Par Jean Sévillia
En 1935, l’historien Jacques Bainville publiait son dernier livre, consacré à une étude comparée des dictatures à travers les siècles. Magistral.
En 1918, le président américain, Woodrow Wilson [Photo ci-dessous], rêvait de « rendre le monde plus sûr grâce à la démocratie ».
Cette perspective pétrie de bons sentiments marquera les traités de paix de 1919-1920, qui seront imprégnés d’une morale contrastant avec le froid réalisme du système d’alliances conclu lors du traité de Vienne (1815), au sortir de trente ans de guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Ces traités scellant la fin de la Première Guerre mondiale, spécialement le traité de Versailles, Jacques Bainville en avait fait une critique aiguë. Dans Les Conséquences politiques de la paix, en 1920, il avait prédit le scénario qui se déroulerait quinze ans plus tard : avènement d’une dictature à Berlin, réarmement allemand, remilitarisation de la Rhénanie, annexion de l’Autriche, invasion de la Tchécoslovaquie, pacte germano-soviétique, invasion de la Pologne. Si Bainville, journaliste qui était aussi un historien, s’était montré prophète, c’est en appliquant sa méthode qui consistait, expliquait-il, à « penser historiquement ».
En 1935, déjà atteint par le cancer qui lui serait fatal un an plus tard, il avait entrepris d’écrire Les Dictateurs, ouvrage que réédite la collection Tempus.
Sous ce titre, l’auteur évoque pourtant, de l’Antiquité au XXe siècle, des figures qui ont exercé un pouvoir personnel, monocratique, mais pas toujours dictatorial : de Périclès à César, de Cromwell à Richelieu, de Robespierre à Napoléon III, de Lénine à Atatürk et de Mussolini à Hitler, la variété des personnages est grande.
A travers cette galerie de portraits, Bainville cherche moins à décrire des systèmes politiques, dont il n’ignore pas les différences, qu’à dépeindre, fût-ce en quelques lignes, des « caractères », au sens où l’employait La Bruyère. Il veut surtout illustrer une loi que l’observation du passé lui a apprise : les dictatures naissent de circonstances imprévisibles qui ouvrent sur l’inconnu. Bainville, qui était monarchiste, n’aimait ni l’imprévisible, ni l’inconnu, ce qui ne le portait pas à l’indulgence envers les dictateurs. Il savait néanmoins, souligne l’historien Christophe Dickès, que la dictature fait partie des « permanences de l’histoire de l’humanité ». La preuve : l’Europe de l’entre-deux-guerres, démentant l’optimisme wilsonien, avait accouché d’une série de dictateurs. ■
Les Dictateurs, de Jacques Bainville, présenté par Christophe Dickès, Tempus, 262 p.,9€.
Source Figaro magazine, 5 avril