Il s’agit-là d’une conférence inédite donnée en 1973 pour les étudiants d’Action Française de Marseille (URP). Son auteur ? Ludovic Vaccon, érudit et bibliophile marseillais, qui avait fondé dans sa jeunesse, avec quelques amis, le Cercle Jacques Bainville de la cité phocéenne. Des souvenirs, des citations, composent ce portrait de Bainville et en donnent une connaissance générale de première main. C’est Eric Zemmour qui l’appelle « le grand Bainville ». Y compris dans les prétoires. Publication sur une semaine. (Archives Gérard POL). JSF
JACQUES BAINVILLE et la POLITIQUE [VII]
En France, en 1932, le chef du Parti socialiste M. Léon Blum qui, quatre ans après allait devenir Président du Conseil, n’écrivait-il pas après l’élection du Maréchal Hindenburg contre Hitler, dans le journal Le Populaire : « Hitler est fini. L’Allemagne démocratique a brisé les reins de l’aventurier. »
Vous me permettrez de n’ajouter aucun commentaire.
Notre maitre atteint d’un mal implacable n’avait alors que très peu de mois à vivre. Jusqu’au dernier jour, puisqu’il écrivait encore le jour même de sa mort un article qui parut le lendemain dans L’Eclair de Montpellier, il continua de mettre en garde les Français et de montrer d’où venait le danger.
Mort de Bainville, deuil de l’Etat
Le premier dans la presse il signala : « Une étoile qui montait dans un ciel rouge de sang ». C’était l’élection de Heinlein le premier nazi sudète élu au parlement Tchécoslovaque.
C’est lui qui écrivit sous le titre « Les liaisons dangereuses » l’article qui évoquait le danger de se fier à la Russie dans le cas d’un conflit avec l’Allemagne.
Enfin, je jour de sa mort il rédigeait ces lignes sans aucune rature : « La Tchécoslovaquie, Etat nouveau sorti d’une conception d’intellectuels nationalistes et démocrates, est géographiquement mal située, ethniquement mal composée, avec une forte proportion d’habitants de langue allemande travaillés par le régime nazi. En cas de conflit, les Allemands seront en quelques heures au cœur de la Bohème. »
Il ajoutait : « Au total avant de se réjouir d’une nombreuse clientèle, la France doit savoir ce qu’elle peut espérer de tant d’amis et ce qu’ils espèrent d’elle. En cas de guerre, il faut savoir surtout si, après avoir servi de prétexte à la provocation et à l’agression, l’aide qu’ils demanderont ne sera pas plus grande que celle qu’ils pourront fournir. »
N’était-ce pas, en traits fulgurants, l’histoire que nous allions vivre en 1938 et en 1939 ?
Pour caractériser Jacques Bainville et son influence, nous ne saurions le faire mieux qu’en reprenant ce que Charles Maurras a écrit le jour où Bainville est mort.
Dans l’Action Française encadrée de deuil, le titre de l’article de Maurras était celui-ci : Deuil de l’Etat . Il y disait :
« Qu’est la douleur de notre amitié, qu’est même l’épreuve infligée à toute l’Action Française auprès du deuil de la patrie ?
On dira, nous avons quelque temps devant nous pour le dire, tout ce que l’esprit français doit à cet esprit, tout ce que l’œuvre entière de Jacques Bainville a rappelé à l’ingrate mémoire de notre pays, tout ce qu’elle a fait revivre de forte vérité, féconde, nécessaire.
On dira, son bienfait des années d’avant-guerre, de guerre, ou d’après-guerre. Ce qui ne peut pas être mesuré, ce qui doit déchirer les cœurs patriotes, c’est le sentiment net, clair, certain, des services qu’il eût rendus mais ne rendra point.
Ses principes nous restent. Ses avis, ses graves avertissements du semestre écoulé. Mais où est son autorité ? Où est ce flambeau tranquille, égal rayonnement aux pointes aigües, aux pénétrations sans répliques ?
Qui saura élever et répandre cette lumière, faite d’autant de passion retenue que de raison surexcitée ?
On n’y résistait point. Non, personne n’y résistait. Tout le monde éprouvait la nécessité de la prendre en considération et de n’en point refuser l’audience. C’est un irremplaçable pouvoir moral qui périt. Nous avons le devoir de remarquer qu’il ne périt point sans avoir mis en garde l’inepte monde officiel contre son inepte combinaison du traité avec Moscou, mais une dernière offensive, un surcroit de suprême instance aurait été indispensable, et, seul, Jacques Bainville pouvait l’asséner à nos criminels. Ils échappent à cette vérité comme à cette justice. Le deuil de Jacques Bainville emporte des lambeaux du salut public.
C’est l’éclipse de ce que nos pères appelaient d’un terme trop général et mal compris, la raison d’Etat. La raison d’Etat française habitait dans Jacques Bainville. Nous étions quelques-uns à le savoir et à agir en conséquence. Où a-t-elle émigré ? Qu’est-elle devenue ? Le grand conseiller secret de l’Etat français, celui que les pires même reconnaissaient et, sans jamais l’écouter, entendaient forcément (il les obligeaii4 à l’entendre), où est-il ?
De quelle compensation terrestre et humaine pourra être payée cette affreuse spoliation ? » (Suite et FIN) ■
Quel grand esprit ce Bainville!