1892 : Léon XIII prône le Ralliement dans son encyclique Inter innumeras sollicitudines…
Le souhait de Léon XIII n’était évidemment pas de se rallier lui-même à « la République », ni de pousser les catholiques français à se rallier aux idéaux révolutionnaires en tant que tels.
Il s’agissait simplement, dans l’esprit du pape, après l’échec de la restauration monarchique en France, et alors que la jeune république se montrait très agressive envers le catholicisme, de renoncer à une opposition systématique au régime en place, et même d’accepter la Constitution pour combattre « par tous les moyens honnêtes et légaux » les lois anti-chrétiennes, en permettant aux catholiques de peser de tout leur poids sur les nouvelles institutions…
Le pape – ingénument – pensait que, les catholiques étant majoritaires en France, cela suffirait à leur faire gagner les élections, et donc à diriger ou – si l’on peut dire… – cornaquer les gouvernements :
« Accepter la constitution, fait accompli, mais pas la législation, fait réformable, et pour cela, par les élections sous étiquette républicaine, s’insérer dans le régime républicain et y faire de bonnes lois. » disait le pape…
Trois mois après l’encyclique, le Pape s’adressait aux cardinaux français : « Acceptez la République, c’est-à-dire le pouvoir constitué… respectez-le, soyez-lui soumis, comme représentant le pouvoir venu de Dieu… Inutile de rappeler que tous les individus sont tenus d’accepter ces gouvernements et de ne rien tenter pour les renverser ou pour en changer la forme. »
S’adressant au Baron de Montagnac, qui refusait le Ralliement, Léon XIII s’exclama : « Faites-vous républicain d’une bonne république. Vous comprenez ? Je veux que tous les catholiques entrent, comme une cohue dans la République… Les traditions doivent céder pour un moment… vous les retrouverez après l’œuvre accomplie… il faut abandonner les traditions pour le moment, un petit moment seulement. »
Le pape avait « simplement » oublié les paroles de Saint Cyprien, au IIIème siècle : « Il existe un mal pire et plus meurtrier que la persécution, c’est l’empoisonnement perfide de la mentalité. »
Sa vision, purement théorique, était une grave erreur au plan des principes, comme au plan de la tactique : descendre sur le terrain de l’adversaire en utilisant sa doctrine et ses pratiques, cela relevait d’un angélisme profond, qui, pour être sincère, n’en témoignait pas moins d’une incompréhension fondamentale de ce qu’était la république idéologique française, fondée sur les dogmes de la Révolution : cette république, cette Révolution, ces dogmes étaient – et restent – une nouvelle religion, dont le but premier et essentiel est de remplacer l’autre, la chrétienne, la traditionnelle, et de la détruire, par tous les moyens; en détruisant également toutes les racines historiques et culturelles d’un pays millénaire, l’expression « l’an 1 de la République » étant – à cet égard – parfaitement révélatrice de cette nouvelle France, de cette nouvelle société que la république idéologique – comme l’a si justement dit Jules Ferry – voulait bâtir « sans roi et sans dieu ».
Méconnaître cette haine destructrice et cette volonté farouche d’effacer tout ce qui a fait une Nation pendant mille ans – y compris et surtout ses racines chrétiennes – témoignait d’une incompréhension politique dramatique à ce niveau. La rupture avec un siècle d’opposition aux thèses révolutionnaires était brutale, et l’Eglise renonçait à combattre son ennemi mortel : le Ralliement fut à la fois un stupéfiant marché de dupes – comme les choses devaient très vite le montrer – et une non moins stupéfiante capitulation idéologique en rase campagne, pourrait-on dire…
Le cardinal français Pitra, qui s’opposait fermement à cette rupture dans la politique vaticane, se vit réprimander par Léon XIII lors d’une audience très pénible de trois quart d’heure, durant laquelle, debout et tête nue, il reçut les plus aigres reproches d’un Léon XIII en l’occurrence fort peu compréhensif. Le cardinal accepta, par obéissance, de ne plus s’opposer au pape, et se retira dans une abbaye, où il mourut en 1889, soit trois ans avant la publication de l’encyclique : il se contenta de déclarer « Hora est potestas tenebrarum », reprenant les paroles du Christ à ceux qui venaient l’arrêter (citées par Luc – 22) : « Haec est hora vestra et potestas tenebrarum » (« C’est ici votre heure et la puissance des ténèbres »)...
Le Ralliement fut peu suivi par les catholiques français, à de rares exceptions près, notamment celle de ce grand royaliste social que fut le comte Albert de Mun – qui ne tarda pas à le regretter amèrement. Mais, comme le note Michel Mourre », « se heurtant à la majorité des catholiques et du clergé français… c’est cependant dans la ligne du ralliement que put commencer à se développer, au début du XXème siècle, le mouvement de démocratie chrétienne. »
Et, surtout, 34 ans après, les sanctions vaticanes contre l’Action française orientèrent définitivement la structure et la mentalité même de l’Eglise-institution, en la vassalisant au pouvoir républicain, qu’elle reconnaissait, de fait, comme la norme suprême, le cadre obligé dans lequel toute organisation – y compris elle-même, l’Eglise – devait agir; mais à la condition de reconnaître les lois et règles de la république idéologique comme la loi et la norme supérieure, s’imposant à tous. Et bien sûr, a fortiori, en s’interdisant de les combattre en tant que tels.
C’est à ce marché de dupe, à cette capitulation en rase campagne qu’il faut sans cesse revenir; et à partir desquels on peut marquer, dater l’origine profonde et essentielle des destructions méthodiques et continues de tout ce qui faisait l’essence même de la société française…
Quatre de nos Ephémérides traitent des rapports entre l’Eglise et la République idéologique française, en général, et des rapports entre l’Eglise et l’Action française en particulier :
• pour les rapports entre l’Eglise et la République idéologique française, en plus de celle-ci sur le « Ralliement », voir notre Ephéméride du 18 novembre – sur le « toast d’Alger », qui préparait les esprits à ce « ralliement »;
• pour les rapports entre l’Eglise et l’Action française, voir notre Ephéméride du 29 décembre, sur les sanctions vaticanes contre l’Action française, et notre Ephéméride du 10 juillet, sur la levée de ces sanctions par Pie XII…