Il s’agit-là d’une conférence inédite donnée en 1973 pour les étudiants d’Action Française de Marseille (URP). Son auteur ? Ludovic Vaccon, érudit et bibliophile marseillais, qui avait fondé dans sa jeunesse, avec quelques amis, le Cercle Jacques Bainville de la cité phocéenne. Des souvenirs, des citations, composent ce portrait de Bainville et en donnent une connaissance générale de première main. C’est Eric Zemmour qui l’appelle « le grand Bainville ». Y compris dans les prétoires. Publication sur une semaine. (Archives Gérard POL). JSF
JACQUES BAINVILLE et la POLITIQUE [V]
Venons-en maintenant à des questions qui étaient d’abord étrangères à Bainville, auxquelles il a appliqué son attention pénétrante et qu’il a éclairées ensuite d’une manière incomparable.
Economie politique ?
Il s’agit de finances’, publiques et privées, que nous désignons sous le nom prétentieux d’Economie Politique.
Qu’en dit-il ?
« Les économistes comme les médecins en savent tout de même un peu plus que ceux qui ne savent rien. Seulement, leur science s’applique à une matière qui est encore plus complexe que le corps humain et qui est vivante comme lui, de sorte que la combinaison des nombreux éléments en présence et la réaction des uns sur les autres produisent des effets qui échappent à un calcul rigoureux et à un raisonnement précis. De là, de grandes incertitudes et souvent, du moins en apparence, de déconcertantes contradictions.
Nous en savons sur la circulation des richesses à peu près autant qu’on en savait sur la circulation du sang au temps de Charlemagne. »
Alors que la plupart des capitalistes ont en quelque sorte un peu honte de leur richesse, et que ce nom de capitaliste leur paraît une injure, écoutons ce que Bainville dit du Capital :
« Aujourd’hui, nous savons encore mieux qu’autrefois que le hideux capital devrait être appelé le Divin Capital. Sans lui, pas de science ni d’art. sans lui, pas de ces études désintéressées grâce auxquelles se réalisent toutes les améliorations. Si les études médicales deviennent trop coûteuses, parmi combien de sujets se fera la sélection des chercheurs ?
Or, dans la même mesure que le capital, s’affaiblissent les classes moyennes qui sont le plus solide support de la civilisation, parce que c’est d’elles que sortent sans cesse les talents.
La civilisation romaine a succombé avec la ruine de la bourgeoisie municipale et elle s’est réfugiée longtemps dans les monastères, parce que tans les temps de pauvreté, les seuls hommes qui puissent se livrer aux travaux de l’esprit, aux travaux qui ne rapportent pas d’argent, sont ceux qui n’ont ni femmes ni enfants, qui se sont affranchis des soucis de la vie matérielle. »
Bainville après l’échec du cartel des gauches et le premier effondrement du franc (1924 à 1926) avait écrit ceci : « Les préoccupations financières sont de nos jours plus obsédantes qu’avant parce qu’on a vu en Europe que les révolutions de la monnaie troublent l’existence des particuliers. Elles bouleversent toutes les notions que l’on croyait avoir sur la fortune et sur l’argent. Il semble bien cependant qu’à chaque fois qu’on explore l’histoire financière, encore plus inconnue que l’autre, ce qui n’est pas peu dire, on y fait des découvertes. Elle montre que le passé a connu tout ce que nous voyons aujourd’hui. »
Nous ajouterons que Bainville fut consulté par Raymond Poincaré (photo) au moment de la stabilisation du franc en 1926. Ce n’est pas un secret de dire qu’il fut écouté. Raymond Poincaré voulait réévaluer la monnaie étant donné la confiance qu’il avait reconquise et le grand succès de l’emprunt qui avait été lancé à ce moment-là. Bainville le déconseilla de prendre cette mesure. L’expérience que nous avons acquise depuis lors en matière de tripatouillages de monnaie et de leurs conséquences sur la vie économique de la nation nous prouvent que Bainville avait alors raison. Il serait trop long d’expliquer en détail pourquoi. Vous le savez, du reste. Bainville dans sa prescience l’avait compris.
Il avait aussi compris ce qui allait se passer dans notre époque où règnent les régimes de Sécurité Sociale, d’abord librement consentis, puis rapidement imposés.
« Il est curieux d’observer que le Socialiste et le Communiste se font les mêmes illusions que le bourgeois. Ils s’imaginent, tout aussi naïvement que, derrière le guichet de l’Etat, un représentant de la providence est assis et répartit la manne céleste sous la présentation d’un coupon, d’un livret ou d’une carte. Ils se figurent qu’il y aura toujours de l’argent, que, s’il n’y en a plus, il suffira de voter des impôts, et que, si l’impôt s’épuise, il suffira d’imprimer du papier monnaie. L’humanité moderne croit au miracle de la rente perpétuelle. »
Au fond, quelle est la destinée du Capital ? Bainville nous le dit :
« Tout capital qui ne périt pas brutalement, meurt lentement. Créé par l’effort il ne peut durer que par la persistance du même effort. C’est le principe bien connu de l’ancienne bourgeoisie française : « Toute fortune qui ne s’accroit pas diminue. » La conservation du Capital, c’est son renouvellement obligatoire. C’est donc encore l’épargne, c’est-à-dire pour aller au fond des choses la privation. »
Si courts que soient ces extraits ils suffisent, pensons-nous, à donner une idée de la pensée de Bainville en Economie Politique. (À suivre, demain) ■