Par Mathieu Bock-Côté
CHRONIQUE – La France doit-elle accepter le retour de combattants qui ont renié la nation et ses valeurs ? Les grilles d’analyse traditionnelles ne permettent pas d’apporter une réponse efficace et satisfaisante. Car les djihadistes français ne sont pas simplement des criminels, mais des traîtres. [Le Figaro, 8.02]. On verra que Mathieu Bock-Côté repousse très loin ou très profond les limites de son analyse. De sorte qu’elle sous-tend une seconde question : n’y a-t-il pas aussi trahison de la part de ceux – gouvernants, élites, médias – qui leur ouvrent les portes de leur retour ? C’est très clair pour nous : la réponse est oui. LFAR
L’impuissance politique et intellectuelle des nations occidentales
Il y a peu de questions aussi délicates que celle du retour des djihadistes occidentaux dans leurs pays respectifs, et elle fait débat en France en particulier. Faut-il accepter qu’ils reviennent, et si oui, à quelles conditions ? Que faire de ceux qui se sont engagés dans une « guerre sainte » contre leur civilisation et leur pays, et qui aujourd’hui, espèrent souvent y revenir en étant traités comme des citoyens de plein droit.
Même la question des enfants, aussi déchirante soit-elle, ne se laisse pas traiter en des termes simplement humanitaires, comme l’a finement posé Sonia Mabrouk dans son roman Dans leur cœur sommeille la vengeance, consacré aux lionceaux de Daech. Mais ce qui frappe, surtout, au-delà des questions prosaïques posées par le retour des djihadistes, c’est la confusion intellectuelle qui l’entoure. Comment les considérer du point de vue de la communauté nationale ? C’est là que surgit un terme que la philosophie politique contemporaine semble proscrire : la trahison. Nous avons une étrange difficulté à dire : ce sont des traîtres. Comme si ce terme heurtait la conscience contemporaine, qu’il était trop dur. Raymond Aron était le premier à convenir du flou qui entoure la notion de trahison, mais il ne la congédiait pas pour autant. Une philosophie politique incapable de la prendre au sérieux est une philosophie politique de temps de paix.
On a tendance à dissoudre la question de la trahison dans une forme de relativisme reconnaissant à chacun de bonnes raisons à son engagement. Le djihadiste français ne trahirait que de notre point de vue. Du sien, il servirait une cause légitime justifiant le plus grand sacrifice, ce qui devrait presque nous pousser à le comprendre, voire à le respecter. C’est oublier que la nation n’est pas qu’une fiction historique mais qu’elle nous engage dans le monde et qu’on ne saurait se retourner contre elle en lui déclarant la guerre sans rompre radicalement avec elle, de manière irréversible.
Certes, après une guerre civile, il peut être nécessaire de rassembler des fils divisés, qui se sont accusés mutuellement de trahison pendant un temps. C’est le rôle d’un grand réconciliateur, capable de réparer la pire des fractures, celle du corps politique. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit ici. Nous sommes devant de vrais renégats, qui se sont rendus coupables de félonie. Cette déloyauté absolue n’entre pas dans les catégories ordinaires du droit. Quel que soit le traitement qu’on leur réserve, on ne saurait les considérer comme des citoyens parmi d’autres. Il y a des limites à l’humanitarisme sénile. Un juridisme extrême condamne à l’impolitique. Leur geste implique un traitement d’exception qui ne relève pas de l’évidence. Quand elle est possible, la déchéance de nationalité devrait au moins aller de soi.
On ne saurait se laisser bluffer non plus par cette mauvaise blague en forme de théorie de psychologie populaire qu’est la déradicalisation. La déradicalisation postule que l’homme parti faire le djihad est un dérangé, troublé psychiquement, et non pas, tout simplement, un ennemi qui a consciemment décidé de s’enrôler dans une « guerre sainte ». On s’imagine qu’il suffirait de trouver les bons arguments, et les bons mots, pour qu’au terme d’une thérapie modératrice, il réintègre la communauté nationale. Ici, le djihadiste est victimisé. Justin Trudeau, au Canada, a même laissé entendre que les ex-djihadistes repentis pouvaient servir d’exemple à leurs concitoyens, pour les dissuader de basculer dans le terrorisme. Au mieux, cela relève du comique involontaire.
Ce qui surgit en fin d’analyse, c’est la question de la nation, qu’on ne saurait plus enfermer dans une définition strictement juridique, seule censée correspondre aux « valeurs républicaines ». Quoi qu’on en dise, la nation n’est pas qu’une construction formelle. Elle a une part charnelle, affective, qui engage le cœur et l’âme. Mais rappeler cela fait désormais scandale.
On est en droit de se demander si les djihadistes n’étaient pas que des Français entre guillemets, jouissant de droits qu’ils n’ont jamais équilibrés avec quelques devoirs, qu’ils n’ont jamais aimés non plus. Leur cas n’est-il pas symptomatique d’une décomposition identitaire grave ? Ces hommes auraient-ils senti monter en eux la vocation au djihad s’ils avaient vécu dans un environnement culturel cultivant une représentation du monde qui lui est favorable ?
Dès lors, la question des djihadistes français qui après leur aventure syrienne, espèrent revenir chez eux, et trouvent des alliés pour les soutenir, révèle surtout l’impuissance politique et intellectuelle des nations occidentales, et leur difficulté à comprendre leur basculement dans des temps tragiques. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
c’est de la folie et les citoyens normaux ressentent un profond dégout pour les institutions..
Le bateau chavire ….
Mathieu-Bock-Côté fait bien de noter à l’avant dernier paragraphe l’ importance de l’environnement culturel , propice ou non à la survenue du djihadisme . Certes , cela n’exclut nullement la responsabilité individuelle mais , là encore , la société moderne qui trop souvent met en avant l’irresponsabilité pour ce qui est des devoirs favorise , ipso facto , le non respect .
L’ expression valeurs républicaines est déjà douteuse .
Quel est en effet le 1er devoir du Français ? c’est bien de défendre sa patrie,et non pas de s’engager contre elle ! Notre constitution est claire sur ce sujet.
J’eus moi-même l’honneur d’être élu comme juge d’un Conseil de Discipline Militaire en période de paix,(l’équivalent d’un Conseil de Guerre en période d’hostilités), et la 1ère peine prévue par le Code de Procédure Militaire est la déchéance de la nationalité française;même si le justiciable décide seulement de servir sous un drapeau autre que le pavillon français ! Que serait-ce donc si le « service » est contre notre drapeau national ?
Mathieu Bock côté nous renvoie à nos incohérences: l’impossibilité dans « un environnement culturel » totalement défaillant de définir le lien qui nous rattache à notre communauté. Il y a un lien spirituel et charnel qui est nié par ce fameux juridisme qui tourne à vide et n’est plus enraciné en rien, le mot même , enracinement est totalement diabolisé. Par ailleurs en Syrie il y a eu déjà une trahison de nos élites politiques, qui en sous main ont favorisé de facto le djihadisme , livraison d’armes et déstabilisation d’un régime. Nos gouvernants se sont donc privés de toute légitimité pour en juger. Reste l’argument compassionnel, qui est le pire des arguments, -car il justifie l’horrible-. en politique. Il ne peut se justifier que dans une relation personnelle vraie responsable, ( où chacun un est mis devant ce qu’il a réellement fait, bref une confession ) , mais il est la pire des choses , la pire des démissions , quand il nous materne en général et nous exonère de nos responsabilité : celle des djihadistes, et celle d e nos responsables politiques envers ceux dont ils avaient la garde, Si ceux qui nous gouvernent ne croient plus en leur mission de nous sauvegarder, alors il faut le dire et voir comment on peut agir.. Là, je n’ai pas la réponse, mais il faut bien faire quelque chose…
J e précise pour ceux qui auraient mal compris, enracinement dans la piété: relire « Virgile , père de l’occident » de Théodore Haecker, un oppsoant farouche à l’idolâtrie nazie. Son livre est une ode à la piété filiale.