PAR FRANÇOIS RELOUJAC.
Les médias présentent chaque jour des informations qui ont trait à la politique économique de la France : crise des Gilets jaunes, échec de la fusion Renault-Fiat, fermeture d’usines par General Electric, référendum sur la vente des Aéroports de Paris, rétablissement de l’impôt sur la fortune et suppression des niches fiscales, stagnation du PIB, etc. Mais y a-t-il une cohérence quelconque dans toutes les mesures prises par le Gouvernement ? Et ces actions déboucheront-elles rapidement sur un mieux ? Quelques exemples parmi les plus médiatisés pour essayer d’y voir clair.
La crise des Gilets jaunes
Selon les “experts” de Natixis, l’économie française ne pourra réellement redémarrer qu’avec une montée en gamme de sa production industrielle, ce qui ne se fait pas en un jour ni avec du personnel peu ou mal formé. En attendant il lui faut tenir et, pour cela, ils proposent le choix entre trois possibilités :
- la dépréciation du taux de change¹, comme en Inde ;
- l’augmentation des taux d’intérêt, comme la Turquie ;
- la réduction des salaires pour diminuer la demande intérieure et augmenter la compétitivité, comme en Espagne ou en Grèce.
Si les deux premières méthodes nous sont interdites car leur mise en œuvre dépend exclusivement de la Banque centrale européenne (euro oblige), la troisième paraît difficile à adopter dans un pays secoué par ce que l’on appelle la « crise des Gilets jaunes » (slogan qui permet de brouiller les analyses en empêchant de voir immédiatement les diverses causes du mécontentement général et en isolant les manifestants des autres membres du corps social qui pourtant partagent la même insatisfaction).
En la matière, la politique gouvernementale se réduit à utiliser des expédients pour gagner du temps sans chercher à s’attaquer à la racine du mal dont il est vrai que le traitement serait douloureux. Si l’on retient l’analyse des “experts”, la formation du personnel exigée pour le redémarrage de l’économie française sera d’autant plus longue et difficile qu’une partie importante de la population active ou susceptible de l’être ne semble pas disposée à accepter les exigences que cela entraîne. Le taux de chômage, malgré tous les expédients mis en œuvre, risque donc de demeurer supérieur en France (8,7 %)² à ceux enregistrés dans la zone euro (7,6 %) et dans l’ensemble de l’Union européenne (6,4 %).
De plus cet immobilisme économique va à l’encontre de toute politique environnementale véritable puisque, en France, 59 % des appareils ménagers achetés aujourd’hui le sont en remplacement d’appareils en panne, trop coûteux à réparer, faute de pièces de rechange.
Une fiscalité au service de la mondialisation
Le slogan mis en avant pour expliquer toutes les manipulations fiscales récentes est qu’elles favorisent le travail et donc l’emploi. C’est ainsi que l’impôt sur la fortune – censé freiner les investissements productifs – a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, laquelle ne créerait pas d’emplois. En réalité, la fortune mobilière est souvent placée dans des valeurs internationales ou des actions d’entreprises qui délocalisent pour améliorer leurs bénéfices, alors que la fortune immobilière – non délocalisable par définition – a besoin d’être entretenue, ce qui maintient des activités de proximité indispensables à la survie des populations rurales.
Dans le même temps le gouvernement prétend augmenter l’offre de logements, ce qui, compte tenu du fait que les petites entreprises locales n’ont plus les moyens de survivre, favorise les gros promoteurs industriels tels que Bouygues mais aussi la Caisse des Dépôts ou les grandes banques et compagnies d’assurance et leurs multiples épigones.
Parallèlement le gouvernement supprime la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, ne laissant aux communes la possibilité de maintenir leur train de vie qu’en augmentant la taxe foncière. Ce sont donc les mêmes contribuables qui vont supporter à la fois l’impôt sur la fortune immobilière, la taxe d’habitation maintenue et l’augmentation de la taxe foncière. Deux catégories sociales seront particulièrement touchées : les cadres dits moyens-supérieurs, qui sont en fait les principaux moteurs de l’activité économique, et les retraités qui supporteront en plus l’augmentation de la CSG. Il ne faut pas s’étonner si les jeunes diplômés partent s’établir à l’étranger… ce qui ne facilitera pas « la montée en gamme de la production industrielle » !
L’État actionnaire
Deux événements ont marqué la fin du printemps français : l’ouverture de la procédure pour le lancement d’un Referendum d’initiative populaire sur la privatisation des Aéroports de Paris, d’une part, et l’échec, à l’initiative du ministre de l’Économie, de la fusion entre le groupe Renault-Nissan-Mitsubishi et le groupe Fiat-Chrysler, d’autre part. Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, il convient de préciser tout d’abord que ce n’est pas la vocation de l’État d’être un industriel, ni un gestionnaire d’aérogare, ni un propriétaire foncier.
Dans ces conditions, il n’y avait aucune raison que le principal actionnaire de Renault s’oppose aux projets de celui qu’il a nommé à la tête de l’entreprise et, à l’inverse, l’État aurait raison de se débarrasser des Aéroports de Paris. Mais si d’un point de vue théorique il n’y a pas en soi de quoi critiquer ce qui s’est passé, cela ne signifie pas que les raisons qui ont conduit à ces deux psychodrames ne doivent pas être examinées.
On cherche en vain la raison qui a conduit le gouvernement à favoriser Nissan-Mitsubishi dont la santé apparente immédiate semble plus brillante que les perspectives à moyen terme, sauf à imaginer que cela ferait partie d’un accord secret avec le Japon dans le cadre de l’affaire Carlos Gohsn. En l’absence de motif clair, on peut en effet tout imaginer. Quant aux conséquences prévisibles, elles sont évidentes : compte tenu de la politique actuelle du gouvernement du président Trump, le refus d’une alliance avec un constructeur américain (Chrysler³) pourrait fermer à Renault l’accès au marché américain. Est-ce ce que l’on souhaite ? Cela risque-t-il d’avoir un impact sur l’emploi en France et sur la balance des paiements ?
En ce qui concerne les Aéroports de Paris, la question de leur privatisation est d’une autre nature. À quoi correspond-elle ? À une recherche de rentrée immédiate de fonds pour que la France ne paraisse pas trop s’éloigner des règles imposées à Bruxelles pour le respect des accords de Maastricht ? Pourquoi pas ! Mais, outre le fait que ces aéroports sont le principal point d’entrée des étrangers en France et méritent donc à ce titre d’être surveillés comme une frontière (et ici nous sommes dans le domaine régalien), on peut se demander si l’on ne va pas risquer de les brader. En effet, les aéroports de Paris sont à la tête d’un très gros patrimoine foncier que l’État ne peut pas valoriser en utilisant les abords des pistes d’atterrissage pour des constructions nouvelles. Un éventuel acquéreur obtiendra, à n’en pas douter, de les rentabiliser. Et, comme les Chinois qui s’étaient emparés de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, ils revendront leurs parts dès qu’ils pourront « cristalliser » la plus-value obtenue, laissant alors le gouvernement faire face aux ONG qui ne manqueront pas de dénoncer les nuisances subies par les riverains.
Quelle est donc la logique économique ?
Ces exemples montrent suffisamment que le gouvernement privilégie, et de loin, l’apparence à court terme au détriment de la santé à long terme. Comment peut-on l’expliquer ? Car, après tout, c’est bien le rôle du gouvernement que de prévoir l’avenir et d’y préparer le pays. Une des clés de lecture possible est à rechercher dans la personnalité des élites actuelles ou de celles qui se prétendent telles.
Ces élites semblent avoir pour modèle le banquier d’affaires lequel n’est plus aujourd’hui quelqu’un qui prend des risques pour créer et soutenir une industrie dont le coût serait trop élevé pour le seul entrepreneur, mais un spéculateur qui cherche à « créer de la valeur actionnariale », c’est-à-dire à capter les profits générés par une activité économique quelle qu’elle soit au bénéfice exclusif des détenteurs du capital à un moment donné. Ceux-ci ne sont bien souvent que des fonds de pension ou autres organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Tout banquier d’affaires regarde aujourd’hui les entreprises industrielles de la même façon qu’un joueur apprécie la forme des chevaux sur un hippodrome et non comme un propriétaire-éleveur. D’un exercice à l’autre, d’un jour à l’autre, il est prêt à parier sur celle qui lui paraît en forme – qu’elle soit ou non dopée aux subventions, à l’optimisation fiscale ou aux délocalisations – et à retirer sa mise de celle qu’il a soutenu la veille. Le gain réalisé dans l’opération est, quant à lui, surtout utilisé pour essayer de rester dans le jeu.
Quand une telle mentalité gagne ceux qui dirigent le pays, la France n’apparaît plus comme une grande nation aux traditions séculaires qu’il convient de développer pour le profit de tous ses enfants et dans le respect des autres, mais comme une « start-up » qu’il faut rendre efficace dans un monde ouvert à la libre concurrence et la libre circulation de tout et de tous. ■