Face au changement climatique, la directrice de Causeur et le rédacteur en chef de la revue Le débat sont piégés dans une souricière dont même Greta Thunberg n’a pas la clé.
Les deux intellectuels observent également que l’instruction civique a été remplacée par l’instruction écologique.Elisabeth Lévy a vu dans le phénomène Greta Thunberg un malheureux symptôme de ce que le regretté Philippe Muray appelait l’infantilisation des sociétés modernes. Sur la webtélé des mécontemporains, elle a reçu le philosophe et historien Marcel Gauchet pour recueillir (notamment) son avis sur le phénomène suédois. Voici un extrait de leur conversation, retranscrit par Causeur… (29 juillet). De quoi sourire (souvent), s’instruire, réfléchir, débattre. JSF
Elisabeth Lévy. La venue de Greta Thunberg a l’Assemblée a tout de même suscité quelques protestations venues de mauvais coucheurs de droite. Elles ont été assez audibles. On a parlé de gourou apocalyptique et de “prix Nobel de la peur” ! Pour d’autres, évidemment, c’est un lanceur d’alerte qu’il fallait écouter. Quel est votre sentiment sur cette jeune fille ?
Marcel Gauchet. Rien de tout cela ! Ce qui me semble très significatif, c’est que l’on a affaire à une campagne d’opinion. Bien construite autour de l’image d’une personne invulnérable. Greta Thunberg est à la fois autiste, juvénile et femme. Toutes les cases étant cochées, on ne peut rien dire sur son compte sans passer pour un atroce anti-humain ! (…) (poursuivant sur un mode ironique) Je pense que notre prochain Président de la République pourrait ne pas avoir l’âge de l’éligibilité, mais forcer la barrière quand même. Probablement avons-nous [en politique avec Greta Thunberg] un poisson-pilote du futur !
Elisabeth Lévy. (tentant de mener son entretien avec sérieux) Que vous inspire cette fascination pour le climat, et, notamment, cette fascination pour la parole des enfants, qui représentent effectivement le futur de l’humanité ? L’Assemblée a réprimé dans le même temps la fessée, et peut-être en réalité toute contrainte éducative en quelque sorte… On encourage les jeunes à pourrir la vie de leurs parents sur les questions écologiques, qu’est-ce que cela nous dit de nous ?
Marcel Gauchet. Pas grand-chose. Excusez-moi, mais je n’ai pas encore vu de recueil de pensées d’ados du coin faisant autorité dans les programmes scolaires, par exemple ! Je ne crois donc pas que cela dise quelque chose, sinon une chose simple : la cause écologique est la question la plus compliquée qui soit. L’avantage de la parole des enfants, c’est qu’ils la présentent sur un mode simple et imparable. Du point de vue de la communication, c’est gagné : vous pouvez faire rentrer dans la tête des gens des réponses simplistes à propos du problème le plus compliqué qui soit…
Elisabeth Lévy. Tout de même ! Vous me dites que le cas de Greta Thunberg est exceptionnel. Mais sur cette question de l’écologie, il y a des millions de petits Greta Thunberg…
(…)
Marcel Gauchet. L’école a joué un rôle extrêmement important. Depuis une trentaine d’années, l’instruction civique a été remplacée par l’instruction écologique. L’écologie est devenue la forme acceptable de l’obligation envers la collectivité. Voilà le grand problème de la pédagogie actuelle, en matière sociale et civique. Parler de la patrie, des impôts ou des institutions est assez ingrat dans le contexte où nous nous trouvons. Alors qu’avec le tri sélectif, vous avez un objet incontestable et familier, faisant appel à des ressorts émotionnels faciles à comprendre. Cela passe très bien [beaucoup mieux que l’éducation civique à l’ancienne NDLR] ! Nous payons aujourd’hui le résultat d’un endoctrinement solidement conduit par les institutions scolaires depuis maintenant une génération.
Elisabeth Lévy. Dans la jeunesse, on peut trouver une diversité politique (pas énorme, mais tout de même). En revanche, sur le sujet de l’écologie, il me semble que l’idée qu’il faudrait “sauver la planète” est tout à fait massive ! Est-ce qu’ils ont raison de donner l’alarme ?
Marcel Gauchet. En termes objectifs, oui, il y a vraiment lieu de sonner l’alarme ! Mais sonner l’alarme sans se donner les moyens pratiques de quoi que ce soit hors de proclamations sur la radicalité du changement nécessaire, et alors qu’on est bien entendu pas décidé à l’appliquer pour son propre compte, ça ne coûte pas cher.
Elisabeth Lévy. Dans votre article sur les gilets jaunes d’ailleurs1, vous parliez déjà de “piège écologique” je crois…
(…)
Marcel Gauchet. Les gouvernants peuvent assez peu faire s’ils veulent rester dans leur position d’élus. C’est bien là le sujet. La cause écologique va être la machine à broyer tous les gouvernements démocratiques dans la période qui vient. Je peux l’augurer sans risquer de me tromper. L’écart sur ce terrain va être béant à tout moment entre la solennité des annonces et la minceur des mesures effectivement prises. D’ores et déjà, par exemple, on voit bien que le cri d’alarme lancé à l’intérieur du monde politique [est contredit] par l’objectif de croissance, auquel bien entendu on ne touche pas. Ah bon ? Avec la croissance économique, avec la croissance de la population et des énergies nécessaires, comment fait-on ? Il y a là un hiatus terrible. Le personnel politique se met dans une ratière. Ratière dont il ne peut sortir qu’en charpie.
Elisabeth Lévy. (saisissant l’occasion de refourguer son dernier numéro de Causeur) Oui ! Et autre exemple: les gouvernants demandent toujours plus de touristes. Essayons d’atteindre les 100 millions de touristes en France ! Et après les 100 millions, on visera les 150, n’est-ce pas ?
Marcel Gauchet. (acquiesçant) Et on va privatiser « Aéroports de Paris » pour avoir plus d’avions. Et plus de kérosène à dépenser, etc. Quel que soit le sujet [politique] que l’on prenne, on est dans une équation fatale. Il y a une telle distance entre les mesures praticables et la réalité des problèmes à l’échelle “massive”. Sans parler d’un petit détail… Imaginons que les Européens deviennent demain écologiquement vertueux. Ce qu’ils ne sont pas prêts de faire, mais imaginons simplement qu’ils y arrivent. Leur conduite ne changerait rien à l’état de la planète. Comment fait-on pour convaincre le reste de la planète d’entrer dans la logique occidentale ? On arrivera à une démagogie inévitable ici : “Vous nous imposez des sacrifices à nous, alors que les autres populations s’en contrefichent ! Et en plus, qu’est-ce qu’il se passe ? Rien”. C’est une situation politique terrible à gérer.
Elisabeth Lévy. Ce que vous êtes en train de me dire est très inquiétant. Il y a le problème réel que nous voyons tous [le changement climatique NDLR], et dans le fond, en régime démocratique, on ne pourra jamais le régler… Il faudrait en quelque sorte une dictature mondiale pour prendre les mesures réellement nécessaires, si je vous comprends bien ?
Marcel Gauchet. J’en ai peur. Nous sommes je le crains dans une sorte de défilé assez redoutable. Et c’est là que l’on comprend que l’on préfère mettre en avant de sympathiques porte-paroles qui ne tirent pas à conséquence que de s’attaquer pour de bon aux questions, à commencer par la question de la population de la planète…
(…)
Elisabeth Lévy. Un dernier mot sur Greta Thunberg. Philippe Muray, que vous connaissiez bien, parlait souvent de l’infantilisation des sociétés et de l’espèce humaine. Tout de même, n’est-elle pas un symptôme de ce phénomène ? Quand on voit des adultes écouter avec un tel ravissement une gamine de 16 ans…
Marcel Gauchet. C’est plus compliqué, en fait. Les vrais adultes sont les enfants!
(Les deux ricanent) ■
La logique la plus élémentaire tend vers la décroissance globalisée (par entropie) et le contrôle des naissances. Le reste est risible au niveau de l’enjeu.
Marcel Gauchet tue le job d’Elisabeth Lévy, et c’est drôle.
Merci d’avoir choisi cet échange.
Les ultras de l’écologie politique, plus mondialistes que Français oublient de nous dire qui PAIERA les 100 Mds de $, promis lors de la COP….machin à Paris afin d’aider les pays émergents à assurer la transition écologique . Surement pas Donald TRUMP, alors cette vieille courtisane d’Europe videra encore nos poches pour tenter de séduire les plus pauvres