Par Rémi Hugues
Au moment où s’achève l’année du cent-cinquantenaire de Charles Maurras, Rémi Hugues nous propose une série de quatre articles – à venir les jours suivants, « Rétrospective : 2018 année Maurras ». Notre collaborateur et confrère y évoque différents aspects ou moments importants de la vie et l’oeuvre de Charles Maurras à travers les écrits fort contestables de Michel Winock, l’un des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, « une figure dʼautorité. » Bonne lecture ! LFAR
In Winock veritas ?
Dans le milieu des historiens organiques de la République française du XXIe siècle, Michel Winock est une figure dʼautorité[1]. Fort de son statut de conseiller auprès de la rédaction du mensuel LʼHistoire, il sʼest donné la peine dans le numéro de juin 2018 dʼexprimer son point de vue expert à la piétaille qui nʼy comprend rien – nous les gueux sans doctorat ni agrégation – sur le cas Charles Maurras, qui depuis quelque temps a reçu un nouveau sobriquet : « M le Maudit ».
Il est vrai que Michel Winock (photo) sʼest spécialisé dans lʼétude des figures « réactionnaires » (pour reprendre le vocable du libéral Benjamin Constant[2], vocable si cher aux socialo-communistes) de lʼhistoire littéraire de notre pays, comme Léon Bloy. Visiblement, Winock est attiré par les plumes talentueuses ! Confondant analyse historique et jugement moral, il se plaît dans le rôle de parangon de vertu républicaine, livrant les bons et les mauvais points. Untel a bien agi en 1789, un autre sʼest très mal comporté pendant la Commune, lʼattitude de celui-là fut indigne dans les années 1930 et 1940, heures les plus sombres de la doxa médiatique.
Il se garde bien en revanche dʼinsister sur le génocide de 1793-1794 commis par les révolutionnaires en Vendée, contribuant à lʼindigne « mémoricide » perpétré par lʼÉcole républicaine. Quelle horreur ce serait de salir lʼimage de Marianne : le professeur Winock profite des prébendes depuis tant dʼannées ! Quoi de plus ignoble que de blâmer la République !
En synthétisant la bien-pensance contemporaine relative à la représentation des faits historiques, Winock joue le rôle de guide des âmes en peine qui pourraient être troublées par les sirènes du populisme, du chauvinisme ou du passéisme, les pires maux de ce siècle à en croire la caste « ripoublicaine » qui nous gouverne.
Comme le suggèrent le titre de lʼarticle puis son contenu, ce qui obnubile Winock chez Maurras cʼest son rapport à la question juive et à Adolf Hitler. En choisissant « La revanche de Dreyfus ? » comme titre, il fait un clin d’œil à la saillie que prononça Maurras en apprenant sa condamnation à l’indignité nationale et à la détention à vie pour intelligence avec lʼennemi en 1945 : « cʼest la revanche de Dreyfus ! »
Winock se fourvoie dans le réflexe pavlovien, en vogue chez les penseurs stipendiés, de la reductio ad hitlerum. Une autre historien, lʼAméricain dʼorigine russe Yuri Slezkine, commente cet état de fait en ces termes : à partir des années 1970 « lʼHolocauste devint tout à la fois lʼépisode central de lʼhistoire juive et de celle de lʼhumanité et un concept religieux transcendant concernant un événement réputé incomparable, incompréhensible et irreprésentable. »[3] Et Adolf Hitler de représenter le Mal pris comme un principe transcendant. « La conséquence la plus profonde de la Seconde Guerre mondiale a été la naissance dʼun nouvel absolu moral, celui du nazisme comme mal universel. »[4]
Du haut de sa science Winock édicte une fatwa, dʼoù Maurras sort plutôt sacrilège quʼen odeur de sainteté. Cʼest le moins que lʼon puisse dire. Mais à délaisser la raison au profit de la morale, lʼon risque de se commettre en imprécisions, inexactitudes, inepties.
Commençons par ce qui est dʼordre factuel. Winock écrit que Maurras aurait « défrayé la chronique au mois dʼavril 2018 ». Or cʼest quelques mois plus tôt, en janvier, que la polémique a éclaté lorsque le ministère de la Culture de Madame Nyssen a publié le cahier des commémorations officielles de lʼannée 2018, où le nom de « M le maudit » apparaissait, avant de le retirer, sous la pression des Valls et consorts. Mis à part les intimidations de la gauche contre les organisateurs dʼun colloque qui sʼest tenu à Marseille le 21 avril[5] – affaire relayée par quelques titres de presse comme La Provence ou La Croix –, rien dʼautre de retentissant ne sʼest passé au sujet de Maurras en avril.
Outre sʼemmêler les pinceaux dans les dates – un comble pour un historien –, Winock sʼembrouille quant aux notions « nationalisme », « nationalisme intégral » et « conservatisme ». Il se montre incapable de définir rigoureusement ces termes. Pour lui ils sont équivalents. Alors que le nationalisme, concept originellement de gauche, peut être aussi bien progressiste que traditionaliste, renvoyer tant au jacobinisme des Robespierre, Thorez, Chevènement ou Mélenchon (ce dernier a axé sa campagne présidentielle de 2017 autour de la défense de la souveraineté française contre les diktats de lʼUnion européenne) quʼau catholicisme des Barruel, Barrès, de Villiers ou Jean-Marie Le Pen. Cʼest pourquoi Maurras insistait pour que le nationalisme soit intégral, c’est-à-dire monarchique : un nationalisme conséquent ne pouvant à ses yeux que vouloir perpétuer lʼhéritage glorieux de la France, dʼessence catholique et royale, eu égard à sa fondation par un roi converti au christianisme et à son attribut, dont elle sʼenorgueillit jusquʼen 1789, de « fille aînée de lʼÉglise ».
En outre, cʼest une erreur dʼidentifier le nationalisme intégral de Maurras à un conservatisme, idéologie qui vient dʼAngleterre (des Tories) et qui est donc étrangère à notre culture politique. Même si, aujourd’hui, un certain courant intellectuel plutôt traditionaliste et largement antimoderne, lui donne un sens nouveau, en France et ailleurs. Comment est-il possible de sʼattacher à vouloir conserver des mœurs et un droit positif qui, du fait du changement social, évoluent constamment ? En 2010 si je suis conservateur je suis contre le mariage pour les homosexuels. En 2018 en tant que conservateur je suis favorable au maintien de lʼexistant, au statut quo, donc à la loi Taubira qui accorde aux homosexuels le droit de sa marier.
Pour Winock toutes ces idéologies sont anathèmes, il nʼy a donc pas lieu dʼen saisir les subtilités. (A suivre) ■