Par Antoine de Lacoste.
Depuis septembre 2018, les Américains ont entrepris de négocier la paix en Afghanistan avec leur principal adversaire : les talibans.
Plusieurs rencontres se sont déroulées à Doha, la dernière le 5 août. D’« excellents progrès » ont été salués par les deux parties. La principale pierre d’achoppement porte sur la date du retrait américain. De plus, le retrait doit-il être total, ou une petite force d’élite est-elle appelée à rester ? Les discussions restent vives sur le sujet.
Les observateurs avaient été surpris lors de l’annonce de ces futures discussions à la fin de l’été dernier. Car les deux protagonistes s’étaient longuement et durement affrontés durant de longues années.
L’armée américaine avait envahi l’Afghanistan fin 2001, en réaction aux attentats du 11 septembre. Les talibans, qui étaient au pouvoir depuis 1996, n’avaient rien à voir avec les attentats en question, mais ils abritaient Oussama Ben Laden et c’était donc l’occasion de l’éliminer.
Après une première victoire facile, les Américains prirent une décision lourde de conséquence : le roi Mohamed Zaher Chah, revenu de son exil italien, se proposait de régner à nouveau mais Washington s’y opposa car son objectif était d’instaurer une démocratie à l’occidentale. Le roi était pourtant le seul à pouvoir réconcilier les différents partis afghans. Décidemment, cette obsession d’imposer la démocratie occidentale à des pays qui n’en veulent pas aura coûté cher.
Depuis, l’Afghanistan s’est enfoncé dans une interminable guerre civile opposant les talibans au régime d’Hamid Karzai, soutenu à bout de bras par les Américains, et totalement déconsidéré dans le pays.
Malgré une armada surarmée de plus de 100 000 hommes, jamais l’OTAN, en charge des opérations militaires, n’a réussi à vaincre les talibans. Plus de 2000 américains et 88 français mourront au combat ou accidentellement.
Alors pourquoi aujourd’hui lâcher Karzai et donner le pouvoir à l’implacable ennemi islamiste taliban ?
Pour deux raisons : tout d’abord Trump veut tenir une de ses promesses concernant le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan. Or, si elle se retire en laissant Karzai en place, l’armée afghane ne se battra que pour la forme et le régime sera balayé dans le sang en quelques semaines. Les Américains le savent bien et cela en dit long sur ces 18 années d’intervention stérile.
La deuxième raison est plus impérieuse encore : l’Etat islamique s’est implanté en Afghanistan et s’y développe dangereusement. Plusieurs centaines de combattants y ont trouvé refuge en quittant la Syrie et le nom de ce mouvement fait toujours rêver dans le monde sunnite.
A tout prendre, les Américains préfèrent organiser une passation avec le moins nocif des deux mouvements islamistes…
Tout de même, quel immense gâchis pour une nouvelle défaite américaine ; il y en a décidemment beaucoup depuis 1945.
Quant à nous, français, nous pensons à nos 88 compatriotes morts en combattant un ennemi à qui le pouvoir est gracieusement donné ensuite. Mais de cela aussi, nous avons hélas l’habitude. ■
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Excellent article. Cela dit, il faut rappeler que les talibans sont eux-mêmes indirectement une création américaine. Lorsque il apparut en 1992
que le chef islamiste Hekmatyar était incapable de venir à bout du régime communiste de Najibullah, c’est l’ambassadeur américain qui demanda aux services pakistanais: « get me down this loser! » A partir des écoles déobandi, on créa et arma une troupe sur fonds américains, que l’on appela tout naturellement « taliban » (élèves).
Quel gâchis en effet . Ces américains sont des piètres stratèges. Tous ces jeunes hommes mort pour qui !!!! Il est temps que l’Europe prennent en main son destin faut pas se fier à l’Oncle Sam.
Nul n’est l’éternel ennemi !
(Sun Tzu)
Nul n’est l’éternel ennemi. Cependant les choix successifs se sont faits ici en tenant compte de considérations où notre intérêt le plus élémentaire n’était en rien pris en compte. Je vous répondrai donc que nul n’est notre éternel ami non plus. Un retournement des alliances s’impose donc.
J’aime beaucoup les renversements d’alliance (et je tiens celui du 1er mai 1756 pour un chef-d’oeuvre (mais trop tardif) ; cela étant, Antiquus, avec qui vois-tu les nouvelles liaisons ?
On a oublié qu’au départ, Mollah Omar, chef des talibans, était contre l’invasion des villes par les bandes étrangères d’al-Qaïda qui viciaient la pure charia afghane. Il a condamné l’attaque du Onze-Septembre au juste motif que ça déclencherait la foudre.
Comme toujours, la réaction américaine a débordé l’objectif utile. Elle aurait dû se limiter à la capture et destruction des chefs d’al-Qaïda et surtout pas au « développement de la démocratie » dans un pays aussi arriéré.
Mais Obama s’est intégralement planté, puisque le slogan (colporté par Joe Biden sur place) fut : « tenir la province, la développer, la rendre aux autorités locales ».
Ca pouvait marcher au Lesotho mais pas dans le pays des Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras qui se détestent. Les chancelleries européennes avaient pourtant prévenu le Département d’Etat que l’Afghanistan n’existait qu’en temps de guerre, il se liquéfie en temps de paix. Donc que tout « développement » bâtit sur du sable !
Les négociations de Doha sont finalement la reprise de pourparlers qui auraient pu s’ouvrir en 2001 si l’administration Bush Junior avait été au niveau requis par l’enjeu !!! Mais avec le ramas de cons Cheney, Rumsfeld, Powell… le pire était sûr.
Pourquoi toujours raisonner en fonction de préférences peu motivées pour Bush, pour Obama ou pour Trump? Ce sont trois figures interchangeables Ce sont des Américains, c’est-à-dire un peuple qui dissimule toujours un égoïsme carnassier et un sentiment de supériorité (totalement incompréhensible pour un jugement extérieur réfléchi) derrière une visqueuse moralisation « démocratique ». Je suis naïf, peut-être, mais je n’arrive pas à me rappeler un événement historique où les « Américains » (déjà le nom qu’ils se donnent est une scandaleuse usurpation d’identité) n’ aient abandonné ceux qui se croyaient leurs alliés. Ne remontons pas aux traités indiens de honteuse mémoire, pensons au Vietnam, à l’Irak, à la Libye où la valetaille française s’est déshonorée, à l’Afghanistan aujourd’hui. Tout ce qu’ils touchent est souillé, humilié, détruit. Je trouve vos craintes très justifiées, mais je ne verserai jamais de larmes sur une « défaite américaine ». Ils gagnent toujours. Du « fric », au moins, selon les mots du célèbre humaniste Sarkozy.