Complément à notre publication hier mardi de l’entretien accordé par le cardinal Sarah à Jean-Sébastien Ferjou, pour le site Atlandico [Lien ci-dessous]
À l’occasion de la sortie de son dernier livre, Le soir approche et déjà le jour baisse, S.E. le cardinal Robert Sarah a bien voulu accorder un entretien à Gabrielle Cluzel, rédactrice en chef de Boulevard Voltaire. Sans langue de buis, le prélat aborde les questions des racines chrétiennes de l’Occident, des migrations, du dialogue interreligieux, notamment avec l’islam, de la mondialisation…
Vous venez de publier un nouveau livre, entretien avec Nicolas Diat, intitulé Le soir approche et déjà le jour baisse, aux Éditions Fayard. Le moins que l’on puisse dire c’est que vous n’y maniez pas la langue de buis. Si vous prenez à nouveau la parole, écrivez-vous, c’est que vous ne pouvez plus vous taire, « les chrétiens étant désorientés », ce sont vos mots. Faites-vous là allusion au récent scandale qui a touché l’Église ?
Je ne fais pas uniquement référence à ce scandale. Nous vivons une grande crise depuis plusieurs années. Je me rappelle qu’en 2016, juste avant son élection au siège Saint-Pierre, Benoit XVI disait que l’occident traversait une crise qui ne s’est jamais vérifiée dans l’Histoire du monde. Voyez-vous comment la famille est détruite ? Comment le mariage est conçu d’une manière différente de ce que nous avons toujours connu ? Comment l’anthropologie est en grande crise ?
Il y a bien sûr la crise économique, la crise politique et la crise des responsables, mais, on constate au niveau de l’Église une baisse énorme de la pratique religieuse. Les églises sont vides. L’enseignement de l’Église semble également très flou et confus. Beaucoup de gens sont désorientés et ne savent plus où aller. C’est cette réalité que j’ai décrite. Je n’invente rien. Je fais un constat le plus précis et le plus près possible de la vérité.
Nous voyons bien que ce que je décris existe. Il y a une grande confusion et une grande incertitude. Les gens veulent surtout qu’on leur indique la route et qu’on leur enseigne la foi que nous avons toujours vécue. La foi et la parole de Dieu ne changent pas. Dieu est le même.
Ce que dit ce livre est vraiment la réalité. Il s’agit de donner l’espérance, malgré cette crise, pour retrouver vie et confiance. Sur le plan humain, quelqu’un peut avoir une maladie grave, se soigner et retrouver la santé. Une autre personne peut aussi traverser une difficulté passagère, mais après des efforts et l’aide qu’elle reçoit, elle retrouve une certaine assurance.
Il y a des périodes de désemparement, mais on peut quand même trouver une espérance. C’est ce que j’essaie de dire dans ce livre.
Vos propos semblent viser à réveiller un occident en perdition. Il est à rebours du discours habituel sur le sujet. Dans votre livre Dieu ou rien, vous rendez hommage, je cite « aux beaux fruits de la colonisation occidentale, aux missionnaires de France qui vous apportent le vrai Dieu ». Aujourd’hui, en somme, le missionnaire c’est vous et la terre de mission, c’est la France. Diriez-vous que l’occident a oublié ses racines et a dilapidé son héritage ?
Je crois que nous devons être vrais. J’ai tout reçu de l’occident. J’ai reçu ma formation et ma foi. On a l’impression aujourd’hui que l’occident renie ses origines, son histoire et ses racines. Il me semble que nous vivons comme si nous n’avions rien à voir avec le christianisme. Ce n’est pas vrai. Lorsqu’on ouvre les yeux, on voit bien l’architecture, la musique, la littérature et que tout est chrétien. Je ne vois pas pourquoi on peut nier ce qui est. Nier ce qui est, c’est se mentir à soi-même.
Je pense que l’occident est en péril s’il renie ses racines chrétiennes. C’est comme un grand fleuve, il a beau être immense et majestueux, s’il perd sa source, il n’est plus alimenté et se dessèche au bout d’un certain temps. C’est comme un arbre qui n’a plus de racines, il meurt.
Un occident sans racines chrétiennes est un occident menacé de mort et de disparition. Il s’est fait envahir par d’autres cultures qui, elles, ne renoncent pas à leur histoire et combattent pour montrer qu’elles ont une culture à proposer. D’autres cultures envahissent l’Europe, comme les cultures musulmane et bouddhiste.
Il est important qu’il reprenne conscience que ses valeurs, belles, majestueuses et nobles se perdent.
Je ne prétends pas être le missionnaire. Nous sommes tous, par le baptême, envoyés pour que faire connaître le Christ et l’évangile, et la réalité nouvelle qu’il nous propose. Aujourd’hui, les écritures nous disent encore « je fais un monde nouveau ». Ce monde nouveau est créé par le Christ lui-même.
Je souhaite que ce livre puisse réveiller la conscience occidentale. Je crois que l’occident a une mission spéciale. Ce n’est pas pour rien que Dieu nous a communiqué la foi par l’occident. Ce que Dieu donne est permanent, c’est pour toujours et non pour un instant.
L’occident a une mission universelle, à cause de sa culture, de sa foi, de ses racines et son lien personnel avec Dieu.
Si l’occident perdait ses racines, il y aurait un bouleversement énorme et terrible dans le monde.
J’espère que la lecture du livre Le soir approche et déjà le jour baisse sera un moyen pour réveiller la conscience occidentale, mais aussi notre conscience de chrétien.
Vous vous inquiétez de la migration et de ses conséquences. Vous écrivez que le déracinement culturel et religieux des Africains projetés dans des pays occidentaux qui traversent eux-mêmes une crise sans précédent est un terreau mortifère. Quel est selon vous le regard chrétien à porter sur la migration ?
Je crois que lorsqu’ils arrivent en occident, ils se rendent tout de suite compte que c’est un occident qui a perdu Dieu, qui est plongé dans le matérialisme, dans la négation de Dieu et qui ne voit que la technique et le bien être. Cela les désempare.
Je connais l’Afrique et l’Asie. Ce sont des continents profondément attachés à Dieu et au transcendant. Arrivés ici, ils trouvent uniquement le matériel. Cela peut être une désorientation pour eux. Or, je pense que si vous les accueillez, ce n’est pas seulement pour leur donner du travail, un logis et de quoi vivre. Proposez-leur aussi ce qui fait votre richesse, sans forcer personne. La foi est un acte d’amour. On ne force pas quelqu’un à aimer. Proposez-leur votre richesse, votre foi chrétienne en laissant chacun sa liberté d’accepter ou de refuser.
Je pense que là aussi, l’occident a une mission. Quand vous recevez quelqu’un, vous lui donnez le meilleur de vous-même. Le meilleur de vous-même est votre coeur. Si quelqu’un arrive dans votre maison, vous lui donnez une chambre et de la nourriture. Si cette personne voit que vous n’êtes pas content, triste ou pas heureux de le recevoir, alors, il ne va pas manger ce que vous lui donnez. Le meilleur de nous-même n’est pas ce que nous donnons matériellement, mais c’est notre cœur.
Il faut que l’occident donne son cœur. Or, ce cœur, c’est votre foi, votre lien à Dieu, votre richesse ancestrale qui vous a fait naître et qui vous a façonnés. C’est le christianisme qui vous a façonnés. Donnez aux étrangers qui arrivent, c’est vraiment cela qui fait votre richesse.
Vous venez dénoncer une vision irénique des autres religions, y compris de la part des catholiques. « Qui se lèvera pour annoncer la vraie foi aux musulmans ? » écrivez-vous. Faut-il y voir une mauvaise interprétation du dialogue inter-religieux ?
Quand deux personnes se parlent, chacun s’affirme dans ce qu’il est profondément. Il n’y a pas de dialogue si moi je m’efface. Le vrai dialogue est lorsque chacun dit ce qu’il est, ce qui fait sa vie profonde et ce qui fait sa foi. Dialoguer n’est pas offusquer ou de ne pas froisser l’autre de cacher sa foi. Un dialogue, c’est véritablement aller vers la vérité ensemble. Si nous sommes vraiment sincères, nous allons aboutir à une vérité. Le dialogue est pour moi très important, parce que c’est une recherche de vérité. Nous cheminons ensemble pour voir la lumière. Une fois que nous avons vu la lumière, soit il faut fermer les yeux pour ne pas suivre la lumière, soit on dit ‘’ c’est ça la lumière’’. Si réellement, Jésus est vraiment la lumière, nous ne pouvons pas ne pas l’accepter ensemble. Si vraiment Jésus est le chemin, nous ne pouvons pas ne pas l’accepter. Si vraiment, il est la vie, nous ne pouvons pas ne pas l’accepter.
Le dialogue, c’est marcher ensemble dans la direction de la vérité, la trouver et l’accepter.
Vous portez un jugement très sévère sur la mondialisation. Vous dites qu’elle est contraire au projet divin. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Vous et moi sommes différents. Cette différence est une grande richesse. C’est comme dans un jardin, vous voyez des fleurs jaunes et vertes. Cet ensemble fait une beauté extraordinaire. La globalisation voudrait supprimer toutes les différences linguistiques, raciales et frontalières. Je ne sais pas où nous allons aboutir.
Je pense que s’il n’y a pas de discernement et de sagesse, la globalisation constitue un grand danger pour la valorisation de chaque culture et de chaque peuple. Chacun de nous a une histoire, une culture et une richesse qu’il apporte aux autres. Alors, niveler toutes les cultures et tous les peuples pour n’en faire qu’un est pour moi, un appauvrissement.
La mondialisation va contre le désir de Dieu qui a voulu nous créer différents pour nous enrichir mutuellement. Aujourd’hui, on a presque l’impression qu’il y a une américanisation, une européisation. Tout le monde doit être européen. La vision du monde, de l’économie et de l’homme doit être européenne. C’est un appauvrissement. Les Asiatiques ont une vision belle et approfondie.
Je ne suis pas contre la mondialisation. Plus on est ensemble, plus on est puissant, plus on peut faire de belles choses, sans pour autant supprimer les personnalités et les spécificités de chaque peuple. C’est cela que je dénonce. Que les Français soient français, que les Polonais soient polonais et que les Allemands soient allemands, quitte à coopérer ensemble.
Parmi les maux qui touchent les catholiques, vous évoquez le relativisme ambiant, la défaillance de la catéchèse et l’absence de prière… est-ce aux clercs que vous vous adressez ?
J’attribue la responsabilité de la baisse de la foi et de la pratique, et d’un certain manque de connaissance de la religion et de la doctrine aux prêtres. C’est leur métier. Ils sont envoyés pour enseigner. Le Christ a dit « allez enseigner toutes les nations ».
Si nous n’enseignons plus la doctrine, nous appauvrissons les chrétiens qui ne savent plus lire. Si le prêtre est tout le temps en train de s’agiter, il n’a pas le temps de prier. On va imiter sa façon de faire. Notre responsabilité est énorme. Nous devons être les modèles du troupeau, des modèles de prière et de vie morale. Je ne dis pas que tout vient du clergé, mais vous voyez quand même qu’il y a aujourd’hui des accusations horribles sur le clergé, contre les cardinaux et les évêques. Tout n’est peut-être pas vrai, mais même si c’était un seul prêtre qui faisait des choses comme celles-là, il pourrait décourager beaucoup de laïcs.
Beaucoup diront que la prière n’est peut-être pas essentielle. C’est pourtant l’activité essentielle. C’est ce qu’on voit qui est essentiel.
J’ai tendance à parler longuement, mais si vous prêchez 5 ou 10 min une fois par semaine, vous affamez les gens. Chacun de nous mange régulièrement pour maintenir sa santé. Si on donne une homélie de 10 min chaque dimanche, il n’y a aucune nourriture dedans. Il y a donc une responsabilité que j’attribue aux prêtres. Ils doivent prendre au sérieux cette mission d’enseigner, de sanctifier le peuple de Dieu et de le gouverner. Gouverner ne veut pas dire d’imposer des choses, mais plutôt d’orienter et de faire avancer vers Dieu pour une meilleure connaissance de lui.
J’attribue aussi cette responsabilité aux familles. Les familles ne connaissent pas Dieu, elles ne prient pas souvent et n’amènent pas les enfants à l’église. Ils ne savent pas quoi croire, ils ne savent pas ce qu’est la foi.
Nous avons tous une responsabilité dans ce que nous vivons aujourd’hui, soit au niveau de la baisse et de la pratique de la foi, soit de l’engagement missionnaire. Nous sommes tous appelés à enseigner, à sanctifier et à orienter les personnes vers Dieu.
Vous parlez de décadence et évoquez la chute de l’Empire romain dans ce livre, comme s’il y avait une analogie. Votre titre laisse supposer qu’il est presque trop tard.
Que diriez-vous à ceux qui pourraient désespérer ?
Le titre du livre est un passage de l’évangile de Saint-Luc. La situation que nous vivons est celle que les premiers chrétiens et les premiers disciples de Jésus ont vécu. Jésus est mort et enterré et ils sont tous découragés.
Chacun rentrait chez soi et voilà que Jésus les rejoint en leur demandant pourquoi ils sont tristes. Ils lui répondent « vous ne savez pas ce qu’il s’est passé à Jérusalem ?. Ils ont tué Jésus qui était un grand prophète, nous espérions que c’était le Messie, voilà trois jours qu’il est mort et maintenant nous rentrons chez nous ».
Pendant longtemps, il expliquera que c’est comme cela que le Christ devait finir pour le salut du monde. Puis ils entrent dans une auberge, il prend le pain, il fait la bénédiction, il rompt le pain, il leur donne à manger et ils reconnaissent que Jésus est là et vivant.
Nous pouvons nous aussi avoir cette impression que tout est perdu. Mais si nous reconnaissons Jésus à travers sa parole et à travers l’Eucharistie, il n’y a pas à désespérer. Il nous a dit « je serai avec vous jusqu’à la fin du monde ».
Comme je vous le disais tout à l’heure, quelqu’un peut être gravement malade et retrouver la santé. Nous pouvons retrouver notre santé si nous allons à l’essentiel.
Qui est l’essentiel ? C’est Dieu.
Qui est l’essentiel ? C’est Jésus Christ.
Qui est l’essentiel ? Ce sont les valeurs humaines.
Il y a de quoi espérer. Il ne faut pas se décourager et se désespérer. Nous vivons un moment difficile, mais ce moment va passer. L’aurore arrive. Nous pouvons avoir confiance que la lumière arrive. Cette lumière c’est Jésus. Lui, nous redonnera la joie de vivre, la joie de nous aimer et d’être ensemble comme des frères. ■
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« La mondialisation va contre le désir de Dieu » quatre lignes plus bas « Je ne suis pas contre la mondialisation. « et plus haut « Donnez aux étrangers qui arrivent, c’est vraiment cela qui fait votre richesse. » N’est-ce pas contradictoire?
Pour rebondir sur cet article, je ne peux que recommander la lecture du beau livre du philosophe communautarien américain Michael Sandel » Justice » récemment republié en collection de poche. Contre le libéralisme de droite ou de gauche, les penseurs communautariens, hélas mal connus en France, comme Charles Taylor, Michael Walzer, Sandel, Alasdair MacIntyre ont pour grand mérite de réfléchir sur l’idée de Bien commun. À un moment où les principes libéraux ont été tellement bien intériorisés par tous, de la droite à l’extrême-gauche, comme si toute réflexion sociale et politique devait se consacrer exclusivement aux problèmes de bien-être et de répartition des biens et de la richesse, ces philosophes communautariens reprennent la question aristotélicienne de la vie bonne et de la vertu au sein de la Cité. Ils ont pour grand mérité de montrer les dérives de l’obsession des droits individuels et de l’individualisme libéral, curieusement partagée par tout le spectre politique en France et de réfléchir sur la question de savoir ce que c’est que faire communauté. Leur réflexion débouche sur des questions très concrètes, touchant par exemple l’avortement, le mariage homosexuel, la GPA, l’immigration de masse etc.
En lisant ce très intéressant compte-rendu,il m’a donné à penser à notre petite commune campagnarde, qui a la chance d’avoir encore un curé, de son cru au surplus, déjà vieux mais très actif et généreux de sa personne.
Lorsque notre curé s’octroie 15 jours de repos-bien mérité-au cours du mois de juillet,chaque année, il a pris l’habitude heureuse-depuis quelques années-de se faire remplacer par un collègue, natif du Burkina-Fasso, connu naguère au séminaire.
Lors de la 1ère homélie de ce dernier, la 1ère année de sa venue, il nous confia simplement : « Ne vous étonnez pas de ma présence ici, si son origine est la fidélité due à l’amitié, elle est pour moi non seulement un plaisir, mais surtout une manifestation de la reconnaissance que je vous dois, car je suis particulièrement heureux de pouvoir vous rendre un peu ce que vous m’avez donné naguère ! ».
La plutôt modeste assistance dominicale en fut pétrie d’émotion !
Bravo pour ce commentaire vraiment intéressant.