Par Rémi Hugues
Alors que se termine la campagne des élections européennes cru 2019, le premier scrutin intermédiaire de dimension nationale de l’ère Macron (les élections dites partielles ayant d’ailleurs été très rares), un enseignement peut déjà être tiré. Il concerne la structuration du système politique français issue du « collapse » de 2017.
Les résultants des études d’opinion suggèrent que l’opposition nationale fait jeu égal avec la majorité présidentielle, chacune réunissant un cinquième des sondés ayant l’intention de se déplacer au bureau de vote le 26 mai prochain. La République en marche (L.R.E.M.) et le Rassemblement national (R.N.) en tête, au même niveau : il y a du suspense dans l’air, comme en 2014. Lors des dernières européennes, la droite et le Front national se tiraient la bourre avec un étiage similaire dans les sondages (la première devançant la seconde d’une très courte tête), avant que celle-ci creuse l’écart de façon nette le jour du vote, rassemblant le quart du corps électoral. Pour la première fois de son histoire le mouvement lepéniste pouvait se targuer d’être le premier parti de France. « Bis repetita ! » souhaitent de tout cœur les caciques du RN.
Quelle que soit la formation qui arrivera en tête, le rapport de force qui se dessine confirme qu’un nouveau clivage s’est substitué au clivage gauche / droite, qui depuis les débuts de la Vème République opposait le socialo-communiste aux gaullistes et leurs alliés chrétiens-démocrates. La singularité commune au président Macron et à Marine Le Pen est d’avoir posé, dans notre époque caractérisée par la mondialisation et la crise économique, la fin de la pertinence de ce clivage gauche / droite, d’avoir diagnostiqué son obsolescence.
Ainsi a surgi le « et-en-même-temps-de-gauche-et-de-droite » du premier, face « au ni droite ni gauche, Français » de la seconde. Dès les lendemains de l’élection présidentielle de 2012, dans les colonnes de « Trop libre »[1], je mettais en évidence que ledit clivage était en train de devenir obsolète, dépassé, archaïque, et qu’à sa place émergeait le clivage libéral / souverainiste.
Le 26 avril 2012, d’abord : « Ce double clivage territorial – est/ouest et centre/périphérie – peut être vu comme la matérialisation en termes géographique du nouveau clivage qui caractérise la France électorale du XXIème siècle, structuré autour des thèmes de la mondialisation, de la question européenne et du libéralisme culturel : celui qui oppose ʽʽlibérauxʼʼ et ʽʽsouverainistesʼʼ, par-delà la coupure traditionnelle droite/gauche. »[2]
Puis le 9 mai 2012 : « clivage, qui depuis le referendum de 2005 pourrait bien être le plus opérant dans la vie politique française : celui qui oppose ʽʽlibérauxʼʼ (…) et ʽʽsouverainistesʼʼ (…) sur les questions de la mondialisation, du libre-échange et de la construction européenne. »[3]
Il est à noter que d’autres nomment différemment ce clivage né de la mondialisation et de la crise : « ouverts » contre « fermés », « progressistes » contre « populistes », « mondialistes » contre « patriotes »… en la matière il existe une grande variété de vocables !
Mais au-delà de la question – décisive s’il en est – de la terminologie, ce qu’il importe c’est de constater que ce nouveau clivage ne cesse de s’affermir, laissant, d’une part, une gauche éparpillée façon puzzle entre plusieurs mouvements, qui, au mieux, frôlent les 10 %, et d’autre part, une droite réduite à incarner le « parti catholique » afin d’attirer les voix de la bourgeoisie traditionnelle de province vieillissante ; lesquelles forces de l’ « ancien monde » jouent en dernière instance le rôle de supplétifs de la majorité présidentielle au second tour, dont l’avènement est résulté de la synthèse des deux.
Dépouillés de leurs oripeaux antilibéraux, de leur mystique propre, une foi messianiste dans le peuple pour lune et un amour fou de la nation pour l’autre, il ne leur restait que l’idéal libéral de l’ordre en mouvement, du tout-marché, du tout-Europe, du tout-à-l’égo, du tout-pour-la-disparition-de-la-France, idéal incarné de manière chimiquement pure par le pouvoir macronien.
En négatif de cette synthèse s’inscrit celle de la France d’avant, qui s’accorde sur un certain nombre de points, que l’on pourrait agréger autour de la notion orwellienne de Common decency, de « décence commune », notion à laquelle pourrait adhérer autant un Étienne Chouard qu’un Patrick Buisson. Le pays réel en somme, qui estime que l’effort, le mérite, le travail, ne sont pas assez valorisés tout en défendant le dimanche chômé, le repos dominical. Qui s’émeut des onze vaccins obligatoires à trois ans et des cours d’éducation sexuelle prodigués dès l’école primaire. C’est cette France qui soutient le « mouvement des gilets jaunes », qui ne répugne pas par principe à payer l’impôt, mais qui a bien compris que ce qui nous est prélevé ne sert pas à assurer un fonctionnement optimal des services publics mais à alimenter le train de vie dispendieux d’une caste xénophile, soucieuse de servir les gnomes de la City et de Wall Street, ces « spéculateurs » dans le sens que donnait à ce terme Vilfredo Pareto dans son Traité de sociologie générale[4], qui parient à la baisse sur l’actif France, sponsorisant toute action publique ayant pour seuls bénéficiaires les sans-papiers (ou migrants), érigés en nouvelle classe messianique au détriment des catégories populaires et de la fraction paupérisée de la classe moyenne, qui usent du vote contestataire comme d’un défouloir, un moyen de faire la nique à l’élite établie.
S’il faut se risquer à un pronostic quant au vainqueur du 26 mai prochain – exercice ô combien périlleux ! –, je dirais que la liste conduite par Jordan Bardella est celle qui arrivera en tête. En mars 2018, L’humanité Dimanche mentionnait un sondage IFOP réalisé en décembre 2017 plaçant LREM en pole position avec 26 % des suffrages, suivi par le FN avec 17 %[5]. La dynamique, on le voit, par rapport à maintenant, est clairement du côté du parti rebaptisé depuis RN.
Séparés alors par un écart de dix points, les deux partis sont aujourd’hui au coude-à-coude : pour l’observateur attentif, une telle évolution du rapport de force signifie que la liste de la ministre Loiseau sera battue. Si cela s’avère exact, le journaliste Benjamin Köning de l’hebdomadaire communiste avait vu juste en signant un article intitulé « Front national. Pourquoi il est loin d’être mort. » Réponse le 26 mai au soir… ■
[1]Un blog rattaché à une fondation financée indûment par nos impôts que pilotent deux fidéicommis de la maison Rothschild, Nicolas Bazire et Grégoire Chertok, administrateurs donc, outre leur activité professionnelle principale, de la chiraco-sarkozyste Fondapol.
[2]http://www.trop-libre.fr/la-vague-rose-s%E2%80%99arrete-a-l%E2%80%99est/
[3]http://www.trop-libre.fr/le-front-national-avant-garde-de-la-%C2%AB-nouvelle-classe-ouvriere-%C2%BB-2/
[4]Les spéculateurs sont les « possesseurs d’actions de sociétés industrielles et commerciales […]. Il y aura aussi les propriétaires de bâtiments, dans les villes où l’on fait des spéculations immobilières; de même les propriétaires de terres, avec la condition semblable de l’existence de spéculations sur ces terres; les spéculateurs à la Bourse; les banquiers qui gagnent sur les emprunts d’Etat, sur les prêts aux industries et aux commerces. Ajoutons toutes les personnes qui dépendent de celles-là : les notaires, les avocats, les ingénieurs, les politiciens, les ouvriers et les employés qui retirent un avantage des opérations indiquées plus haut. En somme, nous mettons en- semble toutes les personnes qui, directement ou indirectement, tirent un profit de la spéculation, et qui par différents moyens contribuent à accroître leurs revenus, en tirant ingénieusement parti des circonstances. », Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale, vol. II, Lausanne / Paris, Payot & Cie, 1919, p. 1431. Dans cet ouvrage, le sociologue exprime avec un brin d’ironie son scepticisme vis-à-vis de la démocratie représentative, analyse que je partage entièrement : « Qui est ce dieu nouveau qu’on appelle ʽʽSuffrage universelʼʼ ? Il n’est pas mieux défini, pas moins mystérieux, pas moins en dehors de la réalité que tant d’autres divinités, et sa théologie ne manque pas plus qu’une autre de contradictions patentes. Les fidèles du ʽʽSuffrage universelʼʼ ne se laissent pas guider par leur dieu ; ce sont eux qui le guident, qui lui imposent les formes sous lesquelles il doit se manifester. Souvent, tandis qu’ils proclament la sainteté de la majorité, ils s’opposent par ʽʽobstructionʼʼ à la majorité, même s’ils ne sont qu’une petite minorité ; et tout en encensant la déesse Raison, ils ne dédaignent nullement, en certains cas, le secours de la ruse, de la fraude, de la corruption. », ibid., p. 1396. Gustave Mirbeau était bien inspiré quand il en appelait à la « grève des électeurs ».
[5]N° 599, 1-7 mars 2018.
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