Il joue l’assurance mais sait-il vraiment où il va ?
Par Hilaire de Crémiers
Macron use de tous les subterfuges pour maintenir un pouvoir fragilisé.
Il parle, il parle encore, il parle toujours. L’homme n’est pas seulement un habile politicien ; il tient à faire savoir qu’il est d’abord un homme de conviction.
Il est différent des autres et il le souligne en désignant à la vindicte publique « les décennies » qui l’ont précédé et qui le forcent aujourd’hui à écoper.
L’illusion d’un rêve de supériorité
Il peut même avoir un aspect touchant, tant on le sent plein de cette conviction qui justifie sa supériorité morale et politique. Qui ne le remarque ? Il est si convaincu de tout ce qu’il dit ! Ce qui est toujours dangereux en politique, le royaume du mensonge et de la trahison. N’a-t-il pas, lui-même, pour s’imposer, dû trahir et mentir ? Il en a donné du moins l’apparence. Cruelle nécessité ! Mais sa conviction profonde, toujours intacte, révèle en revanche la pureté de son intention. Sa dernière prestation en administrait une fois de plus la preuve. Il est si sûr de sa raison, de son bon droit, de l’excellence de ses choix, de la force et de la clarté de son exposé qu’il laisse évidemment entendre qu’il faut être de bien mauvaise foi pour n’être pas convaincu.
N’est-ce-pas ce qu’il a répondu à ces quelques journalistes – triés sur le volet – qui ont fait semblant de le bousculer ? « Vous ne m’aidez pas », leur disait-il dans un sourire qui mêlait amertume et commisération.
Il suffisait de l’écouter, pourtant, pour comprendre qu’il commence toujours, et d’abord, par se convaincre lui-même. Ainsi nul autre que lui, par expérience sur lui-même, n’est plus persuadé qu’il doit convaincre, qu’il sait convaincre, qu’il ne peut que convaincre, bref, qu’il n’est né et qu’il n’est arrivé à la suprême fonction que pour convaincre. Ce qu’il s’essaye à faire, comme il n’apparaît que trop, dût-il y passer une heure de plus que prévu, comme l’autre jour à l’Élysée, voire huit heures d’affilée s’il le faut, comme au cours du grand débat par ses soins organisé.
Ce grand débat, il l’a décidé, il l’a coordonné, il l’a animé, il en a rendu compte, il en a tiré les conclusions. Qu’y a-t-il de plus convaincant ? Et donc il n’y a plus désormais qu’à le comprendre. C’est ce qu’il a signifié aux journalistes en propres termes. Entendons bien : le comprendre, lui ! Quant au gouvernement, il est chargé d’assurer le suivi avec la majorité parlementaire. Lui, il indique les grandes directions. Que demander de plus ? Qui ne rendrait hommage à cette conviction qui le possède tout entier et qui prouve à elle seule son absolue sincérité ? Même et surtout quand il avoue avec une ingénuité désarmante qui traduit la plus insolente des humilités, que, si par erreur ou par malentendu il n’a pas été compris, il reconnaît volontiers sa part de responsabilité dans cette incompréhension. « J’assume », a-t-il répété avec cet accent de loyauté, triste et souriante, qui le distingue de tant de ses prédécesseurs. Car il va jusque-là, d’ « assumer » – tel un rédempteur – cette inintelligence de l’opinion publique avec laquelle il doit compter et qui est, comme il le signifie paraboliquement par tant d’expressions mal interprétées et qui lui sont reprochées, la seule et vraie raison pour laquelle malheureusement il n’a pas été convainquant et donc qu’il n’a pas convaincu.
Même Apolline de Malherbe et Laurence Ferrari, la brune et la blonde, qui ont fait gracieusement assaut d’impertinences, ont été obligées d’opiner du chef devant une si probe explication.
Si on l’avait vraiment entendu dans ses intentions et dans sa manière de les exprimer, leur a-t-il répondu en substance, il en irait tout autrement. Il n’aurait pas à faire face à de faux et mauvais procès. La faute à qui ? Sinon à cette désolante fatalité qui veut que l’intelligence bienveillante et bienfaisante est trop souvent incomprise ou mal comprise. C’est le sort de celui qui voit quand la foule ne voit pas et ne peut pas voir : trop d’habitudes, trop de vieux réflexes, trop d’inconstance et de frivolité pour percevoir un dessein de génie qui s’inscrit dans le long terme quand le badaud exige de l’immédiat. La popularité ne peut être le lot de l’homme qui sait et qui guide : De Gaulle, déjà !
Une sérénité stoïque enveloppait les propos et les réponses du président. On sentait Apolline et Laurence émues. C’en était presque poignant, surtout dans les moments où, expliquant ses projets, il enjambait le quinquennat, en leur fixant pour terme 2025. Évidemment 2025… ça ne peut pas se concevoir autrement. « C’est ici qu’il faut de la finesse », recommande l’Apocalypse, incitant l’homme d’esprit à calculer le chiffre énigmatique. Dans l’Apocalypse il s’agit du chiffre de la Bête qui doit régner un temps et des temps. Le logogriphe n’est plus ici 666 mais 2025. Est-ce assez clair, 2025 ? Il fallait bien une question d’une de ces dames sur cet enjambement qui pourrait paraître indécent et indiquer un dessein plus tortu qu’une directe nécessité. La réponse resta à la hauteur de l’admirable ambiguïté qui rapproche encore, comme dans bien des détails, le président Macron de la puissante figure du fondateur de la Ve République : la même table, la même posture, la même ironie déguisant le même dédain. Eh oui, prenez cela comme vous l’entendez ! Vous m’avez compris, notifia-t-il d’un ton subtil et d’un air malicieux. Et les dames ont souri, de cette connivence aimable qui lie comme naturellement les intelligences supérieures.
L’implacable rudesse de la réalité
À force, il y aurait presque du réactionnaire chez ce progressiste patenté. Il n’est point douteux qu’il veut pour lui-même l’unité de commandement et la durée dans le temps, en un mot la permanence. La permanence au sommet pour mieux assurer le changement, affirme-t-il avec aplomb, le changement concernant tous les autres, femmes et hommes, comme il dit, institutions, législations, représentations, société. Lui, il est le centre indispensable. « Prôton kinoun akinêton », disait le Philosophe, le Maître de ceux qui pensent, selon Dante. La monarchie divine, en quelque sorte, le moteur immobile qui meut tout le reste du bas monde à la convenance de la finalité fixée, le macronisme universel.
Qui ne se souvient du Macron tout-puissant, jupitérien, de l’année qui suivit son accession au pouvoir ? De son ton démiurgique lors de sa prosopopée épique sur la Pnyx, parlant au nom de la Grèce, lors de son cours magistral en Sorbonne, parlant au nom de l’Europe, lors de sa transe prophétique à Davos, parlant au nom du monde ? Il s’agissait dans ces cadres prestigieux de l’Europe et du monde à unifier ; la petite France était réduite à un moyen transitoire, il l‘avait explicitement dit.
Il avait même assuré en Sorbonne que la France, c’est-à-dire lui, était prête à renoncer à quelques grands attributs souverains pour construire la seule souveraineté qui vaille, l’Europe de demain ; et les commentateurs les plus avisés avaient entendu que la concession pouvait concerner la dissuasion nucléaire ou la place permanente de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU. Les Allemands l’ont, d’ailleurs, parfaitement entendu dans ce sens et l’ont fait savoir encore dernièrement.
Et voilà ! Le bas monde ne tourne plus, mais plus du tout, au gré des impulsions du moteur macronien : entre l’Amérique, la Chine, la Russie, le Moyen-Orient, l’Afrique, que contrôle Macron ? Que peut-il contrôler ? Et l’Europe ne veut plus de moteur : l’Angleterre fait ce qu’elle veut, l’Italie pareillement, l’Espagne est incertaine, le groupe de Visegrad veut une Europe à sa façon ; quant au moteur franco-allemand auquel Macron s’était identifié, le moins qu’on puisse dire est qu’il a des ratés : même Macron qui y croit forcément, a été obligé de le reconnaître, lors de sa conférence de presse.
Reste la petite France dont il doit se contenter et dont il est par nature le moteur. Notre président a concédé enfin qu’il devait commencer à s’intéresser aux Français. Il a changé de perspectives, a-t-il sous-entendu dans des propos quelque peu chantournés. Il a même confessé que la crise des Gilets jaunes l’avait amené à réfléchir. D’où sa décision du grand débat.
« J’aime la France », a-t-il déclaré. Il voudrait « furieusement » son bien. Soit ! Et ça donne quoi ? Deux urgences. D’abord l’urgence sociale, celle du pouvoir d’achat ; donc , en plus des primes déjà prévues, un abaissement des impôts sur le revenu des tranches les plus basses, d’un montant de 5 milliards. Compensés comment ? Par des récupérations sur les niches fiscales des entreprises : merci pour les entreprises ! Ensuite l’urgence climatique qui soucie tant les jeunes ; réponse : convention de 150 citoyens tirés au sort chargés d’élaborer des solutions – « concrètes ! » – pour la transition énergétique ! Quoi donc encore ? Un fond de garantie pour les pensions alimentaires, la réindexation des petites retraites avec un plancher à 1000 euros. Une nouvelle décentralisation dans le but de simplifier et de responsabiliser : un guichet unique, France services, administratif et social dans chaque canton. Donc un « truc » de plus de fonctionnaires, alors que les collectivités territoriales ne peuvent plus vivre et que Macron leur retire leurs ressources. À quoi sert de louer les maires après les avoir méprisés, de mettre sous pression préfets et sous-préfets ? Plus de fermeture d’école ni d’hôpital sans accord de la mairie. Soit ! C’est déjà fait ! Et les fermetures de classes et les fermetures de services ? Et les gosses remis à l’État dès l’âge de 3 ans ?
Et pour réconcilier les petites gens et les élites, suppression de l’ENA et des grands corps. La méritocratie républicaine en sera, paraît-il, transformée. Changera-t-elle d’esprit, sauf à entrer davantage dans le moule idéologique ? Qui choisir et sur quels critères ?
Enfin la réforme constitutionnelle sur laquelle Macron ne lâche rien : moins de députés et de sénateurs, 30 %, et au renouvellement limité, ce qui les réduira à quia ; 20 % de proportionnelle sous prétexte de représentativité, ce qui accentuera la dissolution du corps politique. Un référendum d’initiative partagée facilité avec un seuil d’un million de citoyens ; pas de référendum d’initiative citoyenne, mais un droit de pétition local ; enfin, pour faire bonne mesure, les 150 citoyens tirés au sort s’ajouteront aux membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; de quoi revitaliser la République. Pas de vote blanc, pas de vote obligatoire par respect de la démarche démocratique . Enfin pour montrer son désir de cohésion, Macron a parlé de la nécessité des frontières, pas celles de la France, celles de Schengen qui sont donc à repenser.
En gros, voilà tout ! Macron aura eu l’art de tout détruire sans rien construire de stable. Le Grand Moteur Génial tourne en rond sans finalité, sans objectif autre que lui-même. Avec sa prochaine réélection déjà en vue !
Dante qui s’y connaissait en matière de démagogie, de parti, de politicaillerie, plaçait tous les vices politiques et leurs châtiments appropriés dans les spirales descendantes de son Enfer. L’Altissime passionné se vengeait ainsi du mensonge politicien qui se couvre d’apparentes grandeurs : « Combien se prennent là-haut pour de grands rois qui sont ici comme porcs dans l’ordure, laissant de soi un horrible mépris. » ■