Tableau représentant la signature de l’armistice dans le wagon du maréchal Foch.
De droite à gauche, le général Weygand, le maréchal Foch (debout) et les amiraux britanniques Wemyss et Hope (assis), le ministre d’État allemand Erzberger (en manteau sombre, de dos), le capitaine de la Royal Navy Marriott (debout en arrière-plan), le Generalmajor Winterfeldt de la Deutsches Heer (avec casque à pointe), le comte Oberndorff des Affaires étrangères (en manteau clair chapeau à la main) et le Kapitän zur See Vanselow de la Kaiserliche Marine (tête nue en arrière-plan).
Par Rémi Hugues
Dans le cadre du centenaire du dénouement de la Grande Guerre, Rémi Hugues a rédigé pour les lecteurs de Lafautearousseau une suite dʼarticles très documentés qui seront publiés au fil des journées en cours. Ils pourront être objets de débats. Au reste, la guerre n’est plus exclue des perspectives mondiales d’aujourd’hui …
L’armistice et ses suites. Une victoire à la Pyrrhus
Jusquʼici nous avons surtout insisté, en traitant du rôle joué par lʼAction Française pendant la Première Guerre mondiale, sur les causes de celle-ci. Au fond son irruption serait – cʼest notre thèse – le fruit de la congruence de l’expansionnisme pangermaniste de la Prusse et du bellicisme antinomiste maçonnique, que Charles Maurras érigea en véritables fléaux minant la France.
Maintenant il est question dʼétudier les conséquences géopolitiques de la Grande Guerre. Pour clore cette série dʼarticles publiée à lʼoccasion du centenaire de le lʼarmistice du 11 Novembre 1918, nous nous bornerons à rappeler ce que lʼAction Française – et Jacques Bainville en premier lieu – pensait dudit armistice qui mettait fin à quatre ans de combats, dont lʼintensité fut sans précédent, et qui déboucha sur un certain nombre de traités de paix dont le plus important parmi eux fut le « diktat » de Versailles (photo).
Bainville annonce la chute du Reich
Notons dʼabord que Bainville ne fut pas surpris par la défaite de lʼAllemagne. Dès le début de lʼannée 1918 il lʼavait en effet anticipée. Ce quʼil écrit dans son Journal en date du 31 janvier 1918 en atteste :
« Le 27 janvier, jour de la fête de Guillaume II (photo), tandis que nos soldats entendaient des chants et des hymnes monter des tranchées allemandes, plus de 200 000 ouvriers faisaient grève à Berlin. Le même jour, une élection partielle pour le Reichstag, à Bautzen, mettait aux prises un socialiste et une conservateur annexionniste. Le socialiste lʼemportait et sʼemparait dʼun siège de la droite, mais à quelques centaines de voix seulement sur près de vingt mille électeurs. La motion de paix du 19 juillet a eu pour elle, à Bautzen, la majorité. Mais le programme des annexions a encore recueilli un nombre de suffrages important.
Ce que nous voyons et ce que nous apprenons de lʼAllemagne confirme ces indices : il apparaît que deux courants en force encore sensiblement égale se partagent lʼopinion publique allemande. Il y a ceux, et leur nombre grandit, qui sont las de la guerre, ceux qui nʼen peuvent plus des privations et de souffrances. Et il y a ceux qui veulent que ces misères soient endurées jusquʼà ce que lʼAllemagne soit récompensée de son miracle dʼénergie par un surcroît de grandeur et de richesse.
Tel est le conflit. Selon le mot juste du Vorwaerts, lʼarc allemand a été trop tendu. Le militarisme prussien a demandé aux peuples dʼAllemagne des efforts qui dépassent les possibilités humaines. Cet excès devait finir par entraîner une réaction. Il devait finir par se payer. Le parti militaire doit lutter aujourdʼhui pour obtenir de nouveaux sacrifices, et lʼAllemagne les consentirait plus volontiers si elle croyait encore à la victoire. Mais la foi nʼy est plus.
Le discours que Scheidemann a prononcé à la Commission principale du Reichstag est important à cet égard. Cʼest un signe des temps que le chef socialiste ait pu railler ceux quʼil appelle ironiquement les Schertsieger, ces partisans de la victoire par la force du glaive dont le grand tort est de nʼavoir jamais remporté nulle part de succès décisif. Quʼune nuance de ridicule commence à sʼattacher au militarisme prussien, que les Allemands eux-mêmes, si peu subtils, en viennent à sentir que le matamore pangermaniste nʼest plus en harmonie avec les circonstances, cʼest un symptôme nouveau et quʼon ne saurait négliger. Il est plus significatif encore que Scheidemann ait protesté contre le gaspillage de vies humaines quʼentraînerait la nouvelle offensive projetée sur le front occidental par le haut commandement et contre la vanité des plans de lʼétat-major.
Il est peu probable dʼailleurs que le parti militaire se laisse intimider si facilement. Il compte encore des appuis sérieux dans lʼopinion publique elle-même et il ne paraît pas près de renoncer à la partie. Sʼil le faut, il nʼhésitera pas à user de la répression.
Seulement, jusquʼici, son outrance a fait plus quʼautre chose pour troubler et pour gâter les esprits en Allemagne… Le militarisme prussien joue à découvert. Cʼest un jeu qui nʼest pas sans danger. Cʼest aussi le vrai jeu. »[1]
Ce jeu à découvert aura finalement perdu lʼAllemagne. Le soulagement et la joie ressentis par les Français au moment de lʼannonce de lʼarmistice, lʼAction Française les partage à peine. Pour Maurras et les siens la paix obtenue nʼest pas satisfaisante. Cʼest un faux-semblant, une paix illusoire, à la Pyrrhus, qui en a lʼapparence mais pas la consistance.
Cette paix est donc transitoire, illusoire : « LʼAction Française fut un des rares journaux où lʼon comprit que lʼarmistice ne marquait rien de plus quʼune suspension des hostilités. À quelles fins ? Pour combien de temps ? Les décisions à prendre au cours des quelques mois à venir le diraient. Toute lʼénergie des royalistes tendit alors vers la conclusion dʼune ʽʽpaix françaiseʼʼ, de la paix qui, selon eux, devait le mieux servir les intérêts nationaux. […] LʼAction Française réclamait, en effet, la division de lʼAllemagne, lʼannexion par la France de Landau et de la Sarre et dʼune sorte de protectorat français sur le reste de la Rhénanie. »[2]
Les conditions de la paix posées à Versailles ne satisfont aucunement Bainville, qui, le 8 mai 1919, écrit un papier dans LʼAction Française au titre aussi perspicace que prophétique : « Une paix trop douce dans ce quʼelle a de dur. » Il y développe une thèse lumineuse qui prend la forme dʼun chiasme : le traité de Versailles est trop faible dans ce quʼil a de dur, trop dur dans ce quʼil a de faible. (A suivre) ■
[1] Jacques Bainville, Journal, Paris, Plon, 1948, p. 204-205.
[2] Eugen Weber, LʼAction Française, Paris, Stock, 1964, p. 137.
Cette suite d’articles – avec peut-être des points sur lesquels on peut discuter – est du bon travail tout à fait intéressant. Merci à son auteur.