Il s’agit-là d’une conférence inédite donnée en 1973 pour les étudiants d’Action Française de Marseille (URP). Son auteur ? Ludovic Vaccon, érudit et bibliophile marseillais, qui avait fondé dans sa jeunesse, avec quelques amis, le Cercle Jacques Bainville de la cité phocéenne. Des souvenirs, des citations, composent ce portrait de Bainville et en donnent une connaissance générale de première main. C’est Eric Zemmour qui l’appelle « le grand Bainville ». Y compris dans les prétoires. Publication sur une semaine. (Archives Gérard POL). JSF
JACQUES BAINVILLE et la POLITIQUE [IV]
Parlant de la démocratie Bainville dit : « Les machines à moudre les mots qui étaient de formation juridique et avocassière ont fait une politique destructrice, brutale et sanglante. Les belles âmes d’aujourd’hui de préparation cuistre et consistoriale apporteront encore plus de désordres et de ruines par leur socialisme et leur humanitarisme enfantin. »
De la démocratie et la Révolution
Me permettez-vous de rappeler que ces lignes avaient été écrites avant 1914. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce qui suit : « Ce que la démocratie veut par-dessus tout ce n’est point la paix, c’est l’égalité. Il est doux au pauvre de mourir sachant que le riche meurt comme lui. »
Et encore : « On pourrait presque dire qu’un monde si fier de sa civilisation prend modèle sur les colonies animales. On songe à l’effrayante description des termitières selon Maurice Maeterlinck. On dirait que la cité future qui s’élabore est calquée sur cette citée d’insectes et que, pareils aux termites les hommes seront les esclaves de la vie collective. »
C’est cette idée que vous retrouverez chez Paul Valéry quand, sous l’occupation allemande, il écrivit en 1943 son fameux discours sur Voltaire.
Pour en rester aux idées générales sur la démocratie et l’égalité je vous lirai encore ceci : « Dans la dissociation définitive qui se fait par les progrès de la démocratie et du socialisme entre la liberté et l’égalité le médecin, représentant des professions qu’on appelait autrefois libérales, devient réactionnaire comme l’individualisme lui-même. Il y a là le principe d’un nouveau classement des idées et de nouvelles positions idéologiques. Le concept de liberté retrouve un avenir contre la démocratie nécessairement égalitaire, c’est à dire : sociale et socialiste. »
Que pensait-il de la révolution en général ?
« L’idéalisme révolutionnaire est incorrigible. Rien, pas même l’infortune ne l’instruit jamais.
Recommencez une révolution, une vraie, n’importe où et n’importe quand, vous obtenez toujours les mêmes manifestations, les mêmes personnages, les mêmes victimes et surtout les mêmes idées. Car le nombre des idées entre lesquelles l’esprit humain a le choix est court. La preuve en est que la Révolution française alla d’une traite au communisme.
Ce qui constitue l’intérêt caché mais peut-être le plus certain de la Révolution française, ce qui fait qu’on en lit toujours les récits avec la même passion, c’est qu’il n’y a pas d’histoire où l’on voit mieux et dans un raccourci plus dramatique que nos actes nous suivent. Ce n’est pas la morale, c’est la fatalité de l’expiation.
Dans la vie, nous payons toujours nos erreurs et nos fautes. On les a rarement payées à plus bref délai. C’est vrai à toutes les heures de la Révolution française. »
A ce propos, Bainville aimait souvent conter une anecdote qui pour tragique qu’elle fut lui paraissait savoureuse : Brissot le girondin, père de famille et démagogue, avait été un des plus farouches adversaires du Roi et avait voté la mort. Arrive la Terreur et le règne de Robespierre. Brissot est lui-même condamné à mort. Il écrit une lettre à ses accusateurs dans laquelle on retrouve mot pour mot, la noblesse en moins, et la phrase plus ampoulée, la lettre de Louis XVI à la Convention. Bainville disait : « Ce qui est plaisant dans cette terrible histoire, c’est que les conséquences ont été immédiates. »
Nous allons maintenant relire une pensée qui cadre avec nos préoccupations électorales du jour.
« Comment au cours du XIXe siècle, et dans un pays de bourgeoisie, la faveur de cette bourgeoisie est-elle revenue à des événements dont la seule image, apparue aux journées de juin I$48, ou pendant la Commune de 1871, inspiraient une sainte horreur ? Ce serait à chercher. Il se peut que les bourgeois aiment les révolutions à distance, au coin du feu, quand l’ordre règne dans la rue, quand il n’y a pas de danger, que l’émeute ouvre les portes des prions et assassine un Président de Chambre (en 1789 il s’appelait Flesselles), quand on n’a à craindre ni l’emprunt forcé, synonyme du prélèvement sur le capital, ni la loi du maximum, ni la paire de chaussures à 200 louis, ni le paquet d’assignats à 2 sous.
Une fois le péril passé il naît ce qu’on appellerait aujourd’hui une mystique de la révolution. Etonnante mystique bourgeoise On pense à M. Thiers qui dans ses livres de jeunesse glorifiait 1789, qui excusait Danton pour les massacres de Septembre, quitte à fusiller les émeutiers de 1871 et à exécuter les communards qui avaient massacré les otages. » (Photo).
En 1973, avec l’expérience que nous avons vécue il y a à peine cinq ans, croyez-vous qu’il y ait quelque chose de changé ? (À suivre, demain) ■