Il s’agit-là d’une conférence inédite donnée en 1973 pour les étudiants d’Action Française de Marseille (URP). Son auteur ? Ludovic Vaccon, érudit et bibliophile marseillais, qui avait fondé dans sa jeunesse, avec quelques amis, le Cercle Jacques Bainville de la cité phocéenne. Des souvenirs, des citations, composent ce portrait de Bainville et en donnent une connaissance générale de première main. C’est Eric Zemmour qui l’appelle « le grand Bainville ». Y compris dans les prétoires. Publication sur une semaine. (Archives Gérard POL). JSF
JACQUES BAINVILLE et la POLITIQUE [II]
Bainville était libéral et même légèrement radical lorsqu’il fit son premier voyage en Allemagne d’où il devait rapporter un livre sur Louis. II de Bavière et un changement dans ses opinions politiques.
Retour d’Allemagne à vingt ans
On a conté la chose maintes fois. Le fait est cependant si remarquable qu’il vaut la peine qu’on le redise.
La tenue de l’Allemagne impériale en ce début du/siècle : l’ordre, la propreté qui y régnait, un air de bonne maison, le firent profondément réfléchir. Les différences entre la France et l’Allemagne au point de vue organisation tenaient-elles essentiellement aux natures des deux peuples ?
Le peuple français qui, dans son immense majorité est, dans le privé, travailleur, économe, probe, amoureux de l’ordre et de la clarté ; le peuple français qui aime la famille, le respect de la loi, la civilité et la convenance, ce même peuple goûterait-il aussi la prodigalité, le laisser-aller, le désordre, la grossièreté, la gabegie, lorsqu’il s’agit de son propre gouvernement ?
Le jeune Bainville se posait ces questions . Il ne devait pas se les poser longtemps. En esprit, il avait condamné des institutions qui en mettant l’envie et la haine à la base des rapports des Français entre eux, avaient ruiné l’ordre véritable
A son retour, à la première gare française, Bainville demandait à la marchande de journaux un exemplaire de la Gazette de France. Il était devenu monarchiste par réflexion personnelle. C’est si vrai, que Maurras disait un jour en riant : « Bainville est dans sa génération le seul royaliste de raison que je n’ai pas amené à la monarchie. »
Bientôt ces deux hommes allaient se rencontrer. On était aux environs de 1900. Maurras entreprenait son œuvre et commençait l‘Enquête sur la Monarchie. Il collaborait en même temps à la Gazette de France où allait bientôt écrire Jacques Bainville. C’est là dans la Revue des Revues que le jeune écrivain fit son apprentissage de journaliste.
Le livre Louis II de Bavière fut d’abord refusé par plusieurs éditeurs. Il parut sous la couverture bleue de la vieille Librairie Académique Perrin. Le livre était dédié à Maurice Barrès. Maurras en rendit compte en ces termes : « M. Bainville s’est employé à conter de sang-froid l’existence de ce souverain idéaliste exploité jusqu’ici par tout ce que les lettres françaises rassemble de romantiques attardés. Il a exécuté ce plan avec une rigueur, une sagesse, une paisible égalité de style et dé pensée qui pourront étonner les uns et faire aussi trembler les autres. Il a fait à 20 ans, et du premier coup, ce qui se réussit difficilement à 40, et moyennant beaucoup de peine et de talent : un solide livre d’Histoire. Je ne vois point d’exemple d’une lecture aussi étendue au service d’une critique aussi adroite et d’une intelligence littéraire aussi prompte. »
Quel magnifique éloge et quelle vue clairvoyante sur la destinée de ce jeune écrivain qui allait être bientôt au premier rang des collaborateurs de l’Action Française, petite revue grise qui se transformerait en journal quotidien. dont je n’ai pas besoin de vous rappeler l’influence et la position magistrale dans la France contemporaine.
Pendant plus de 30 ans, chaque jour que Dieu faisait, Bainville a écrit dans plusieurs journaux. Il menait cette tâche quotidienne avec une égalité d’humeur et d’esprit qu’on n’a vue jusqu’ ici à aucun autre.
L’ Action Française, Candide, La liberté, le Petit Parisien, le Capital, la Nation Belge, l’Eclair de Montpellier se partageaient ses articles.
De plus, il dirigeait la Revue Universelle où chaque quinzaine il écrivait des Lectures aussi riches de substance et d’érudition qu’aisées de style et de vivacité allègre.
Au milieu de cette besogne écrasante, il trouvait le moyen de composer de nombreux livres.
Cet énorme labeur ne se bornait pas à écrire. Il fallait aussi mettre chaque jour au courant sa culture et son information : politique étrangère, économie politique, finance, bourse, Histoire et particulièrement histoire diplomatique, chronique des livres, du théâtre, des arts, variétés, anecdotes, relations de voyage, cet homme n’était pris en défaut sur rien.
Lucien Dubech, le critique théâtral, a dit un jour : cet homme est capable de tout, s’il avait voulu faire des souliers il eût été meilleur cordonnier qu’un autre.
Citons à ce sujet un trait peu connu : c’est par hasard que Bainville a tenu la rubrique de la politique étrangère à l’Action Française. Le journal payait peu ses collaborateurs. Maurras avise Bainville qui était chargé de questions historiques et littéraires et, tout à trac, lui dit : Untel s’en va, vous ferez la politique étrangère. Grimace de Bainville. Maurras l’arrête : « Vos reproches je ne peux pas les entendre, votre grimace je la mets dans ma poche, vous avez toutes les qualités pour prendre la rubrique. » (À suivre, demain) ■