Emmanuel Macron avait étonné et même davantage par sa déclaration royaliste de juillet 2015. Produit de la pensée complexe, ce royalisme de type spéculatif, dont la formulation était pourtant réfléchie et construite, n’a pas empêché la politique que l’on sait. Dans le registre de l’étonnement, Luc Ferry vient de faire presque mieux dans son article du Figaro du 24 juillet qu’il faut lire. Nous le publions in extenso. Philosophe mondain féru de postmodernité et homme politique se voulant à distance du quotidien des affaires, doit-on faire à Luc Ferry l’injure de penser qu’il ne s’est livré à une sorte de défense et illustration assez étayée des sociétés traditionnelles, et même des sociétés d’ordres, en contradiction avec son discours habituel, que pour voler au secours de ses amis politiques en difficulté ? François de Rugy en particulier. Sans-doute aucun y-a-t-il de cela dans ce texte détonnant. Mais, malgré le jeu des apparences, on ne peut exclure que des pensées plus profondes cheminent dans cet esprit trop brillant. Sur cet article, où beaucoup d’idées sont fort justes, une objection principale apparaît. C’est son appréciation sans nuance et sans examen du rejet des élites par les Français d’aujourd’hui. Pour leur défense, il en appelle, à juste raison, contre l’envie démocratique, aux sociétés traditionnelles hiérarchisées. Mais leurs élites y disposaient, nonobstant toutes sortes de défauts, d’une légitimité historique qui était fondée sur les services rendus dans le temps long. Peut-on se dispenser de porter un jugement comparatif sur la valeur des élites modernes ? Sur la légitimité des privilèges des puissants d’aujourd’hui ? Faut-il exclure que le rejet des dites élites par le Pays Réel français ne soit hic et nunc légitime ? Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois dans l’Histoire que les élites trahissent les peuples et les États dont elles étaient pourtant issues. Dans le tableau que Luc Ferry brosse de l’Ancien régime, il oublie les périodes où devait se former l’alliance du peuple et du Roi pour ramener les élites dans le droit chemin. Ce fut quelques fois par la contrainte. JSF
Luc Ferry : « L’envie, une passion bien française »
Certains estiment que François de Rugy a commis une lourde faute dans une période qui impose comme jamais aux politiques retenue et humilité. D’autres jugent au contraire qu’au regard des pratiques habituelles qui furent celles de la plupart de ses prédécesseurs, ses péchés sont véniels, pour ne pas dire inexistants.
Quoi qu’on en pense, et avec un peu de recul, il est inutile de se voiler la face: ce ne sont ni des sentiments nobles, ni la vertu la plus admirable qui ont fini par avoir la peau du ministre de l’Écologie, mais tout simplement l’envie et la jalousie adossées à cette haine virulente des élites qu’on voit prospérer à nouveau depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Un ami m’a rappelé cette éloquente et si juste déclaration du général de Gaulle: « L’envie est notre vice national, c’est le pire des péchés capitaux, celui qui a jeté les anges en enfer parce qu’ils en voulaient à Dieu de leur être supérieur. C’est pire que l’orgueil, l’orgueil a une certaine noblesse, l’envie est le sentiment des vaincus et des haineux, c’est le crime de Caïn contre Abel, de celui qui a tout raté et qui tue le voisin parce qu’il a réussi, c’est la colère des perdants. Si les Français n’avaient pas ce défaut, on pourrait encore leur pardonner beaucoup de choses…» Et de fait, le Général avait raison, l’envie et la jalousie occupent dans notre démocratie une place envahissante, un rôle à vrai dire inconnu des sociétés traditionnelles, hiérarchisées et aristocratiques.
Comme l’a montré Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, une société formée d’ordres séparés ignore largement ces passions tristes, chacun vivant « dans son monde », dans son compartiment, sa classe ou sa caste, sans spécialement chercher à en sortir, du moins tant qu’une période de révolution n’est pas ouverte: tant qu’on est pour ainsi dire enfermé dans sa classe sociale, tant qu’on pense que cette hiérarchie, en vérité historique, est naturelle, inscrite dans l’ordre des choses, on n’est pas obsédé par l’idée de s’en émanciper. Voilà pourquoi, selon Tocqueville, l’envie et la jalousie n’ont guère de place dans la France de l’Ancien Régime.
Il en va tout autrement dans l’univers de l’égalité et de ces droits de l’homme selon lesquels les humains naissent « libres et égaux en droit ». Les inégalités consacrées par des privilèges apparaissent alors comme insupportables. En quoi cette passion puissante qu’est l’envie est directement liée à l’égalitarisme que la Révolution française poussa à son paroxysme. L’envie tend alors, chez nous plus qu’ailleurs en raison de cet héritage révolutionnaire, à se déchaîner aussitôt qu’une tête dépasse. Dès qu’un individu profite si peu que ce soit d’un avantage lié à sa fonction, fût-il dans la légalité, l’homo democraticus est prêt à s’insurger. Si un voisin sort du lot, il ne manquera pas d’inventer, pour expliquer son succès, des raisons qui le rassurent tout en abaissant l’autre: s’il a réussi, s’il est plus riche ou plus célèbre, c’est qu’il était pistonné, qu’il a usé de procédés immoraux, qu’il appartient à un lobby puissant, etc., etc. Les motifs ne manquent jamais pour tenter d’apaiser la jalousie qui se développe sur fond de la dynamique de l’égalité et apparaît ainsi d’autant plus forte que les individus sont proches les uns des autres. C’est dans son propre parti, dans la même branche de métier, que les inimitiés jalouses sont les plus vigoureuses. On connaît du reste la célèbre définition de la confraternité qui règne dans le monde des avocats: une «haine vigilante»…
Comme l’avait vu John Rawls, dans le sillage de Tocqueville, il est fréquent qu’au nom de ce fléau, certains aillent jusqu’à préférer un système dans lequel ils seront moins bien lotis du moment que ceux qui ont plus qu’eux sont mis à terre et leur arrogance foulée aux pieds. Comme il l’écrit dans sa fameuse Théorie de la justice: «On peut définir l’envie comme la tendance à éprouver de l’hostilité à la vue du plus grand bien des autres, même si leur condition supérieure à la nôtre n’ôte rien à nos propres avantages. Nous voulons alors les priver de leurs privilèges (…).Ainsi comprise, l’envie est nuisible collectivement: l’individu qui envie quelqu’un d’autre est prêt à faire des choses qui leur nuiront à tous les deux du moment que cela réduit le décalage entre eux.»
Personne ne pense sérieusement que le départ de François de Rugy moralisera si peu que ce soit la vie politique française. Il aura simplement mis un peu de baume au cœur de ceux qu’animent les passions tristes. ■
Les Etats-Généraux de 1789 à Versailles, reflets d’« une société d’ordres séparés »
Sur l’envie, cette passion mauvaise, on ne peut que recommander la lecture du bel ouvrage de Helmut Schoeck » L’envie une histoire du mal » publié aux éditions des Belles Lettres, dans lequel il montre comment cette passion se drape dans oripeaux de la prétention à la justice. Belle analyse aussi du fanatisme égalitaire issu en droite ligne de la révolution française.
Accepter la réussite et la richesse de celui qui vous surpasse par son intelligence son travail ou sa conduite est une chose normale mais supporter l’arrogance la tartufferie et la nullité d’un protégé de la république en est une autre. Monsieur de Rugy n’a rien fait en écologie pendant son mandat et à profité largement de sa fonction au dépens des contribuables et ce n’est pas parce qu’il n’est pas le seul de ce type qu’il ne doit pas rendre des comptes. Sinon pourquoi avoir rejeté Fillon?
La religion autrefois tenait lieu de gendarme et la perspective du paradis consolait les fidèles . On ne peut plus demander dans une nation d’athées aux exclus et aux malheureux de se conduire en saints.
Je ne sais plus qui a dit que la légitimité des rois naît du besoin du peuple mais on pourrait l’appliquer aux élites d’aujourd’hui. En 1789, l’utilité de la noblesse était mise en cause par tous, autant que le prix de sa perpétuation qu’elle faisait supporter à la nation. Malgré de terribles exactions, elle ne fut pas défendue et ne se défendit pas non plus – sauf à partir – tant elle était pénétrée par les « idées ».
Aujourd’hui, le peuple voit que le plus beau pays du monde est aussi le plus mal géré, et ce depuis quarante ans ! L’état des finances publiques est lamentable, digne d’une république africaine, et la classe inférieure se paupérise en même temps qu’on établit partout les « neveux » des puissants.
Par le trucage des scrutins et la captation des grands médiats, les élites ont maintenu leur main-mise sur la production nationale à nul effet pour le bonheur du peuple ; c’est du moins ce qu’il ressent. Plus que l’envie déjà détectée par Proudhon, c’est le sentiment d’engraissement d’une caste inutile qui court les rond-points, et les homards de monsieur de Rugy ont confirmé que la noblesse d’Etat bâfrait comme goret en pure perte pour la Nation !
» Si l’on repasse dans sa mémoire les gouvernements dotés d’une constitution et celles des corps de l’État face à des agressions inspirées par l’envie, on a l’impression que désormais il suffit très souvent de montrer du ressentiment et de l’envie pour légitimer n’importe quelle entreprise ou revendication. En d’autres termes : l’envie devient un instrument de justification et ce n’est plus à l’envieux, aux groupes et aux mouvements inspirés par l’envie qu’il incombe de démontrer que ce sentiment est l’expression d’une juste indignation provoquée par des abus objectivement constatables. Mais lorsque dans une situation sociale où les repères sont flous, où chacun croit pouvoir se comparer à chacun et où, en outre, on a abandonné l’idée qu’un rang plus élevé ou un meilleur niveau de vie doit se mériter par l’effort, lorsque par conséquent l’aspiration à l’égalité exige une satisfaction immédiate il n’est plus possible de faire la distinction entre l’indignation légitime et l’envie vulgaire. En fait, dans cette situation, tout privilège, tout grade élevé, toute différence de fortune et de prospérité, toute autorité peuvent à tout instant être attaqués par la rue, pour peu qu’y apparaissent des gens qui les contestent, le visage grimaçant d’envie et de haine. » Helmut Schoeck. L’envie, une histoire du mal. 1966
L’Egalité, dans la devise Républicaine, issue de la Loge maçonnique: CONCORDE, n’est que l’envie et la jalousie. parée de plus beaux atours. Envie rappelant l’un des péchés capitaux devient égalité, et est censée apporter aux plus humbles la possibilité de rejoindre les plus aisés.
Relire les commentaires de Donoso Cortes ( 19 ème siecle) sur la devise républicaine Liberté, Égalité, qui n’a de sens que dans la lumière catholique, rapportés par Gustave . Cf conférence donnée à Lausanne au cours d’un congrès de l’Office international……de Jean Ousset. ( disponible)
Lire Gustave Thibon