Alain de Benoist
Entretien avec Édouard Chanot journaliste chez Sputnik
Publié dans Le bien commun* – N° 4 – février 2019
Les lecteurs de Lafautearousseau liront, commenteront.
Édouard Chanot est journaliste chez Sputnik. Il a mené l’enquête sur les idées de la Nouvelle Droite dans un reportage remarquable. Jeune journaliste, passionné de philosophie politique, il a accepté de répondre au Bien Commun pour expliquer sa démarche. Un reportage intitulé : Guerre culturelle, Faut-il diaboliser la nouvelle droite ? Fidèle à la tradition d’Action française, Le Bien Commun discute avec toutes les intelligences.
Alors que la nouvelle droite a ébranlé le débat intellectuel français, il y a maintenant quelques décennies, pourquoi leur avoir consacré un reportage ?
La renaissance d’un mouvement, où tout du moins son retour, est en soi un phénomène assez rare et remarquable. La Nouvelle Droite ébranle de nouveau le débat, ne serait-ce que par les inimitiés qu’elle s’attire. Tout cela peut sembler marginal bien sûr – les intellectuels accompagnent ou expriment les bouleversements davantage qu’ils ne les provoquent… Mais quand même, quelquefois tiennent-ils des propos prémonitoires. Alors dans notre pays qui affectionne les polémiques et traverse une crise du sens, les intellos ont leur mot à dire et l’on ne perd jamais son temps à lire ceux de la nouvelle droite.
En fait, trop de contre-vérités, mêlant diabolisations calomnieuses et ignorances délibérées, circulent sur celle-ci. La palme revenant à Raphaël Glucksmann (Photo) , qui fit d’Alain de Benoist le père du poutinisme… Il est évidemment possible de critiquer la ND, mais dans ce cas faisons-le sans moralisme. Le philosophe Léo Strauss pensait en premier lieu nécessaire, pour saisir un penseur, de le comprendre tel qu’il se comprenait lui-même. Je suis journaliste, et non inquisiteur, j’ai tâché de faire de même. Il fallait traiter les Neo-droitiers honnêtement. J’espère y être parvenu.
La pensée de la nouvelle droite put paraître hégémonique dans son camp lors de son apparition. En un temps d’hégémonie politique de la gauche ces questions étaient elles intéressantes d’un point de vue journalistique ?
La ND était, me semble-t-il, plus avant-gardiste qu’elle n’était hégémonique à ses débuts. Elle a cherché à ouvrir des pistes à une droite dominante au début du siècle dernier, mais a été peu à peu brisée par ses défaites successives. Ses inspirations très nietzschéennes, son européisme, son néopaganisme, qui peuvent paraître étranges, exprimaient aussi l’air du temps New Age et la révolution
sexuelle. Bien qu’elle prît le contre-pied du libéralisme conquérant à droite, elle a épousé son époque plus aisément que d’autres, qui rechignaient à abandonner des combats perdus.
Aujourd’hui, l’hégémonie de la gauche est déjà fissurée – d’ailleurs, il me semble plus juste de qualifier de libérale libertaire la doxa hégémonique, ce qui revient à relativiser qu’elle soit purement de gauche. Dès lors, l’intérêt actuel de la ND devient plus évident : ses idées centrales remettent justement en cause cette doxa.
Il me semble aussi que la droite, au sens le plus large, a remporté trois grandes victoires conceptuelles et sémantiques depuis une décennie : d’abord, le concept d’identité, ensuite celui de grand remplacement et, plus récemment, celui de désignation de l’ennemi, à la suite des attaques dhihadistes. Deux des trois sont le fait de la ND et l’autre, vous le savez bien sûr, provient de Renaud Camus. Car c’est le GRECE qui a lancé le concept d’identité dans les années 70, et c’est Julien Freund et Alain de Benoist qui ont rendu Carl Schmitt et sa désignation de l’ennemi accessibles en France. On la retrouve désormais dans les essais de Zemmour ou de Buisson (Photo), pourtant étrangers au courant révolutionnaire conservateur germanique dont la ND est l’héritière.
Vous faites intervenir Charles Gave en réponse aux arguments d’Alain de Benoist. La réponse libérale à ces arguments est de plus en plus minoritaire L’école libérale française est-elle encore partie prenante du débat intellectuel ?
Grand paradoxe en effet : Charles Gave est une figure d’un libéralisme théoriquement pur et dur, classique et orthodoxe, mais libéralisme néanmoins minoritaire parmi les libéraux de nos jours. L’école libérale française est numériquement faible, sur le déclin, même si des personnalités comme Agnès Verdier-Molinié ou cet enfant gâté de Gaspard Koenig ont leurs ronds de serviette aux bonnes enseignes médiatiques. Mais au fond peu importe : le libéralisme ne s’impose pas en France par les intellectuels et le débat public hexagonal, il l’a perdu depuis belle lurette. A quoi bon débattre là, quand la classe dirigeante se forme dans les business schools et lit The Economist, avant de rejoindre les firmes américaines ou les institutions supranationales ? Tout cela est bien plus efficace pour modifier ouvertement les moeurs et les esprits des Français.
On a souvent reproché à la nouvelle droite de cacher une critique racialiste derrière la dénonciation de l’idéologie du même. Cette critique vous semble-t-elle fondée ?
Vous me contraignez là à un procès d’intention ! Cela étant dit, le discours caché de la ND est inconcevable : par définition, comme tous les -ismes, le racialisme circonscrit une cause première et unique de l’histoire humaine, en l’occurrence la race. Or, il suffit de lire les revues de la ND pour se rendre compte de son sens extrême des pluralités. Ses intérêts et ses perspectives sont innombrables.
Bien sûr, Alain de Benoist évoque le métissage dans cette idéologie du même. Mais cela fait quand même trois décennies qu’il se préoccupe bien peu des questions ethniques, même si l’on trouve une petite page sur les avancées génétiques dans Eléments. Je crois Alain de Benoist très honnête quand il critique l’ethnocentrisme,
et il a eu une influence considérable à cet égard, en éloignant les efforts des intellos de la droite radicale vers d’autres problématiques, plus économiques ou philosophiques.
Indéniablement, un basculement s’est opéré dans les années 80 au sein de la mouvance, entre le racialisme (porté vers la hiérarchisation) et l’ethno-différentialisme, conséquence d’une lecture de Claude Levi-Strauss (Photo). Il n’y a donc rien de caché, et Jean-Yves Camus l’explique très bien dans le reportage [références ci-dessous ndlr], je vous laisserai donc l’écouter !
Cela dit, je parierais que les questions ethniques reviendront peu à peu, sous la contrainte des circonstances. Certains le font déjà sur internet, en général avec maladresse, mais il est à la fois possible et souhaitable de traiter la question sérieusement. Peut-être les revues de la ND seront-elles en mesure de le faire et de montrer l’exemple… sans oublier ce qu’écrivait Spengler : « qui parle trop de race n’en a plus »
Propos recueillis par Charles du Geai.
Reportage à retrouver sur
https://fr.sputniknews.com
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Voilà un article qui me paraît poser honnêtement les choses. Dieu sait si un maurrassien « de stricte obédience » pouvait être révulsé par la Nouvelle Droite lorsqu’elle est apparue au grand jour, surgissant des décombres de la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) et d' »Europe-Action » où avaient sévi Alain de Benoist (sous le pseudonyme Fabrice Laroche), François d’Orcival, Dominique Venner…
Après la scission de la NAF, quelques uns sont allés voir de ce côté, mais n’étaient déjà plus d’AF.
Ce que je lis quelquefois dans LFAR d’Alain de Benoist ma semble en tout cas bien plus pertinent que les cueillettes du gui païennes et ridicules organisées dans les années 70.