Par Jacques Myard
Un article où Jacques Myard frappe fort – mais juste, à son habitude. Il a malheureusement raison ; ses diagnostics sont exacts. [Boulevard Voltaire, 8.03].
Tous les médias européens ont publié bon gré mal gré la tribune d’Emmanuel Macron Ier, dont la lecture laisse pantois.
On y découvre à la fois les « rêveries d’un promeneur solitaire » de Jean-Jacques Rousseau et le prêche d’Urbain II, en 1095 à Clermont, appelant aux croisades (Photo ci-dessous), le tout dans un pathos un tantinet vaniteux car l’auteur parle au nom de la vérité et de sa foi inébranlable dans sa vision eschatologique de l’Europe, bien éloignée des réalités.
Un proverbe indien nous apprend à juste titre qu’il faut certainement suivre celui qui cherche à tâtons la vérité mais qu’il faut surtout fuir celui qui l’a trouvée.
Il est vrai que cette tribune relève davantage de la rhétorique que d’un réalisme pragmatique dont l’Europe a besoin aujourd’hui pour se ressaisir.
Parler de civilisation européenne comme d’un tout qui nous unirait, c’est employer un concept-valise qui ne décrit rien, n’explique rien car il existe d’abord des cultures nationales propres à chaque peuple.
De plus, vouloir défendre notre liberté et la dénier à certains en les disqualifiant comme nationalistes est une singulière conception de la liberté. On ne peut que s’interroger sur son projet de créer une « Agence européenne de protection des démocraties » : voilà un beau retour des méthodes sentencieuses du « politiquement correct », qui rappelle la formule de Brecht : « Le peuple s’est trompé, changeons de peuple. »
Évoquer la remise à plat de Schengen est un bon projet, mais que propose-t-il ? Cette réforme passe d’abord par le contrôle aux frontières nationales. Il n’en dit mot !
En revanche, il souhaite un traité de défense et de sécurité propre aux Européens ; sans doute a-t-il oublié le traité de l’UEO (Union de l’Europe occidentale) des années 50 dont l’article V a été repris à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne (assistance mutuelle en cas d’agression), mais il passe sous silence que nos partenaires européens, britanniques, roumains, polonais, les États baltes sont des adeptes fidèles à l’OTAN avant toute autre alliance.
Vouloir rétablir une préférence communautaire est, certes, louable, mais là encore, c’est oublier que nos partenaires, Allemagne en tête, mais aussi les pays de l’Est, ont tendance à acheter américain pour leur défense, et même australien pour les gigots de mouton, plutôt qu’à appliquer une préférence communautaire révolue à leur yeux.
Prôner la création d’une banque communautaire du climat pour financer la transition écologique risque fort de faire doublon avec la Banque européenne d’investissement (BEI), dont la mission pourrait être élargie. C’est un effet d’annonce.
Se tourner vers l’Afrique est une nécessité mais pour résoudre les problèmes de ce continent, il est prioritaire de maîtriser son explosion démographique. Il n’en dit mot.
Emmanuel Macron Ier nous appelle à ne pas être les somnambules d’une Europe amollie et propose une grande conférence pour l’Europe à laquelle seront associés des panels de citoyens.
Voilà le grand débat qui revient, avec tous les risques d’accoucher d’un projet d’une incohérence totale. C’est l’impasse assurée !
On ne peut qu’être étonné de tels propos, de ce prêche plein de rêveries et dénué de tout pragmatisme réaliste.
Il y manque un mot qui dénote qu’Emmanuel Macron Ier est toujours dans la fuite en avant d’une logique européenne qui mène l’Europe dans le mur : ce mot est un principe, le principe de subsidiarité, qui permettrait de redonner vie aux démocraties nationales face à la captation technocratique de Bruxelles.
Nos démocraties nationales sont désormais vides de sens, les Parlements nationaux sont des théâtres d’ombres. Il est temps que l’Union européenne s’en tienne à l’essentiel, en cessant de vouloir tout réglementer et contrôler, et noue des politiques de coopération dans les domaines qui affectent le continent dans son ensemble.
Une chose est certaine : la posture de chevalier blanc d’Emmanuel Macron Ier a plus de chance de heurter nos partenaires que de relancer la nécessaire coopération entre les peuples européens. ■
La défense est la pierre de touche de l’européanité des pays participant à l’Union européenne. Jacques Myard, longtemps employé au Quai d’Orsay le sait bien, qui a mesuré les réticences ouvertes ou cachées de certains pays, pas tous à l’Est, à l’endroit d’une défense franco-allemande. La raison est très simple : à l’analyse du meilleur rapport prix/puissance dissuasive, l’OTAN gagne encore et de beaucoup.
S’ajoute une prévention bien naturelle contre la France qui, outre son arrogance naturelle quand la guerre est loin, est enlisée dans la décolonisation depuis soixante ans et entraîne avec elle déjà les autres européens. Jusqu’ici les contraintes budgétaires et organisationnelles des uns et des autres sont un bon prétexte pour répondre a minima aux demandes d’aide, motif qui disparaîtra dans une défense européenne intégrée.
L’Europe de la défense ne se fera pas tant que l’OTAN assurera le job pour moins cher. Toute coopération industrielle est bonne à prendre pour nos savoirs et nos emplois, mais il n’existe pas un « marché commun » de l’armement.
C’est à mon sens pourquoi la campagne électorale de Macron en Europe est vaine. Ce jeune tribun trudesque n’intéresse personne dans le domaine très sensible de la guerre qui est fondamental pour tout le reste.
PS: Jacques Myard n’est plus député.
Très bon !