Par Rémi Hugues.
Le grand problème économique de lʼheure
Cʼest la grande controverse de lʼheure. C dans lʼair lui a consacré une émission le 27 juillet 2019[1]. Sujet traité très tardivement dʼailleurs par rapport aux interventions avisées de celui que Le Monde taxe de « pape du conspirationnisme », le journaliste Pierre Jovanovic. Le retard que met la « grande presse » à se saisir de lʼinformation cruciale est en train de devenir aussi proverbiale que celui de la cavalerie dans Lucky Luke. Le grand enjeu du moment pour les économistes stipendiés est de ratiociner à propos de cet abracadabrantesque fait.
Notre monde en effet atteint avec cela le summum de lʼabsurdité. Il est précisément lʼabsurdité même, aurait dit Albert Camus. Mais ce nʼest pas à Sisyphe, un Sisyphe triste ou heureux, que la situation nous fait penser. Cʼest plutôt à une créature mythologique que lʼon pourrait lʼassocier : lʼouroboros. Ce symbole semble le plus approprié pour représenter cette configuration inédite.
Lʼouroboros est le serpent qui se mange la queue ; par la forme circulaire les antiques traditions orientales entendaient exprimer lʼidée dʼinfini, de cycles qui se produisent et se reproduisent, sans limites. Mais on peut voir également dans cette figure symbolique de lʼouroboros lʼidée de la créature destructrice dʼelle-même.
Le capitalisme est son propre fossoyeur : cette vieille antienne du marxisme, qui se fonde sur lʼhypothèse dʼune tendance à la prolétarisation de la condition humaine, connaît une nouvelle jeunesse, mais sur un autre plan, non pas socio-économique mais purement financier.
Le pari smithien, selon lequel sʼaffranchir de la prohibition de lʼusure est moralement juste car à même dʼaccroître la production de richesses[2], montre de vifs signes de défaillance. Il a pris un sacré bourre-pif même ! Le principe du prêt à intérêt, qui permet à chacun de sʼenrichir sans travailler[3], a muté en force dissolvante, en facteur de destruction des valeurs.
Les apprentis sorciers se voient maintenant obligés dʼaffronter le golem que leurs devanciers de la race des adorateurs du dieu Ploutos ont modelé, façonné de leurs mains que lʼavarice et le goût du lucre ont rendu galbées. Ils se voient contraints de digérer les amères concoctions de la « cuisine du diable » dont Clotilde a si peur dans Le docteur Pascal de Zola quand elle pense au remède miracle quʼessaye dʼinventer son oncle, un médecin fanatique de le religion du Progrès.
Le capitalisme est-il en train de se détruire par lui-même ?
Les taux dʼintérêt négatifs, ce nʼest pas seulement la ruine des épargnants, le génocide des rentiers[4], cʼest la ruine du capitalisme même. Cʼest un signe patent de la crise terminale du capitalisme que nous vivons. Et le plus cocasse dans cette affaire, cʼest que bon nombre de membres de lʼestablishment sont passés par la trotskysme ou le maoïsme. Ces ex-communistes sont sur le point, après des années passées à faire de lʼentrisme au sein de lʼhydre de lʼEmpire capitaliste américain, dʼaccomplir lʼexploit auquel ils rêvaient tant au temps de leur jeunesse : anéantir la bête immonde capitaliste. Par le verbe de rond-de-cuir ne parviennent-ils pas mieux à réussir leur plan que jadis ils comptaient faire triompher par le truchement du jet de pavés ?
Barroso, par exemple, qui est actuellement à la tête du conseil dʼadministration de Goldman Sachs après avoir été président de la Commission européenne. Et « Jean-Claude Juncker qui a indiqué lui même avoir ʽʽflirtéʼʼ avec la IVème internationale et le mouvement trotskiste »[5]. Ou encore Kouchner, lʼancien rédacteur de Clarté, le journal des Jeunesses communistes, qui dirigeait le Quai dʼOrsay lorsquʼune déflagration tonitruante sʼabattit sur le système financier mondial. Bancocratie oblige, les contribuables ont dû se sacrifier pour sauver le monde de la banqueroute généralisée, à leur corps défendant puisque personne ne leur a demandé leur avis, comme il est de coutume dans un régime démocratique.
Non seulement la santé financière des B.S.R. est pire quʼen 2007-2008, il suffit de voir lʼévolution des cours de bourse de la Société générale ou du Crédit agricole, dʼobserver lʼagonie de la Monte Paschi, de suivre le bank run que subit la Deutsche Bank – mastodonte qui, sʼil en venait à sʼeffondrer définitivement, serait tel un proboscidien de la savane écrasant par sa chute brutale toute la faune qui lʼenvironne –, mais surtout ce qui constitue le fonds de commerce principal du secteur a entre temps disparu. Les taux dʼintérêt négatifs rognent substantiellement sur les marges des banques.
Ceux qui rêvent de voir la Banque disparaître voient leur rêve sʼexaucer. Le règne de la chrématistique nʼest pas un horizon indépassable ; son imperfection est telle quʼil a été amené, pour perdurer, à produire son antithèse, lʼ« achrématistique », dénaturation de la dénaturation. Saint Pierre reçut cet avertissement : ce qui triomphe par lʼépée périra par lʼépée. Quant à la chrématistique, ce qui la décimera, cʼest lʼ « achrématistique ». (Suite et fin) ■
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