par Louis-Joseph Delanglade
Alors même qu’il n’était pas encore signé par M. Macron et Mme Merkel, le traité d’Aix-la-Chapelle était dénoncé par « le camp souverainiste ».
Comme d’habitude, les chroniqueurs de France Inter ont été parmi les premiers et les plus zélés défenseurs de M. Macron contre Mme Le Pen et M. Dupont-Aignan, parlant « d’exagérations et de fausses informations » (M. Haski, 21 janvier), voire de « délires » (M. Legrand, 23 janvier). Certes, ces chroniqueurs avaient raison de rappeler que ledit traité ne prévoyait ni la cession de l’Alsace-Lorraine à la Prusse ni le partage du siège de la France au Conseil de sécurité de l’Onu. En affirmant le contraire, Mme Le Pen et M. Dupont-Aignan ont donc donné du grain à moudre à leurs détracteurs et, peut-être, desservi leur cause, à moins que leur calcul politicien de procès en « trahison mondialiste » ne se révèle payant en cette période de campagne pré-électorale.
On peut bien sûr benoîtement penser que M. Macron est allé signer un traité bilatéral visant à renforcer une alliance équilibrée, c’est-à-dire une alliance où chacun des partenaires trouve son compte : ce faisant, il se serait inscrit dans la conception gaullienne de coopération entre nations souveraines, de Gaulle lui-même ayant signé avec Adenauer le fameux « traité de l’Elysée » (22 janvier 1963). Si l’on se donne la peine d’aller au fond des choses, on doit pourtant admettre que le traité d’Aix-la-Chapelle n’est pas si anodin que cela – on le prétendait même « symbolique » à l’Elysée. Derrière les mots se cachent des réalités.
Voici donc un traité qui vise explicitement à renforcer la convergence et l’harmonisation des économies française et allemande, d’abord de part et d’autre de la frontière, zone choisie pour l’application stricte de toutes les directives et réglementations édictées par la techno-structure bruxelloise, ce laboratoire géographique constituant le début d’un processus élargi. Ce traité, dans l’esprit de la philosophie transfrontalière qui le sous-tend, vise en fait la diminution et si possible à terme l’effacement des souverainetés nationales, conformément à une logique « impériale », très germanique (rappelée le 21 novembre par Mme Merkel elle-même) mais radicalement étrangère à notre Histoire.
Posons donc les bonnes questions. Que pèsera, face au mastodonte allemand, une France industriellement exsangue dans une « zone économique franco-allemande dotée de règles communes » ? Comment Paris gardera-t-il la main sur des « eurodistricts » bénéficiant de compétences supranationales ? Est-il raisonnable d’envisager ne serait-ce que des fiançailles avec un pays à la balance commerciale duquel la monnaie commune rapporte bon an mal an près de deux cent cinquante milliards quand elle nous en coûte près de soixante-dix ?
Il est douteux que nous obtenions des réponses satisfaisantes. La démarche germanophile de M. Macron, fondée sur un dangereux cocktail d’aveuglement et d’entêtement euro-fédéralistes est plutôt suspecte ; elle justifie en tout cas les critiques dont elle est l’objet, même s’il vaut mieux se garder de toute outrance. ■
La politique de Macron se résume en une phrase « Le gouffre est devant nous, faisons un pas en avant ». Avant de conclure un marché, quel qu’il soit, on rassemble ses forces d’abord, puis on traite ensuite, mais la poupette à la tête de l’Etat fait exactement le contraire, comme pour tout le reste d’ailleurs. Misère de la maladie mentale.
Dés sa signature , le traité de l’ Elysée faisait l’ objet de remarques et supputations mais n’avait que peu d’effets . .
Aix-la Chapelle , dans la lignée ( le prestige des signataires en moins ) n’est que de la » com » .
Édifiants les points de vue français et allemands ( exposés dans une revue : DOCUMENTS 18 e année 1963 – mai-juin – ) . Quelques uns :
Point de vue Français
( Henri Frenay . Ancien Ministre )
» Il ne peut y avoir d’entente profonde et durable entre les deux pays que dans une même perspective qui vise à ce qu ‘ il ne puisse y avoir demain qu’ une seule politique européenne qui s’imposerait malgré les sautes d’ humeur et les changements des hommes . Il n’ en sera ainsi que lorsque tous les partenaires seront d’ accord pour construire des institutions dont l’ évolution conduira à un Parlement et un Gouvernement européen dégageant une politique commune , notamment dans la perspective d’ une alliance équilibrée avec les USA .
De cette construction européenne , de Gaulle , fidèle au principe de l’ intangibilité des souverainetés nationales , ne veut pas . Son Europe , dite des patries , s’ oppose à l’ Europe fédérale nécessaire . Mieux , elle met en danger les institutions communautaires existantes . » etcetera .
Point de vue Allemand ( Harry Pross )
» L’ objectif de la communauté franco-allemande , la lumière qui éclaire la route commune , c’ est la paix en Europe . Si l’un ou l’ autre des deux pays en revient aux conceptions passées , c’ en est fait de la communauté . Ni les visées de la France à l’ hégémonie , ni celles de l’ Allemagne ne sauraient assurer la paix . L’ Europe ne supportera ni » l’ Allemagne , l’ Allemagne au – dessus de tout » , ni une France aspirant à devenir la Prusse de l’ unité européenne . »
etcetera .
La balance commerciale allemande n’est pas que due à la monnaie de compte. D’autres pays sont aussi en positif. Mais la Deutsche AG a su profiter de l’élargissement à l’Est pour établir des sous-traitances industrielles qui outre le volume accru de production, maintiennent des prix compétitifs à l’international. Il n’y a pas que les automobiles ; la plupart des jeans allemands sont coupés en Russie.
La cigale France a laissé mourir ou partir son industrie, on se demande encore à quel motif. C’est Serge Tchuruk qui déclarait chez Alcatel-Lucent vouloir produire sans infrastructures industrielles en propre. Il avait derrière lui une suite de ruines impressionnantes, mais qui en a tenu compte ?
En fait, sauf dans le luxe ou l’aéronautique, il n’y a pas en France ou pas assez de capitalistes français capables de l’orgueil nécessaire pour investir dans tous les secteurs nécessaires à une puissance industrielle. Endogamie stérilisante et enfer fiscal ont eu raison des nouveaux entrepreneurs fortunés ou géniaux.
Le concept en vogue de « startup nation » va se fracasser dans les tours de table ; aucun acteur ici n’a de chéquier à son nom, qui peut signer un demi-milliard de dollars à la fin de la réunion ; tous sont pendus aux banques publiques ou privées, même Bolloré. Pas de cash circulant. Ces gens existent ailleurs : en Chine, aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne, en Russie.
Le traité d’Aix est en ce sens déséquilibré par la différence de niveau, et on peut prédire que les euro-districts se germaniseront forcément puisque le travail et les réseaux commerciaux seront offerts par la partie allemande. Trente-cinq ans de hamac, ça se paie ! Le dernier président « industriel » était Pompidou. Lui ont succédé des touristes de SciencesPo à principes socialistes.
Marine Le Pen n’a pas complètement tort, elle en a l’intuition d’un anschluss économique rampant mais elle n’a pas su l’expliquer.
Déjà privée ou débarrassée de ses colonies, l’Allemagne a du en plus réduire ses forces militaires. Pendant que la France dépensait pour maintenir l’Indochine et l’Algérie comme terres françaises, et en plus se dotait de l’arme nucléaire, l’Allemagne, elle, n’étant pas soumise à, ses contraintes, se consacrait uniquement à l’économie ( comme le JAPON). Bref pendant que la France dépensait des milliards, Notre voisine s’enrichissait
Je partage le point de vue de Kardaillac. De Gaulle et Pompidou avaient reconstruit une France ambitieuse notamment dans sa politique industrielle. Leurs successeurs n’ont pas été capables de maintenir la même ambition. Giscard au fond de lui admirait et respectait, selon ses propres termes, le socialisme. Les Français soixante-huitards qui ensuite ont élu Mitterrand avec le programme commun de la gauche socialo-communiste, se sont vautrés dans les mythes du socialisme à la française, avec la civilisation des loisirs, la baisse du temps de travail pour les salariés et les fonctionnaires sans diminution de salaire, la croissance zéro, l’argent facile avec les déficits des comptes publics, le cocooning et l’anticapitalisme tout azimut avec notamment la création du funeste IGF qui a fait fuir les grandes fortunes françaises lesquelles ont investi leurs richesses sous d’autres cieux que ceux de la France. Macron est le premier dirigeant qui essaie de changer enfin le cours des choses mais ses insuffisances, sa méthode, son style et son langage immatures sont critiquables et énervent beaucoup de gens.
Il me semble qu’à la suite de l’article de LJD, chacun des commentaires ci-dessus dit une part de vérité.
Setadire souligne le fait que l’Allemagne d’après-guerre n’a pas eu la tache – qui fut si lourde pour la France – de défendre et finalement de perdre un empire colonial. Pas davantage de charge militaire, puisqu’elle n’a quasiment pas d’armée. Mais il faudrait ajouter, je crois, qu’en revanche, ayant été coupée en deux en 1945, elle a dû consentir un effort colossal pour intégrer et remettre à niveau ses länder de l’Est – l’ex-RDA – ruinés par 45 ans de régime communiste. Cette réintégration d’un pays détruit de près de 20 millions d’habitants a été la grande affaire de notre voisin d’Outre-Rhin. Il y a fallu des sacrifices et une énergie peu communs. Aujourd’hui, après avoir payé un prix très lourd pour elle-même, l’Allemagne ne supporte pas l’idée de payer pour les autres. Faut-l s’en étonner ?
Kardaillac me semble décrire avec justesse quelle a été la politique industrielle du patronat allemand comme cause de la prospérité globale du pays, laquelle ne peut être attribuée uniquement à l’avantage monétaire que constitue l’Euro, même s’il est bien réel et conséquent. Il faudrait avoir l’honnêteté d’esprit de reconnaître qu’à l’inverse du patronat allemand qui a redéployé ses industries, notamment par une sous-traitance maîtrisée à l’Est après l’effondrement du bloc soviétique, dans un esprit instinctivement volontariste et national, le patronat français a largement abdiqué et abandonné tout esprit d’ambition nationale, bradé purement et simplement des pans entiers de notre industrie, et cédé à toutes les sirènes de la mondialisation. Patronat et Etat ont largement partagé le même esprit d’abandon.
Le couple franco-allemand, compte-tenu des disparités qui se sont creusées entre les deux Etats ne peut plus être une réalité. Il mime seulement les gestes et prononce les mots d’un couple. La réalité n’y est plus. Rien à voir, donc, avec la situation du dit couple au moment où le traité de l’Elysée fut signé. Lequel pourtant constitua très vite une déception pour la France tandis que l’Allemagne manifestait aussitôt après ses réserves et ses réticences.
Bainville dit que pour être libre, il faut être fort. Mais pour l’être ou le redevenir, il ne suffit pas d’un claquement de doigt, comme semble le croire le président Macron. Un redressement français est sans-doute possible mais supposerait une politique adéquate puissante sur quinze à vingt ans.
L’idée que la pérennité de la prospérité allemande n’est pas assurée notamment à raison de son effondrement démographique, ne devrait en aucun cas nous dispenser de cet effort. Il n’y a pas qu’un seul dragon économique – et militaire – dans le monde.