« Le monde actuel : le face à face des puissances. L’Europe ne peut se construire que sur les peuples, les nations, les États »
Il fallait entendre, jeudi soir (4 avril), autour de minuit, lorsque son tour fut venu, Nathalie Loiseau prononcer sa conclusion à la fin du grand débat de lancement de la campagne des européennes, sur France 2. Organisé, soit dit en passant, dans les formes terriblement contestables qu’on connait.
Nathalie Loiseau parle … La succession des phrases apprises par cœur a comme toujours en pareil cas un air de récitation inconvenante. Cette parole artificieuse égrène la mécanique des arguments de telle sorte qu’ils ne peuvent guère convaincre, fussent-ils justes … Ils ont été trop rabâchés et cette intellectuelle hors normes n’en a pas trouvé de nouveaux. L’écoute en devient ennuyeuse. dérangeante. Sans compter le phrasé monocorde. Y-t-il au moins un fond ? Ne sont-ce que des mots creux ?
Nathalie Loiseau porte la parole majoritaire au parlement. Minoritaire dans le pays. Si c’est un honneur, c’est un honneur redoutable. Elle exprime surtout la pensée présidentielle. Celle des oligarques hors sol et des élites mondialisées.
Justement, mondialisation, globalisation : où en est-on ? Nathalie Loiseau se rend-elle compte de ce qu’elle va dire ? Les arguments s’enchaînent, dont la mécanique l’entraîne. Mais aussi celle des mots. Pourquoi l’ Europe est-elle si indispensable ? Pourquoi les États-nations n’ont-ils plus la taille pertinente ? Pourquoi vouloir une « Europe-puissance » ? Qu’importe qu’elle ne puisse l’être que par la taille, la masse inerte, et non par la cohésion, la volonté, la dynamique d’un patriotisme ! L’Europe, il la faut à tout prix. Parce qu’elle doit faire front. Front commun. Contre qui ? Et là les « face à » se succèdent. « Face à la Chine ». « Face aux Etats-Unis ». « Face à la Russie ». « Face aux GAFA ». Quoi encore ? Elle pourrait ajouter quelques autres vraies puissances, c’est à dire nationales. Pourquoi pas « Face à l’Inde » ? « Face au Japon » ? Cela fait beaucoup de face à face. Et beaucoup de monde. Le monde … Tel qu’il est.
Nathalie Loiseau ne mesure pas qu’elle sonne ainsi le glas des idéologies, des artefacts institutionnels ou autres, des illusions, sur lesquels le monde a été sommé de vivre depuis 1945 et bien davantage encore depuis l’effondrement du bloc communiste autour de 1990. De quoi sonne-t-elle le glas ? La mondialisation ou globalisation, le multilatéralisme, l’embryon de gouvernance mondiale – façon Attali – que l’on croyait constituer et que l’on ne tarderait pas à « finaliser » … En bref, la fin de l’Histoire que l’on avait actée. L’avènement du Grand Marché globalisé. Et tout cela se conclut par de classiques « face à face ». C’est le constat de Nathalie Loiseau. Le monde n’est plus constitué de sages « partenaires » parfaitement humanistes, œuvrant au Bien Commun Universel, se réunissant pour cela, mais bel et bien par des « concurrents ». Cela change les choses. Cela sonne aussi le glas de tout futur G20 qui maintiendrait ses prétentions universalistes passées. Si elle poussait un peu plus avant sa théorie des face à face, Nathalie Loiseau s’apercevrait que le champ intra européen en est tout aussi empli.
Par exemple lorsque l’Italie au bord du krach financier négocie en solitaire avec la Chine l’ouverture de ses ports – à commencer par Trieste sur l’Adriatique – à cette route de la soie en construction par laquelle l’Empire du Milieu compte accéder en force aux marchés européens. Les exemples de telles entreprises en solitaire ne manquent pas en Europe et des plus importantes. Nathalie Loiseau devrait savoir que tel est précisément le cas de la Grande-Bretagne qui s’en va mais tout autant de l’Allemagne qui reste. Pour l’instant. Son nationalisme réel et très profitable est démo-compatible…
En somme, volens nolens, Nathalie Loiseau a utilisé les mots qui confirment que nous sortons d’une ère. ou, si l’on veut, d’un cycle, pour un autre. Ce que dit François Lenglet dans un ouvrage* qui vient de paraître dont il développe la thèse sur toutes les antennes. Et ce que Pierre Renucci a montré pareillement dans une remarquable tribune ** sur lafautearousseau.
Nathalie Loiseau trahie, la pauvre, par les mots ? Eh bien ! peut-être l’ignore-t-on à l’ENA, il faut donner un sens plus pur aux mots de la tribu. C’est-à-dire veiller, c’est la moindre des choses, à ce qu’ils correspondent autant que faire se peut à la simple réalité du monde actuel. Tel qu’en lui- même …. ■ Gérard POL – lafautearousseau
* François Lenglet, Tout va basculer ! – Albin Michel, 2019, 16€90
Asselineau vient de l’ENA : hors, lui n’ignore pas le sens le plus pur des mots : mais faudrait il encore l’écouter pour éviter de faire ce genre de raccourcis final 😉