Par Mathieu Bock-Côté
CHRONIQUE – Cette chronique de Mathieu Bock-Côté – de celles que nous reprenons souvent pour leur pertinence – est parue dans le Journal de Montréal du 15 mai. Qu’on le lise ! Tout simplement. LFAR
« Il incarnait un homme ne doutant pas d’être un homme »
Alain Delon est une figure majeure du cinéma français des dernières décennies. Il a tourné avec les plus grands réalisateurs et porté les plus grands rôles.
Il incarnait par ailleurs une forme de virilité mythique, magnétique, animale. Il faut regarder à ce sujet son éloge il y a quelques semaines par l’animatrice française Sonia Mabrouk sur la chaîne CNews — on le trouvera sur YouTube.
Delon
Alain Delon est ce qu’on appelle un monstre sacré. Et le Festival de Cannes a décidé de lui remettre cette année la palme d’honneur. C’est une manière de couronner sa carrière. Le tout aurait dû se passer dans la joie et l’allégresse.
C’était sans compter les vigilantes les plus motivées du néoféminisme policier à l’américaine. Pour protester contre l’honneur fait à Alain Delon, Women and Hollywood, une association militante, a lancé une pétition qui a vite rassemblé plusieurs dizaines de milliers de noms.
On reproche à Alain Delon des prises de position politiques au fil du temps — la plupart sont décontextualisées. Je résume en un mot : on lui reproche de ne pas être de gauche et de ne pas avoir les opinions recommandées sur les questions politiques qui aujourd’hui dominent l’agenda.
On aurait envie de dire : qu’importe ! Qu’importe que ce grand acteur soit de gauche, de droite, de centre ou d’ailleurs ? Qu’importe qu’il ait aussi dit d’authentiques conneries ? On célèbre ici un acteur et son art, pas un militant politique et son engagement ! Les honneurs et les hommages doivent-ils être réservés aux hommes et aux femmes qui sont du bon côté de l’époque ? Est-ce qu’un artiste devient d’un coup indigne de notre admiration s’il ne va pas dans le sens du progrès ? Aurons-nous encore demain le droit de lire Balzac, Flaubert, Muray ou Houellebecq ?
On peut être certain que l’immense majorité des signataires qui dénoncent Delon ne connaissent pas grand-chose à son œuvre. D’ailleurs, les Américains s’intéressent rarement à autre chose qu’eux-mêmes et lorsqu’ils le font, c’est pour reprocher au monde de ne pas se soumettre à leurs codes culturels.
Mais les signataires cèdent au réflexe pétitionnaire débile qui consiste à vouloir lyncher médiatiquement tous ceux qui s’écartent du politiquement correct. C’est au nom de la tolérance que se déchaîne aujourd’hui la tentation de l’intolérance.
Heureusement, les autorités du Festival de Cannes se tiennent debout et ne reculent pas. Elles dénoncent la police politique à l’américaine. Elles clament le droit pour un homme de penser ce qu’il veut, elles rappellent que les propos scandaleux d’aujourd’hui ne l’étaient pas hier, elles ajoutent que célébrer un artiste ne consiste pas à proclamer qu’il est un saint.
France
En gros, poliment, mais fermement, elles rappellent que la France n’est pas l’Amérique et n’a pas l’intention de se soumettre au puritanisme qui domine aujourd’hui l’empire de notre temps.
Vive la France qui sait dire non aux censeurs !
Si la controverse s’était passée au Québec, on peut être assuré que nos élites se seraient couchées devant la meute et excusées d’avoir eu l’idée de penser autrement qu’elle. ■
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