Par Péroncel-Hugoz
Longtemps la géographie, la « Géo », fut avec l’Histoire l’un des classiques, des passages obligés de notre culture basique.
On citait avec révérence Strabon, « le premier géographe », le Gréco-marseillais Pythéas, le Marocain médiéval Ibn Battouta (le « fils du caneton »), notre moderne Vidal de La Blache, etc. Et puis, progressivement ce fut la défaveur, l’oubli, les gros soupirs d’ennui quand on prononçait le mot « Géo » devant des collégiens ou des enseignants.
La géographie avait sans doute été ce qu’en jargon médiatique actuel on nomme une « victime collatérale » de la disgrâce de l’Histoire, matière naguère noble, désormais diabolisée pour cause d’« idéologisation » de notre passé ; c’est là l’un des plus jolis cadeaux de l’invasion de notre civilisation catho-latine par le « politiquement correct » WASP (White Anglo-Saxon Protestant), importé massivement des States à la fin du XXe siècle par nos bobos-intellos enragés d’autodénigrement, de haine de soi, de repentance.
LE « NON » DE MME MITTERRAND
Sous le premier septennat mitterrandien, je vécus in vivo un épisode révélateur de cette énorme mutation culturelle sur laquelle le regretté Philippe Muray allait bientôt dire l’essentiel. Donc, je me trouvais, pour le Monde, en pleine Anatolie, afin d’y observer l’arrivée de diverses populations irakiennes, fuyant je ne sais plus quels troubles sanglants, survenus chez elles, et alors réfugiées en Turquie orientale. Madame Danielle Mitterrand, épouse séparée mais toujours légale du président français d’alors, était accourue sur les lieux en tant que présidente de la Fondation France-libertés, tout entichée des Kurdes, si pittoresques, si différents de nous avec leurs mines farouches et mal rasées, leurs grandes culottes bouffantes et leurs turbans enroulés à la diable ! Après qu’elle eut visité – la tête bien couverte d’un foulard afin de ne pas choquer l’environnement musulman – des camps de réfugiés kurdes, mahométans donc, un des humanitaires européens présents, proposa à Mme Mitterrand d’aller voir tel autre camp, dans la région. « Qui sont ces gens ? demanda notre Première Dame ? –Des chrétiens assyro-chaldéens », lui répondit-on. Alors à ma stupéfaction, je vis le visage de la « présidente » esquisser une grimace de rejet et sa bouche émettre un sonore et définitif : NON ! Je venais de vivre en direct un superbe exemple de « haine de soi » : Mme Mitterrand, en tant qu’athée, laïcarde, et néanmoins islamomane, surtout version kurdophile, n’aurait pas une once de compassion, d’intérêt pour ces « chrétiens », gens à fuir puisqu’étant nos coreligionnaires, donc peu ou prou semblables à nous, donc détestables… Je rendis compte dans mon journal de ce fait littéralement stupéfiant, en quelques lignes, perdues dans mon reportage car mettre l’accent sur ce « détail » en l’isolant ne serait sans doute pas passé à ma rédaction, alors sous la coupe d’islamo-gauchistes avant la lettre… (Suite, demain mardi) ■
La suite ! La suite !
Culture encyclopédique, expériences de tous ordres, rencontres de tous niveaux, art de raconter, de tirer la leçon de ce qu’il a vu et qu’il raconte, le tout avec style, humour, usage du paradoxe ou de l’effet de surprise… Péroncel-Hugoz, il me semble que c’est tout cela et c’est ce qui rend la lecture de ses articles à la fois si agréable et si enrichissante. C’est de plus en plus rare !