PAR JE SUIS FRANÇAIS.
Ce n’est pas : « la grève générale est décrétée à Canton ». C’est : « la révolte gronde à Hongkong ». Mais les prodromes de la grève générale se profilent déjà. Chaque fin de semaine Hongkong est face à face avec l’immense Chine. Immense et monolithique. On ne peut pas dire que ce soit sans risques.
Monolithique, c’est ainsi que nous voyons la Chine si nous oublions l’Histoire. Car monolithique, elle ne l’a pas été toujours, ni même souvent, loin s’en faut.
L’histoire contemporaine de la Chine n’est pas un long fleuve tranquille
Une fois le système impérial aboli (1912), puis chassé de la Cité interdite (1924), il n’avait pas fallu longtemps pour que la république de Chine, qui sera celle de Sun Yat Sen et de Tchang Kaï Chek, ne fût la proie des luttes intestines incessantes des Seigneurs de la guerre. La faiblesse de l’État laissait le champ libre au néoféodalisme armé qui morcelait la Chine impériale. D’ailleurs, la décadence de la dynastie régnante avec son cortège de révoltes et d’abandons de souveraineté au profit des puissances occidentales, avait produit des résultats analogues plusieurs décennies auparavant.
À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Tchang Kaï Chek est président de la République de Chine, il est l’un des fondateurs de l’ONU, mais la Chine est toujours en guerre civile. Le Parti Communiste chinois défie le vieux Kuomintang. Les troupes en loques de Mao harcèlent l’armée chinoise. À l’issue de la Grande Marche, à la fois épopée, légende et mythe fondateur, l’Armée populaire entre dans Pékin et Mao proclame la République Populaire de Chine. (1949). Tchang Kai Chek, emportant avec lui le fantôme de la République de Chine, se réfugie à Formose (Taïwan). Le mythe d’une République de Chine qui serait la Chine entière survit encore aujourd’hui à Taïpei, source d’un irréductible conflit avec le régime de Pékin.
L’avènement du régime maoïste en Chine continentale n’a pas davantage signifié la fin des troubles. La Chine de Mao ne sera pas un grand fleuve tranquille.
Il y aura les camps de rééducation pour les traitres de l’ancien régime, ces camps où Puyi, le dernier Empereur de Bertolucci, fera sa confession-conversion et d’où Chou En Laï, mandarin d’origine, le tirera.
Il y aura, dans les années 50 du siècle dernier, l’invasion du Tibet, la fuite du dalaï lama en Inde où l’accueillit Nehru et le génocide qui s’ensuivit au Tibet et qui n’est pas encore achevé. La Chine a toujours considéré le Tibet comme chinois.
Mao l’y installera par l’invasion, les destructions et la violence ; il organisera le grand remplacement du peuple tibétain par l’arrivée massive de Chinois. Les mœurs, les croyances, la vieille culture du Tibet seront progressivement éradiqués. La Chine moderne, quant à elle, voit un intérêt stratégique majeur dans sa présence sur ce toit du monde d’où, par surcroit, s’élancent les grands fleuves asiatiques.
La Chine connaîtra encore les révoltes musulmanes, celles des Ouïghours. Qui sont endémiques et toujours actives. Et il y aura surtout la Révolution culturelle, dix années de lutte entre oligarques du PCC, déclenchée par Mao pour conserver le pouvoir ; dix années de convulsions terribles et collectivement délirantes (1969-1979) soulevant les masses populaires. D’innombrables Chinois y périrent, peut-être un million, sans compter les vies et les carrières brisées, la folie destructrice des Gardes rouges.
La Chine contemporaine, un long fleuve tranquille ? Il suffit de se souvenir pour démentir. Il y a encore quelques semaines, la dissidence chinoise tentait de commémorer les trente ans des massacres de Tien An Men. Autre épisode d’intranquillité.
Chine : la pérennité de l’ordre et de la croissance ne lui est pas garantie
Ces retours historiques auxquels nous nous sommes livrés un peu longuement n’ont d’autre intérêt pour aujourd’hui que de nous mettre en garde contre la tentation sempiternelle de considérer la situation du moment comme indéfiniment prolongeable. Tout au contraire des apparences, la Chine n’a la garantie ni de l’ordre, ni de la stabilité, ni de l’unité, ni même de la pérennité de son extraordinaire expansion économique et de la relative prospérité de sa population.
D’une certaine façon, la crise de Hongkong est dans la lignée d’une instabilité asiatique qui affecte l’intégralité du continent. Elle se manifeste en ce moment même au Cachemire et pour des raisons en partie similaires, New-Delhi venant de décréter, l’abrogation du statut particulier de large autonomie dont bénéficiait le territoire depuis des décennies. Pékin se risquera-t-il à en faire autant à Hongkong ? Telle est la question.
La crise de Hongkong est d’importance majeure. La Chine et le monde observent avec anxiété l’évolution de la situation. Selon une habitude ne varietur, les médias occidentaux ne cessent de qualifier les manifestations en cours de manifestations prodémocratie. Mais, même s’ils l’invoquent, la démocratie – au moins au sens occidental – n’est pas ce qui constitue le souci des Hongkongais. Ce qui mobilise Hongkong ce n’est pas une idéologie, ce n’est que la préservation de sa liberté, de son statut d’autonomie, de son identité.
Colonie britannique restituée en grand apparat à la Chine en 1999, le traité de restitution garantissait un statut accepté par la Chine, que l’on avait coutume de résumer dans la formule « un pays, deux systèmes ». Hongkong, quoique chinois, disposerait d’une large autonomie, d’institutions politiques propres et conserverait son système économique de type occidental.
La Chine a sans-doute encore besoin du « système » hongkongais notamment comme place financière de premier rang ouverte sur le monde capitaliste et utile à ses transactions avec ce dernier, c’est-à-dire avec le reste de la planète. Mais on peut être assuré que dans la volonté chinoise, dans la formule « un seul pays, deux systèmes », c’est le premier des deux termes qui prévaut largement. On l’a vu au Tibet, sous Mao, et, si la Chine se sentait assez assurée pour normaliser Hongkong par la force, l’on ne tarderait pas à la voir, aussitôt après, tourner ses regards, et peut-être ses navires et ses avions, vers Formose comme nous disions naguère, Taiwan, comme l’on dit aujourd’hui. Ce qui serait une toute autre histoire et d’une tout autre ampleur géopolitique. Sachons, toutefois que – incluant l’ambition économique, comme il est naturel – ce qui domine la politique chinoise n’est autre qu’un nationalisme puissant.
Les convulsions chinoises ne sont sans-doute pas achevées ou pourraient bien être plus ou moins proches de reprendre, pour des raisons de divers ordres qui dépassent largement la question de Hongkong. Nous nous y limiterons donc. ■
On lira vec profit l’article qui suit, de Jean-Philippe Chauvin, traitant du même sujet mais sous d’autres angles fort intéressants.
La CHINE dispose d’une impunité totale en matière de répression. Tant qu’elle demeure une puissance économique ( le Made in CHINA envahit le monde gràce à la rapacité du Grand Capital); Elle pourra écraser sans pitié tous ceux qui osent protester. Quant à l’Occident, après quelques larmes de crocodile , il continuera à s’enrichir et la Chine avec lui.
@Setadire
Sauf que Hong Kong est la troisième place financière mondiale derrière Londres et New York. Une répression appliquée sur le modèle communiste va entamer les positions de l’establishment bancaire et le vivier de traders. Or Hong Kong ne vit libre en Chine que pour cette fonction de finance internationale que Shanghai n’a pu lui prendre malgré les efforts soutenus de la bande à Jiang Zemin.
Quand on parle argent, tout le monde écoute. Il est plus difficile de parler libertés ou démocratie, des valeurs galvaudées.
D’accord avec Kardaillac sur les « valeurs galvaudées ».
Le rôle de Hongkong comme place financière était noté dans l’article de JSF. C’est bien de préciser son rang dans le monde.
L’argent a toujours compté dans l’Histoire. Mais il est des moments où d’autres forces se mettent en mouvement : la volonté de puissance d’un homme, la mécanique étatiste, le nationalisme d’un peuple et de ses dirigeants. Alors les cartes sont rebattues, l’initiative et la puissance changent de main. Tout bascule. Jusqu’à ce que les choses rentrent dans leur lit, si l’on peut dire. Mais ce n’est plus nécessairement le même.