Par Antoine de Lacoste.
Il y a en ce moment une guerre du gaz autour de Chypre. Les gisements considérables récemment découverts ont aiguisé les appétits. La République de Chypre a signé d’importants contrats avec l’américain Exxon Mobil, l’italien ENI et le français Total. Mais la Turquie occupe toujours un bon tiers de l’île et n’entend pas passer à côté de cette manne. Elle fait donc des forages de son côté et multiplie parallèlement les opérations d’intimidation.
Ainsi, des navires de guerre et des navires de forages turcs opèrent actuellement dans les eaux territoriales de Chypre provoquant le mécontentement des Européens. Ces derniers ont, incroyable audace, décidé des mesures de rétorsion. Rassurez-vous elles ne vont pas bien loin : il s’agit juste de bloquer l’augmentation prévue en 2020 de l’aide de préadhésion à l’union européenne, soit 146 millions d’euros. L’aide est donc maintenue pour plusieurs milliards…
Cet épisode géopolitique distrayant est l’occasion de se pencher sur ce dossier opaque, voire occulte, des aides européennes à la Turquie instaurées pour l’aider à préparer sa future adhésion, que plus personne n’envisage d’ailleurs. Ubu est toujours roi, et avec nos impôts !
Ces aides sont regroupées sous le nom d’IAP, Instrument d’Aide de Préadhésion. Actuellement c’est IAP II qui est en cours depuis 2014 et s’achèvera en 2020. Ensuite IAP III se mettra en place de 2021 à 2027. La Commission européenne s’est prononcée en ce sens lors d’une conférence de presse le 19 mars 2019 : « L’Union européenne continuera à apporter une assistance en vue d’aider des partenaires à se préparer à leur future adhésion à l’Union européenne. » Ces partenaires sont l’Albanie, la Macédoine, la Serbie, le Monténégro et la Turquie.
Un débat a tout de même eu lieu au Parlement européen le 27 mars et certains députés ont légèrement renâclé. Ainsi, Arnaud Danjan, qui sera ensuite numéro trois sur la liste de FX Bellamy, a proposé de renommer ces fonds et de « les déconnecter clairement de la problématique de l’élargissement. » Quelle audace… Il a courageusement ajouté : « Les fonds destinées à la Turquie nous semblent trop importants alors même que les sujets de préoccupations communs, comme les migrations, font l’objet d’accord financiers spécifiques. »
Car les milliards de l’IAP s’ajoutent aux milliards offerts à Erdogan pour garder les immigrés syriens et irakiens chez lui, enfin sauf ceux qu’il a déjà envoyés en Europe. Pourquoi se gêner puisque l’Europe est toujours d’accord pour payer ? Pour la petite histoire, M.Danjan s’est abstenu à ce vote : il ne fallait tout de même pas exagérer…
Certains hommes politiques se sont parfois émus de cette situation. Ainsi, en 2016, le vice-président allemand du Bundestag, Johannès Singhammer, a déclaré que ces aides étaient « une vaste blague » et qu’il fallait les supprimer mais il ne s’est rien passé. La Cour des Comptes européennes (car il y en a une) a dit de son côté qu’il était impossible d’évaluer les retombées de ces aides. Mais la Commission européenne a superbement répondu : « La Commission va réévaluer en permanence la situation en Turquie et ajuster si nécessaire et en fonction des besoins l’allocation de ces fonds. » Prix d’excellence au concours de la langue de bois ! En attendant, le contribuable européen continue de payer sans le savoir.
Combien au fait ? Un homme politique, François Asselineau, a affirmé en avril 2017 que 6 milliards avaient ainsi été donnés à la Turquie. L’émission d’Europe1, le vrai-faux de l’info, a voulu vérifier ce chiffre et, dans son émission du 20 avril 2017, Géraldine Woessner, a affirmé que c’était en fait un peu plus : 7 milliards avaient déjà été donnés à cette date et 6 de plus seraient versés de 2017 à 2020, 3 pour la gestion des réfugiés et 3 pour l’aide à la pré adhésion. C’est la Commission européenne elle -même qui a fourni ces chiffres à la journaliste.
Pour la France, c’était à cette date, près d’un milliard d’euros…
Tout cela est bien évidemment accablant et l’on peut se demander s’il va se trouver un homme politique en Europe pour engager une action résolue afin de mettre un terme à cette invraisemblable situation. On peut rêver… ■
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