PAR MARIE PINSARD.
Des images de homards un peu trop cuits peuvent faire tomber un homme et ériger tout un chacun en moralisateur, soucieux, d’un coup, de la bonne marche de la res publica. Pourtant, ce n’est pas un homard qui pourra faire tomber Macron et la Macronie. Bien au contraire, le homard est plus que le meilleur ami du gouvernement, il en est l’exosquelette. Explication anatomico-politique.
Ce qui est intéressant dans le homard, ce n’est pas qu’il soit servi à la table de François de Rugy. Pas besoin de travailler à l’Insee pour établir statistiquement qu’il y a plus de chance de trouver à sa table, lors de dîners VIP, homards et grands crus que surimi-mayo en tube et cubi de villageoise.
S’il y a détournement de fonds publics, c’est différent et c’est grave et il devra répondre devant la justice. Pour le moment, la curée est assez insupportable.
Ce qui est intéressant dans le homard, ce n’est pas non plus la bouse pondue par le grotesque Jeff Koons et pseudo-subversivement accrochée à un plafond de Versailles. Non, ce qui est intéressant chez le homard, du moins du point de vue de l’actualité, c’est sa structure qui rappelle simplement ce qu’est Macron (pas l’homme mais l’animal politique) et son système : un exosquelette.
Sans sa carapace, le homard contrairement aux endosquelettes dont la structure osseuse est interne, ne pourrait tenir et se mouvoir. Il serait sans force, inconsistant, exposé à tous les dangers et ne pourrait pas plus vivre qu’il ne saurait être comestible.
Le pouvoir de Macron ne tient que par le squelette de verre qu’il a pris soin – qu’ON a pris soin – de fabriquer autour de lui. Il est construit avec l’agitation de l’épouvantail fasciste et du retour aux heures les plus sombres de notre histoire (on croyait la formule dépassée, que nenni !), la frayeur causée par le populisme, vecteur de lèpres et autres cochonneries de ce genre, le besoin de changement (qui n’est plus « maintenant » mais en « marche »), le martelage médiatique construisant le concept du président jeune et cool à l’américaine façon Obama yes we can, l’idée du renouveau, du nouveau monde qui viendrait balayer l’ancien, moribond et rance, l’adaptation constante à l’auditoire qui consiste à dire ce qu’il a envie d’entendre. Un coup la culture française existe, un coup on ne la voit plus, un coup on veut du libéralisme à fond les manettes, un coup on met du Jaurès dans ses rouages parce que quand même, la tradition, ça a du bon.
On cherche un peu dans tout ça la charpente solide qui peut faire tenir un homme et accrocher ses muscles, ses chairs, abriter sa pensée et son âme. Sans cette armature, point de substance. Et pourtant ça marche. Les attaques ne se font guère que sur l’informe, l’intérieur de la cuirasse, et on revient ainsi aux homards festifs qui tomberont dans les oubliettes des faits divers, dévorés et vite digérés. On peut s’accorder à ne pas aimer Macron, fustiger sa politique, voire détester le personnage mais tant qu’on continuera soigneusement d’entretenir ce squelette exhibé à l’air libre, celui du temps – qui d’ailleurs n’est pas si libre que ça, – il sera toujours debout et continuera de croître. En marche comme le roi nu. ■