Il s’agit-là d’une conférence inédite donnée en 1973 pour les étudiants d’Action Française de Marseille (URP). Son auteur ? Ludovic Vaccon, érudit et bibliophile marseillais, qui avait fondé dans sa jeunesse, avec quelques amis, le Cercle Jacques Bainville de la cité phocéenne. Des souvenirs, des citations, composent ce portrait de Bainville et en donnent une connaissance générale de première main. C’est Eric Zemmour qui l’appelle « le grand Bainville ». Y compris dans les prétoires. Publication sur une semaine. (Archives Gérard POL). JSF
JACQUES BAINVILLE et la POLITIQUE [I]
Si cette causerie peut prétendre à quelque intérêt, c’est uniquement parce qu’elle sera fondée sur des textes et des souvenirs.
Malgré la règle de silence qu’on semble s’être imposée à l’égard d’un des mouvements d’idées les plus importants de notre époque, le souvenir de Jacques Bainville persiste. Personne jusqu’à présent n’a osé soutenir qu’il ne fût l’un des grands historiens et l’un des esprits les plus perspicaces de notre temps.
Son Histoire de France, son Napoléon, constituent l’un des modèles du genre. Si prématurée que fut sa mort, les œuvres, les articles qu’il a laissés demeurent une somme inépuisable de renseignements, de comparaisons et de vues fulgurantes sur l’avenir.
Esquisse d’un portrait
L’homme était la simplicité même. On le disait froid, distant. C’est qu’il était réservé.
S’il m’est permis de rappeler un souvenir personnel : il nous recevait un jour à la Revue Universelle qu’il avait fondée. Il accueillait en souriant notre admiration aussi spontanée que juvénile, et pourquoi ne pas le dire : un peu naïvement provinciale.
« Dans votre ville, nous disait-il, je ne suis jamais passé sans que revint à ma mémoire le mot de Madame de Sévigné qui, après avoir décrit le pittoresque de la cité ajoutait : « l’air en gros y est un peu scélérat ».
Nous lui disions notre étonnement devant la confirmation par les faits de ce que nous appelions : ses prophéties. Il nous répondit : « N’exagérez rien, il ne fallait que du bon sens, il n’y avait qu’à suivre les causes et la logique des conséquences. »
La clarté, l’élégance de son style, c’était le reflet de l’homme tel qu’il se présentai : net, précis, pudique. Cette pudeur, cette mesure marquent tous ses écrits. Certains les confondaient parfois avec de la sécheresse, et même avec un scepticisme hautain. Ils oubliaient volontairement qu’il avait écrit dans ses Maximes et Réflexions :
« Je puis conclure à l’indifférence, à l’inutilité de tout. C’est bien si, pour mon compte je suis résolu à endurer les suites de la sottise en me consolant de ce que je souffre par l’âcre plaisir que procure le spectacle de l’universelle insanité Mais le moins forcené, le plus désabusé des Juifs l’avait déjà dit : nous aurons les conséquences. Et nous les aurons tous. Elles viendront chercher l’ironiste et le philosophe. On ne sépare pas son sort de celui des nations. Ou bien on ne l’en sépare qu’à condition de renoncer à soi-même et se moquer du genre humain. »
L’accuser d’indifférence c’est aussi oublier la sensibilité aigre qu’il dissimulait parfois sous le voile de l’ironie. On l’a toujours connu fidèle à ses opinions et surtout fidèle à ses amitiés.
Parlant de Maurras il disait : « Je ris beaucoup quand je vois traiter Maurras comme un homme ordinaire. On est prié de ne pas s’adresser au concierge mais à l’altissime. Qu’on se rappelle aussi que le désintéressement de Maurras est absolu. Henri Vaugeois appelait Maurras le » Noüs « , c’est sa signification la plus vraie. »
Quand, à l’Action Française, on apprit l’élection de Bainville à l’Académie, on se réunit autour de lui, Maurras survient, Bainville s’approche et débute ses remerciements spontanés par ces mots : « C’est à vous que je dois tout. »
N’est-ce pas la réponse la plus nette à ceux qui voulaient à tout prix voir des différences entre les deux hommes et suggérer même des antagonismes.
Léon Daudet et sa femme ont dit de quel secours leur avaient été la présence et l’affection de Bainville lors de l’assassinat de Philippe Daudet, au moment même où l’incertitude douloureuse pesait sur la fin tragique de l’enfant.
Après avoir trop rapidement essayé de tracer ce portrait, venons-en à étudier la démarche de son esprit.
Jacques Bainville était le fils d’une famille bourgeoise et républicaine où la lecture dm Temps était en quelque sorte héréditaire. Il fit ses classes au Lycée Henri IV où il avait comme compagnon Georges Grappe le futur biographe de Fragonard et Valéry Larbaud. Gorges Grappe rappelle avec beaucoup d’émotion ses années de jeunesse où la précocité de Bainville, son intelligence, sa passion pour l’Histoire et la littérature en faisait déjà un être d’exception parmi ses camarades. Bainville pensa un instant, pour donner satisfaction à sa famille, pousser ses études vers la médecine, mais son amour les lettres le détourna de cette voie. Il fit alors son Droit ce qui lui laissait de grands loisirs. Ainsi, il put avant l’âge de 20 ans approcher les milieux littéraires vers lesquels il se sentait attiré.
Quel était alors son état d’esprit ? Parisien de Vincennes il était un vrai fils d’Ile de France. Il n’aimera jamais le romantisme, ni les cœurs à nu. Ne dira-t-il pas dès son jeune temps : « Il y a quelque chose de grave et même de rude dans cette Ile-de-France dont le ciel est pourtant gris quand il est gris perle. » (À suivre, demain) ■