Par Philippe Mesnard
L’État français produit moins d’emplois, moins d’industrie, moins de richesses, moins de sécurité, moins de beauté mais toujours plus de rigueur morale.
Comme le soulignait naguère Philippe Muray – en 1992, quand même… –, il y a une envie de pénal de plus en plus vive. Éliminons les discours de haine des réseaux sociaux ! réclame Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances et du ministre de l’Action et des Comptes publics chargé du Numérique (et son titre seul fait reculer la haine), moins d’un an après qu’Édouard Philippe avait déclaré : « La France va “se battre” pour un projet législatif au niveau européen contraignant les opérateurs du Net, et notamment les réseaux sociaux, à retirer très rapidement le “torrent de boue” des contenus “haineux, racistes ou antisémites” ».
Et comme Mounir, SEMEFMACPCN, est un homme méthodique, il a mis au plan un plan inséré dans un canevas exhaustif, qui est en gros un instrument de torture sémantique, mais laissons-le en parler avec bonheur : « c’est pour cette raison que nous avons souhaité organiser le plan d’action au sein d’un canevas exhaustif de toutes les questions auxquelles nous devons apporter une solution ».
Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations (ou, plus familièrement, SEEEFHLCD), et Mounir Mahjoubi, SEMEFMACPCN, justes et justiciers s’il en fut, réclament surtout le concours actif des citoyens pour faire régner la vertu : justice par tous ! Mounir a planifié dans son canevas que « toutes les plateformes ou sites mettant à disposition des espaces de discussion ou de partage de contenu proposent des outils de signalement facilement identifiables et mobilisables en quelques secondes par un utilisateur », le ministère se proposant de tester l’ergonomie des outils de signalement. En 2019, Anastasie est fonctionnaire et ses ciseaux, certifiés par l’Afnor, sont en acier équitable.
Quant à Marlène, elle est fière que la France réprime désormais le harcèlement en meute, voté en août dernier mais pousse un cri d’alarme : « C’est une loi très importante, mais pour qu’elle vive, il faut que chacun s’en saisisse, que des signalements soient faits, que des plaintes soient déposées… Il y en a encore trop peu. Et il faut que les services de police et de justice soient le plus réactifs possibles. » Dénoncez, les enfants ! comme dirait Macron. Soyez citoyens, surveillez-vous les uns les autres comme je vous surveille !
Soyez vigilants, repoussez toujours plus loin les bornes de la vertu indignée et de l’amour blessé. Vous n’arrivez pas à faire condamner tous les antisémites ? Criminalisez l’antisionisme. La manœuvre paraît quand même un peu compliquée car cela ferait un délit d’opinion de plus (« L’antisionisme […] c’est autre chose [que l’antisémitisme] puisqu’il s’agit d’un positionnement politique consistant à critiquer la politique d’Israël », comme dit Laurent Nuñez) ? (photo ci-dessous)
Laissez tomber l’antisionisme mais redéfinissez l’antisémitisme. Les députés du groupe d’étude sur l’antisémitisme soumettront donc à l’Assemblée nationale une résolution, à la portée non contraignante, déjà proclamée par Macron, (un peu comme Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières), qui proposera une nouvelle définition de l’antisémitisme intégrant une forme d’antisionisme. « Il s’agit de faire avancer la reconnaissance de ce qu’est l’antisémitisme au XXIe siècle », explique Sylvain Maillard, député LREM et président du groupe.
De redéfinition contextuelle en redéfinition contextuelle, on arrivera à faire rentrer toutes les opinions contraires dans le champ des expressions haineuses. Puis on expliquera que le fait de ne pas activement promouvoir les bonnes opinions est le signe d’une restriction mentale suspecte. On sommera les gens d’adhérer au nouveau catéchisme et on excommuniera séance tenante tous ceux qui témoigneront de la moindre réserve. Marlène Schiappa, SEEEFHLCD, souligne ainsi l’existence d’une « convergence idéologique » entre La Manif Pour Tous et « les terroristes islamistes ». Tel que. Les réservés seront réputés haineux. Et cette république vertueuse, où Mounir Mahjoubi, SEMEFMACPCN, veut faire régner l’amour, aura réussi à étendre si loin le champ de la haine que l’État aura le droit de fouiller nos consciences.
En attendant, il tente péniblement de fouiller nos opinions avec le Grand Débat, qui ne pourra pas être représentatif, au vu de ses modalités et des taux de participation. Mais c’est sans importance : ceux qui ne participent pas sont sûrement des réfractaires, des séditieux, des haineux. ■
Une excellente analyse, qui mériterait des développements plus poussés.
Bien vu et bien dit .
Patience : de l’excès de mal naîtra la Réaction .
J’ignore totalement la haine ces n’est pas dans ma nature. En revanche je pratique l’ignorance et le mépris’ c’est bien pire
.la haine est un sentiment il peut se combattre se modifier s’atténuer, l’ignorance ou l’indifférence passe à côté. Certes cela paraît à priori moins violent mais en fait c’est exactement ce que reproche à juste titre les gilets jaunes dans la rue. Ajouter le mépris à des mesures impopulaires est la goute d’eau intolérable. Ceux qui ignorent gomment l’existence de l’autre , il est transparent , ceux qui haïssent lui concède une présence.
La haine engendre la haine , elle se combat et en parler la conforte et lui donne corps. Au moins c’est un sentiment ,
l’indifférence est le contraire de l’amour’ pas la haine.
Très belle analyse … qu’il faut diffuser hors du cercle des convaincus d’avance. C’est difficile car la doxa régnante semble former un bloc. Mais il n’est peut-être pas impossible de faire jouer ses propres contradictions internes par exemple la légitimité sui generis des réalités infra nationales : cas de la Corse et des Outre Mer; des réalités sociales (libertés de choisir son enseignement). Certains leviers ne sont entre les mains de l’adversaire que par manque d’audace dans leur utilisation (comme le communautarisme). Le concept de « zone à défendre » doit être repensé.
La France est aujourd’hui dans cœur du cyclone gilets jaunes, celui de l’exaspération incomprise, et du rejet brutal des permutations de mots masquant les projets idéologiques, à défaut de modifier une réalité administrative ruineuse pour le pays. Les deux personnages cités sont représentatifs d’une hystérisation de l’interdit, déguisée en morale pour vaincre les réticences, devant ce qui n’est au fond qu’un désir de pouvoir effréné.. Les nouveaux autistes veulent imposer une pensée à sens unique, la leur, mais comme leurs contradictions structurelles sont trop voyantes pour pouvoir convaincre par un quelconque raisonnement, il leur faut contraindre par l’exercice des Lois et des règlements, avec en béquille, une dose chaque fois réaffirmée, de pseudo-justification morale, Tous les totalitaires agissent ainsi, après de premières parole câlines, lorsqu’ils découvrent le peu d’intérêt partagé de leurs thèses, en raison de leur pertinence douteuse. Le discours de la macronie n’est pas une explication dans le débat, mais une extinction de celui-ci, par la diabolisation de tout avis contraire, une forme de religion utilitariste, fondée sur les prémisses non démontrées de la croyance dans la toute-puissance de moyens techniques, appuyée sur de nouveaux paradigmes affirmés, même si ceux-ci ne sont le plus souvent que des recyclages de vieilles daubes sémantiques recuites à la moulinette des sophismes les plus éreintés. La macronie a déjà l’odeur du formol, mais toute occupée de son image dans les miroirs télévisuels, elle ne saurait le sentir. ni se retourner pour découvrir le champs de ruines conceptuelles qui la porte. Heureusement, tout excès contient sa propre destruction, c’est une question de temps. Le chat et Socrate auront bien été mortels tous les deux, et « en même temps », Socrate ne sera jamais un chat.