Également dans le Figaro, Soljenitsyne a été défini comme « conservateur libéral » (Chantal Delsol). Cette tribune de Mathieu Bock-Côté n’est certes pas une réponse à cette affirmation à tous les sens du mot hasardeuse. Mais sa réflexion au fil des lignes et des idées conduit à une tout autre compréhension de la pensée du grand Russe. Beaucoup plus profonde et plus juste selon nous. [Le Figaro, 23.11]. Nous faisons suivre cette tribune du discours intégral d’Alexandre Soljenitsyne aux Lucs-sur-Boulogne – en 1993, il y a 25 ans – où il dit le fond de sa pensée sur toute forme de révolution. LFAR
La commémoration des 100 ans de la naissance de Soljenitsyne permet de revenir sur une existence qui a incarné de la manière la plus exigeante qui soit la figure de la dissidence au XXe siècle.
Elle permet aussi de revisiter l’œuvre d’un homme qui a théorisé la résistance au totalitarisme, en décryptant de quelle manière il pervertit l’âme humaine et déstructure les repères fondamentaux de la conscience. Soljenitsyne ne s’imaginait pas en lutte contre une forme radicalisée de la dictature mais contre un régime politique inédit, broyant la part la plus intime de l’être humain.
On le sait, pour Soljenitsyne, l’institutionnalisation du mensonge est la marque distinctive du totalitarisme. Orwell l’avait noté, il veut forcer l’homme à dire que 2 + 2 = 5. À la manière d’un régime idéocratique, il pose une vérité officielle, à laquelle tous doivent souscrire, surtout lorsqu’elle est contraire à la vérité effective des choses. Le totalitarisme oblige l’homme à dire le contraire de ce qu’il pense, et même le contraire de ce qu’il voit. Plus encore, il doit le dire avec enthousiasme. Devant les savants officiels du régime,il doit répéter les «vérités» décrétées, même si, au fond de lui-même, il lui arrive encore de les savoir fausses. Milosz avait noté que ce dédoublement de l’être provoque une forme de schizophrénie.
La première forme de résistance au totalitarisme consiste alors à oser dire la vérité, en appelant un chat un chat. Mais où trouver la force pour résister au totalitarisme? Comment tenir devant un dispositif qui prétend confisquer le sens de l’histoire et qui ne veut voir dans ses opposants que le bois mort de l’humanité ou des résidus historiques insignifiants? Pourquoi lutter quand on en vient à se croire vaincu d’avance? La dissidence n’est-elle qu’un témoignage moral sacrificiel à classer sous le signe du martyre? C’est ici que Soljenitsyne se distingue: l’écrivain n’a jamais douté de sa victoire. Même en exil, il était persuadé de pouvoir un jour revoir son pays libéré et ayant renoué avec ce qu’on appellerait aujourd’hui son identité.
Plusieurs l’ont noté, la philosophie de Soljenitsyne était ancrée dans un patriotisme russe et une foi orthodoxe profondément enracinés – elle ne se réduisait pas à un libéralisme fade, étranger à la transcendance, enfermant l’homme dans une conception aussi matérialiste qu’horizontale de l’existence. Si on préfère,elle s’enracinait à la fois dans un ensemble de traditions nationales et religieuses, comme ce fut souvent le cas dans la dissidence des nations d’Europe de l’Est, qui conjugua le plus naturellement du monde identité et liberté. La piété, qu’elle soit patriotique ou religieuse, n’est pas l’ennemie de la liberté: elle peut même l’alimenter.
Le totalitarisme entend soumettre l’homme intégralement, pour fabriquer ensuite l’homme nouveau à travers le contrôle complet de tous les mécanismes de socialisation. Mais l’homme n’est pas intégralement manipulable. Sa naissance dans une nation historique particulière qui demeure pour lui une source précieuse d’identité et sa quête spirituelle qui le pousse vers les fins dernières révèlent une nature humaine que le pire ordre social ne peut jamais complètement écraser et à partir de laquelle l’aspiration à la liberté peut rejaillir. La conscience de sa filiation comme celle de sa finitude fondent paradoxalement pour l’homme la possibilité de sa liberté. C’est parce qu’il était rattaché au monde par les racines les plus profondes et par ses aspirations les plus élevées que Soljenitsyne a su résister au communisme.
Soljenitsyne l’avait vu avant tout le monde: l’Occident n’est pas lui-même immunisé contre le totalitarisme. La démocratie contemporaine en reconduit certains schèmes à travers le fantasme d’une pleine maîtrise du vivant ou de l’existence sociale, où se laisse deviner encore une fois la figure de l’homme nouveau, qu’on voudrait aujourd’hui sans sexe, sans parents, sans patrie, sans religion et sans civilisation. Il est bien possible que nos traditions les plus profondes soient encore une fois celles qui nous permettront de résister à l’hubris d’une modernité qui assujettit l’homme en prétendant l’émanciper.
Et comme on lisait hier la Pravda en apprenant à la décoder, on lit aujourd’hui entre les lignes de certains journaux pour décrypter la part du réel que le régime diversitaire ne peut dévoiler sans se fragiliser. Qu’il s’agisse de l’idéologie du genre, du multiculturalisme qui déracine les peuples et les expulse mentalement de chez eux en diabolisant le désir d’avoir un chez-soi ou de la névrose du politiquement correct qui enferme le monde de la pensée dans un monde parallèle, fondé sur la falsification du réel, il faudra aussi retrouver le courage de dire la vérité. ■
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Toujours la même acuité chez Mathieu – Bock – Côté .
Soljenitsyne , quel symbole , d’avoir quitté l ‘ URSS totalitaire puis , la Russie délivrée , revenu au Pays natal , laissant l ‘Occident qui commençait à détecter le slavophile ,
l’Occident récupérant en version » libérale » l’internationalisme et le conditionnement des esprits , Soljenitsyne n’y était plus à sa place .
Par contre nous avions gardé notre » Russe Blanc » ( Henri Troyat ) déjà oublié .
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Le pompon , c’est cette récupération , par le Figaro , de Soljenitsyne , javellisé en » conservateur libéral » .