueille Persée de Lully, puis un théâtre est construit dans la cour des Princes, où sont jouées des comédies. Au Trianon de marbre, Louis XIV assiste à des opéras dans une salle initialement dévolue à la comédie. Progressivement, les divertissements prennent place dans des lieux dédiés, à l’image de l’appartement, au cœur de l’agenda festif des gentilshommes de la cour.
Les soirées d’appartement sont une occasion privilégiée pour les sujets de se rapprocher du roi. L’étiquette est suspendue le temps d’une soirée pour qui a été invité. Dans ses Mémoires, le duc de Saint-Simon en parle ainsi : elles se déroulent trois fois par semaine, entre sept et dix heures du soir. À cette occasion, le roi offre à ses invités musique, jeux et rafraîchissements. Le Mercure galant, journal fondé en 1672 par Donneau de Visé, traite ainsi des soirées d’appartement à la cour de Versailles : elles suivent un protocole particulier, en dehors des grandes cérémonies publiques. Le duc d’Aumont, Premier Gentilhomme de la Chambre, s’occupe des invitations en accord avec le roi. La garde est restreinte et la liberté de parler est entière. Les appartements, richement ornés, sanctuarisent un espace d’intimité entre le souverain et sa cour. Le roi passe ainsi de table en table, d’un jeu à un autre, et ne souhaite pas que l’on s’interrompe ni ne se lève pour lui. Donneau de Visé écrit : « On dirait, d’un particulier chez qui l’on serait, qu’il fait les honneurs de chez lui en galant homme. » Le cabinet du Billard est installé dans le salon de Diane, le salon de Mercure est réservé au jeu de la famille royale. Avec le temps, le roi se rend de moins en moins à ces soirées, leur préférant les soirées chez Madame de Maintenon pour travailler avec ses ministres. Cependant, il désirait toujours que ses sujets jouissent des plaisirs qu’il leur prodiguait. Quiconque s’attachait à plaire au roi se rendait à ces soirées.
Les nombreux jeux de la cour
Les grandes fêtes comptent de nombreuses déclinaisons hétéroclites. « Louis XIV aimait les femmes et le pouvoir […] il s’amusa et amusa la noblesse à des ballets et à des carrousels. » [1] dit Anatole France. Cette diversité des jeux sanctuarise le rythme de vie de la cour, habituée aux grandes manifestations festives comme aux événements plus intimes. Parmi les jeux de soirée d’appartements, on compte les cartes ou le billard que Monsieur et Monseigneur affectionnent particulièrement. De nombreux jeux apparaissent et disparaissent ainsi au gré des modes : le piquet, le trictrac, le whist, ou encore le brelan, le joc vers 1675, le lansquenet en 1695.
Mais les jeux prennent souvent plus d’ampleur. À l’occasion de la naissance du Dauphin, le 1er novembre 1661, est organisé un carrousel l’année suivante les 5 et 6 juin 1662. Le carrousel est d’origine italienne, le terme est issu de la contraction de deux mots latins : « carrus-soli », qui signifie « char du soleil ». Il est hérité des tournois médiévaux, intermédiaire entre les parades équestres et les jeux de guerre italiens, et consiste en un jeu militaire composé d’une suite d’exercices à cheval exécutés par des quadrilles de seigneurs richement vêtus, entremêlés de représentations allégoriques tirées de la fable ou de l’histoire.
L’événement se tient devant le palais des Tuileries. On aménage pour l’occasion la place en carrière, en plaçant devant un amphithéâtre. Un pavillon destiné à recevoir les reines, Marie-Thérèse et Anne d’Autriche, est dressé et prend la forme d’une architecture croisant les ordres dorique et ionique. Dans les étages supérieurs et inférieurs de la tribune richement ornée de velours violet garni de fleurs de lys, plusieurs personnalités de la cour prennent place. Le premier jour, entre dix-mille et quinze-mille personnes sont rassemblées sur la place, parmi lesquelles beaucoup d’étrangers et les notables parisiens. Le roi entre en scène suivi de Monsieur – le frère du roi –, du prince de Condé, du duc d’Enghien et du duc de Guise. Ils arrivent par la rue Richelieu, vêtus à la romaine dont le roi prend la figure de l’empereur portant un casque d’or serti de diamants et paré de roses. Son costume est fait de brocart d’argent rebrodé d’or et de pierres précieuses. Le harnois de son cheval et de couleur feu et d’éclats d’or, d’argent et de pierreries. Il est entouré de cavaliers musiciens dits de la brigade romaine et s’en va saluer la reine. Le second groupe de cavaliers est vêtu à la perse, et commandé par Monsieur. Le troisième est vêtu à la turque, et commandé par le prince de Condé. Le quatrième est vêtu à la mode des Indes, et commandé par le duc d’Enghien. Paraît enfin le duc de Guise, vêtu en roi des sauvages d’Amérique, dont le chapeau est garni de branchages. Au total, on estime à plus de mille le nombre de cavaliers lors de ce ballet équestre qui se poursuit par les courses de têtes contre une tête de turc et une autre de méduse. Le second jour est celui des courses de bagues : elles consistent à enfiler à la lance, en plein galop, une bague pendue par une ficelle à une potence. D’origine guerrière, cette tradition s’est adoucie depuis la mort d’Henri II en 1559, blessé à l’œil par un éclat de lance de bois. Bien que ce type de divertissement tende à s’effacer, le Grand Dauphin lui-même organise des carrousels en 1685 et 1686 : le premier est celui des « Galans Maures », où les participants sont coiffés de têtes de dragons, de harpies, trompes d’éléphants, bouquets de plumes, le second celui des « Galantes Amazones », donné dans la cour des grandes écuries. Il s’agit d’un divertissement galant, où « trente dames et trente seigneurs auront le plaisir de divertir la cour à leurs dépens. » [2] écrit la marquise de de Sévigné dans une de ses lettres.
Au contact de la nature dans la campagne giboyeuse de Versailles, la chasse est un sport particulièrement prisé par les Bourbons, notamment par Louis XIII qui aimait à se retirer dans son pavillon de chasse pour chasser le gibier à plumes ou le gros. Sous Louis XIV, la vénerie royale a la taille d’un petit village, et représente plusieurs centaines de chiens et de chevaux, et six cents personnes en ont la charge. La chasse à courre est un divertissement marquant la domination du roi sur la nature, à laquelle participe un public restreint resserré autour de la figure du souverain. À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV crée le Grand parc de chasse. C’est un vaste domaine clos par un mur dès 1683, avec une superficie de 11 000 hectares, forêt de Marly comprise, à la fin du règne. Pour assouvir son amour de la chasse, Louis XIV l’inscrit à l’étiquette : le matin, le roi gouverne, l’après-midi, il chasse. Parfois mais rarement, elle remplace même le conseil quand la journée est belle. Cette chasse prend deux formes : la chasse à tir se tient dans le grand parc, la chasse à courre en forêt. Le grand veneur accompagne le roi et a le privilège de se tenir à sa proximité. Ce privilège est tel que, sous le règne de Louis XV, Dufort de Cheverny rapporte : « Mon assiduité à la chasse plaisait au Roi. Je redoublai et M. le duc de Penthièvre me rencontrant un jour me dit : « Le Roi vous permet de prendre l’habit de l’équipage ». Il m’aurait donné un gouvernement, il ne m’aurait pas fait plus plaisir. » [3] À l’instar des soirées d’appartement, la chasse est un divertissement prisé des gentilshommes désireux de participer aux heures de détente royale.
La France fait une spécificité de ces fêtes qui, peu à peu, font du royaume le cœur du divertissement européen où s’épanouit le mythe français. Cette idée fait l’objet de la troisième partie de cet abrégé. (à suivre) ■
Antoine Trouvain, Le Jeu de Portique, Deux fils du Grand Dauphin : duc d’Anjou (futur Philippe V d’Espagne) et duc de Berry (Charles de France), prince de Galles et comte de Brionne
[1] Anatole France, Le Génie latin, p. 140.
[2] Lettre 899
[3] N. Dufort de Cheverny (1731-1802), Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution.
Le Rouge et le Noir