Par Rémi Hugues.
Le Cercle Proudhon – 1911-1914
« L’Action française, qui, avec Maurras, est une incarnation nouvelle de l’esprit apollinien, par sa collusion avec le syndicalisme qui, avec Sorel, représente l’esprit dionysien, va pouvoir enfanter un nouveau grand siècle, une de ces réussites historiques qui, après elles, laissent le monde longtemps ébloui et comme fasciné. »[1]
L’irruption du libéralisme, avec cette Révolution française qui est la réalisation de la philosophie des Lumières, a produit un nouveau dogme : celui des droits de l’homme, gravé dans le marbre d’une Déclaration à vocation universelle, se substituant brutalement à l’antique et intemporel christianisme.
La première grande crise du libéralisme, la « grande dépression » de l’idéologie moderne par excellence, intervient dans les années 1880-1890, comme l’a mis en évidence Marcel Gauchet[2].
Or ce qui sʼessaye à contrer cette offensive anthropocentrique et matérialiste, à résoudre les graves problèmes quʼelle pose (misère, narcissisme, anomie, inculture, cynisme, nivellement par le bas, décadence des mœurs, « présentisme », déracinement, égoïsme, mépris des us et coutumes dʼantan) est dual. Lʼopposition qui surgit face à lʼoffensive libérale est elle même en opposition contre elle-même, divisée contre elle-même[3].
Il y a dʼun côté la réponse traditionaliste et de lʼautre la réponse révolutionnaire. Ces deux ripostes, qui ne sont pas nécessairement des « réactions politiques » au sens où lʼentendait Benjamin Constant (portrait) dans son ouvrage consacré à la question publié en 1797, sʼacharnent autant à se battre entre elles que contre lʼennemi commun, celui qui justifie leur activité, qui est la cause fondamentale leur genèse.
La première insiste sur le caractère contre-nature de la modernité libérale et appelle à restaurer la cohésion organique qui sʼest évaporée, suite à la remise en cause radicale du principe hiérarchique et religieux, cette tabula rasa qui nivelle, qui arase, qui élime à la schlague (cette variété de vocables reflète avec précision la violence de lʼordre républicain né de la décapitation de Louis XVI).
La seconde formule le vœu pieux que la modernité libérale nʼest quʼun stade transitoire, un court moment de douleur à supporter précédant la parousie égalitaire – une souffrance salutaire en somme –, car est promise la réconciliation des parties préalablement divisées, et annoncée la fraternisation de la collectivité travaillée par la guerre des classes depuis la dissolution du « genos communis ».
Contrairement au message que peuvent porter les apparences, la seconde réponse est paradoxalement plus religieuse que la première, tant dʼelles suintent les paroles des prophètes Isaïe et Ézéchiel, dont Karl Marx et Michel Foucault se sont érigés en thuriféraires, bien quʼinconscients de lʼêtre. Cependant cette religiosité est essentiellement terrestre, si ce nʼest « subterrestre » (cʼest ce rapport avec lʼarrière-monde du bas qui lui confère une dimension éminemment religieuse[4]). Cʼest dans le fond un messianisme relevant de lʼimmanence. Et lʼon sait que ni Maurice Barrès (photo) ni Charles Maurras nʼétaient des bigots. (A suivre, demain mardi) ■
___________
[1]Cité par Georges Navet, « Le cercle Proudhon (1911-1914). Entre le syndicalisme révolutionnaire et lʼAction française » in Mil neuf cent, n° 10, 1992, p. 62.