Par Rémi Hugues.
Le Cercle Proudhon – 1911-1914.
De même quʼaujourdʼhui, face au pouvoir intégralement libéral dʼun Emmanuel Macron (alors que ses prédécesseurs nʼétaient quʼà moitié libéraux, des « socialistes » Mitterrand et Hollande aux « conservateurs » Chirac et Sarkozy) se dresse une opposition duale, Jean-Luc Mélenchon (à lʼAssemblée), dʼune part, et Marine Le Pen (à la télévision), dʼautre part, dès sa naissance lʼordre moderne a eu affaire à deux adversaires, les partisans de la fuite en avant et les militants du retour en arrière.
Ce qui représente pour lui un avantage : ils se conçoivent lʼun par rapport à lʼautre de façon antagoniste autant quʼils revendiquent, vis-à-vis de la modernité libérale, se placer en opposition diamétrale.
Dʼoù le parallèle avec La Naissance de la tragédie de Friedrich Nietzsche établi par Édouard Berth : le philosophe allemand se risqua à « brutaliser son lecteur en lui désignant abruptement deux figures, deux divinités, deux impulsions […], dont la formidable opposition est la source de lʼart hellénique : Apollon et Dionysos. »[1]
Au tournant du XXème siècle, un rêve jaillit de lʼesprit de de lʼanarchiste passé au royalisme Georges Valois : réunir les contraires, les traditionalistes et les révolutionnaires. Rêve auquel crut Édouard Berth, fidèle parmi les fidèles du monstre sacré du socialisme Georges Sorel (photo), lequel a « joué dans lʼhistoire des idées un rôle plus significatif que celui de Guesde et de Jaurès. »[2]
Parti donc du mouvement syndical et ouvrier, Valois (photo) avait rejoint ce curieux clan qui avait une façon si moderne de se rattacher à la tradition, celles des roys, de Clovis à Louis XVI en passant par Saint Louis, mais aussi dʼun pays réel si noblement incarné par Jeanne dʼArc la Pucelle. Maurras, pour qui Pierre-Jospeh était un maître[3], nʼavait point dʼautre prétention que de rappeler à son antithèse, le pays légal, coalition des ennemis de la France, sa vitalité, sa grandeur, son génie même, au temps jadis, dʼavant 1789, et que lʼéclat quʼil avait en partie perdu depuis était dû à cette nasse des forces confédérées dans lequel il était désormais pris[4].
Or rien nʼopposait véritablement paysans, artisans et commerçants aux serfs récemment affranchis du prétendu joug de la terre et livrés à eux-mêmes dans les faubourgs des bassins où prospérait lʼindustrie naissante qui les recrutait[5]. En échange de leur livre de chair ces damnés de la Terre recevaient à peine de quoi subsister.
Tout ce processus dʼaccélération de lʼhistoire sʼétait mis en branle sous lʼégide des champions de lʼusure, cet aréopage dʼ « artistocrates » de la finance, mécènes intéressés (en un mot créanciers) des capitaines dʼindustrie en tout genre, aventuriers indomptables ou inventifs savants, qui avaient opportunément pris le pli du desserrement du dogme de lʼÉglise pour faire fructifier un pécule apparu des suites dʼune appétence toute matérialiste en faveur de lʼaccumulation, appelée aussi avarice ou thésaurisation. (A suivre, demain mercredi) ■
[1]Philippe Granarolo, En chemin avec Nietzsche, Paris, LʼHarmattan, 2018, p. 16.
[2]Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme (1885-1914), Paris, Seuil, 1978, p. 10.
[3]Hugues Petit, LʼÉglise, le Sillon et lʼAction Française, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1988, p. 119.
[4] Octave Mirbeau, politiquement orienté vers lʼanarchisme écrivait : « Jʼimaginai que la France était là, sur la scène, couchée parmi les ruines, belle, pâle et souffrante. Et je vis cette main s’approcher dʼelle, se poser sur elle, et, lentement, lʼenlaçant de ses mille suçoirs et de ses mille ventouses, pomper le sang tout chaud de ses veines qui se dégonflaient avec des bruits de bouteille quʼon vide. », cité par Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, p. 44.
[5]Firmin Bacconnier, un imprimeur autodidacte qui dirige entre 1904 et 1906 une publication royaliste et socialiste, la revue LʼAvant-garde royaliste, entendait notamment sortir du schéma dichotomique simpliste opposant prolétariat et patronat. Dans un autre périodique, LʼAccord social, il signait le 25 octobre 1909 un article ayant pour titre « La défense des classes moyennes » où il affirmait quʼil existe « ʽʽun prolétariat patronal comme il y a un prolétariat ouvrierʼʼ, et seule leur alliance pourra assurer leur salut commun face aux ʽʽtrusts et aux monopoles, enfants du libéralisme, du régime du bon plaisirʼʼ », cité par Zeev Sternhell, op. cit., p. 381.
A lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même …
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