Par Rémi Hugues
Comme en 1789, la crise de régime actuelle, provoquée par le mouvement des gilets jaunes, a pour déterminant principal une fiscalité jugée trop lourde.
L’iconographie révolutionnaire montrait le tiers état voûté, accablé par les privilèges de la noblesse et du clergé. Aujourd’hui les gaulois réfractaires en colère se plaignent d’un État qui ponctionne outre mesure tout en fournissant une qualité de services publics qui, à leurs yeux, est de plus en plus insuffisante. « Si elle se dégrade ainsi, où va l’argent ? » se demandent-ils, remontés contre la classe politique littéralement aux abois.
Et les grands médias, sots qu’ils sont, de relever cette incohérence dans les revendications des gilets jaunes : entre plus de prestations des collectivités publiques et de l’État et moins de prélèvements obligatoires il faudrait choisir ! Le pays réel est ainsi infantilisé, assimilé à la conduite typiquement puérile qui, entre le chocolat et le nougat, renoncer à choisir, voulant les deux à la fois.
En même temps mieux d’Etat et moins d’impôts
Ceux qui ont porté au pinacle le Président du en même temps se gaussent de la France périphérique qui veut plus de puissance publique et moins d’impôt. Pour eux, ils en sont catégoriques, un telle équation est-elle totalement chimérique.
Sauf que nos compatriotes disposent d’un tant soit peu de mémoire, et dans leurs souvenirs il y avait, au début de la Vème République, un niveau d’imposition plus faible, alors qu’avec moins de fonctionnaires, l’Etat-providence accomplissait sa mission avec une certaine efficacité.
Ce qui a radicalement changé entretemps c’est la charge, devenue écrasante, de la dette. Cette même dette qui empoisonna le règne de Louis XVI, lui fut fatale même. Elle fut l’amorce de sa funeste fin que l’on sait. Or le système républicain étant une « bancocratie » – ce que Charles Maurras avait mis en évidence lorsqu’il conchiait cette modernité qu’il entendait comme la substitution de la loi du sang par la loi de l’or – en aucun cas la solution ne peut venir de son sein. Comment Emmanuel Macron, ex-fondé de pouvoir chez Rothschild, pourrait-il ôter à ses maîtres, la coterie ploutocratique transnationale, le levier par lequel ils accumulent une masse édifiante de capitaux ? La loi de l’or, prise concrètement, est en réalité loi de l’usure.
Les intérêts de la dette, qui grèvent non seulement le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, mais aussi la marge de manœuvre de l’Etat, sont un premier impôt à supprimer. Lequel est un impôt très sournois car c’est un impôt dissimulé.
La spirale financière infernale
Si l’Etat peut financer ses investissements de long terme par un « circuit du Trésor » qui s’exonère de tout recours aux marchés financiers privés, il peut en outre contracter des obligations auprès (pas nécessairement usuraires d’ailleurs) de ses sujets les Français. Les enrichissant il s’enrichirait lui-même. Et vice versa.
Le second cas prédominait dans la France des Trente glorieuses, avant que soit votée la scélérate loi du 3 janvier 1973, dite loi Pompidou-Giscard-Rothschild. Dans son essai La Révolution française[1], au sujet des assignats, Pierre Gaxotte soutient qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’un État qui ait les moyens de mettre en branle la machine qui fait tourner la planche à billets. Rien n’est plus vrai.
Les dirigeants européens, en statuant sur les prérogatives de la Banque centrale européenne avaient cette préconisation en tête. Dou l’indépendance de l’institution de Francfort. Mais indépendance formelle, comme l’a mis en évidence la crise de 2007-2008.
Le système capitaliste s’est trouvé exsangue suite au krach de Wall Street. Plus d’argent, ce sang des pauvres selon Léon Bloy, plus d’argent frais pour irriguer les organes vitaux du monde économique, les banques. Il fallut le secours des contribuables. Leurs « représentants », les présidents Barack Obama et Nicolas Sarkozy en tête, pour éviter in extremis l’irruption d’un chaos apocalyptique planétaire, les firent cracher au bassinet.
Fins de mois contre fin du monde
Contribuables qui, aujourd’hui, n’en peuvent plus. Alors qu’ils travaillent, leur est ôtée par le fisc leur livre de chair, et ils se retrouvent sans le sou. Lors d’interminables fins de mois, nos compatriotes sont rentrés, à partir de novembre 2018, en rébellion ouverte, des ronds-points champêtres aux flamboyants Champs-Élysées, contre le système républicain, capitaliste, démocrate et libéral-libertaire. Une aubaine pour ceux qui s’y opposent depuis des lustres ? Oui. Il s’agit maintenant de mettre des mots sur leurs maux. Et pas seulement du point de vue des institutions politiques. À savoir : émettons des propositions concrètes censées permettre de réduire la pression fiscale.
D’abord, on l’a dit, mettre un terme à l’impératif du crédit public usuraire. De surcroît, l’Etat français devrait reprendre le contrôle sur l’émission monopolistique de monnaie, via sa banque centrale nationale. Laquelle pourrait prêter « gratuitement », sans intérêts, à l’Etat royal, afin qu’il puisse combler ses déficits.
Si la somme demeure raisonnable, le niveau d’inflation resterait modéré. Et ce ne sont pas les partisans du « quantitative easing » (assouplissement quantitatif), pratiqué depuis la fin des années 2000 par MM. Jean-Claude Trichet et Mario Draghi qui y verraient quelque-chose à objecter. Car voici l’impôt futur, l’impôt des temps du retour du Roi : sachez qu’un zeste bien dosé d’inflation, provoqué par une émission monétaire réalisée afin de rétablir l’équilibre d’un budget public légèrement déficitaire, serait moins coûteux que l’effort consenti par l’administration fiscale, qui s’évertue via ses nombreux fonctionnaires à récupérer une pléthorique variété de taxes et impôts. À cette heure en France il en existe tant que nous nous abstiendrons d’en dresser une liste exhaustive. La République gère mal mais avec elle la pression fiscale croît.
Pour un « impôt inflation »
John Maynard Keynes, commentant les considérations de Lénine sur la monnaie, écrivit ceci : « Grâce à une inflation continuelle, le gouvernement peut secrètement et en toute impunité confisquer une bonne partie de la richesse de ses administrés. »[2]
La Bible des économistes et de leurs étudiants, le manuel universitaire appelé « le Mankiw », contient l’observation suivante : « le gouvernement crée de la monnaie pour payer ses propres dépenses. Pour pouvoir financer la construction des routes, payer les salaires des forces de police et subvenir aux besoins des personnes âgées et des pauvres, le gouvernement a besoin de fonds. En temps normal, il se les procure par l’impôt et par l’emprunt. Mais il peut aussi imprimer de la monnaie. Quand le gouvernement a recours à la création monétaire, on dit qu’il lève un impôt inflation. Cet impôt est différent des autres, dans la mesure où personne ne reçoit d’avis d’imposition du gouvernement. Cet impôt est beaucoup plus subtil. […] L’inflation est donc un impôt qui frappe les porteurs d’argent. Quand le gouvernement lève cet impôt, il prélève des ressources sur les ménages sans avoir à leur envoyer une facture. »[3]
Ce serait ainsi un moyen plus économique de parvenir à des résultats similaires. Dégraissons ce « mammouth » qu’est l’administration fiscale : ses fonctionnaires sont les mal-aimés par excellence, tandis que chacun sait l’utilité d’un médecin, d’un magistrat, d’un professeur, d’un policier ou d’un militaire. Cette méthode présente l’avantage d’abaisser le coût qu’entraine la gestion du prélèvement des ressources.
Mais pour autant ne désirons pas l’abolition de tout impôt, de toute taxe. Ne nous laissons pas aveugler par les chimères du libertarisme, pensée politique étrangère à notre culture chrétienne, d’après laquelle faire œuvre de charité, ça n’est pas facultatif, c’est un devoir. L’impôt est au fondement du principe de solidarité nationale, du souci du bien commun. Il est donc un impondérable de la vie au sein d’une société politique, en tant qu’effectivité matérielle du lien social. ■
[1] Paris, Tallandier, 2014, pp. 175-182.
[2] Cité par Gregory Mankiw, Principes de lʼÉconomie, Paris, Economica, 1998, p. 787.
[3] Ibid., p. 770-772.
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