PAR RÉMI HUGUES.
Suite de l’article Moscou, Hong Kong et le libéralisme de la rue par Gideon Rachman (The Financial Times, 12 août 2019)
La jeunesse de ce mouvement est perceptible. Comme me lʼa dit un militant libéral chevronné de Moscou : « Je viens à chaque rassemblement anti-Poutine depuis des années et normalement je connais tout le monde – mais ces gosses je ne les ai jamais rencontrés ».
À Hong Kong, un sondage suggère que le sentiment anti-Pékin est le plus fort chez les jeunes. Les deux mouvements ont lʼavantage dʼêtre sans leader et basés sur internet, ce qui fait quʼil est dur de les contrôler.
À Hong Kong, les manifestants ont choisi un slogan inspiré de la légende des arts martiaux Bruce Lee, « be water » (sois fluide, liquide, comme lʼeau) pour encourager les opposants à éviter des tactiques statiques et prévisibles. À Moscou, lʼarrestation de presque tout le cercle entourant Alexei Navalny, le leader de la contestation à la plus grande notoriété, nʼa pas suffi à arrêter le mouvement de protestation. Les griefs que ces activistes opposent à la démocratie frauduleuse (phoney democracy) sont aussi extrêmement similaires. Les manifestations à Moscou ont été déclenchées par la décision des autorités dʼempêcher tous les candidats indépendants de se présenter aux élections municipales qui auront lieu en septembre. Beaucoup à Hong Kong considèrent quʼun tournant décisif sʼest produit en 2016, quand des élus ont été exclus du conseil municipal pour ne pas avoir respecté le serment de loyauté à la Chine.
Également tant Hong Kong que Moscou démontrent comment les conflits sociaux peuvent muter dʼune seule doléance à un mouvement plus large. À Hong Kong, la raison initiale était lʼintroduction dʼun projet de loi permettant lʼextradition de prévenus suspectés de crime, vers la « Métropole ». Toutefois quand le projet a été suspendu, les manifestations ont continué, les protestataires se mobilisent désormais pour des élections pleinement démocratiques. En Russie, Mme Sobol défend que la controverse autour des municipales de Moscou souligne quelque chose de plus large : « la société a appris quʼen aucun cas une voie vers un changement positif n’arrivera en Russie, dans le système que dirige Poutine. »
Les dilemmes posés aux autorités, quʼils choisissent de répondre par la répression ou la conciliation, sont identiques. Les deux options peuvent provoquer un retour de flamme. En Russie, les libéraux ont été découragés en juin quand ils ont obtenu la libération dʼIvan Golunov, un journaliste anti-corruption arrêté pour un motif créé de toutes pièces. À Hong Kong, la reculade partielle sur la loi dʼextradition peut avoir en fait galvanisé les protestataires.
Mais la voie alternative de la répression renforce le sentiment dʼinjustice qui a conduit les gens à descendre dans la rue au début. À Moscou et à Hong Kong, lʼune des principales demandes des manifestants est devenue la libération de ceux qui ont été arrêtés pendant les manifestations précédentes. Dans les deux cas, les tactiques du gouvernement et des opposants sont influencées par la conscience que ce nʼest pas la première fois que les manifestants ont pris la rue. Hong Kong a connu le mouvement « Occupy » en 2014, alors que Moscou a été le témoin de manifestations monstres contre Poutine en 2012.
Ces événements récents ont finalement cessé par eux-mêmes. Ce qui a peut-être convaincu les gouvernements russes et chinois de chercher pour lʼinstant à gagner du temps. Sauf que, comme la mobilisation continue, les risques de répression violente augmentent fortement. Quoi quʼil arrive, le retour dʼun mouvement pro-démocratie à Moscou et Hong Kong suggère que le libéralisme que M. Poutine méprise est comme une fièvre récurrente. La fièvre peut réagir au « traitement » administré par la police, mais elle reviendra. Nʼest-ce pas plutôt lʼidée autoritaire qui est devenue obsolète ? »
Ainsi, sous couvert dʼanti-autoritarisme, la souveraineté nationale de la Chine et de la Russie sont attaquées par ceux que Jacques Bainville, dans son Journal du 18 juillet 1903, appelait les « prêcheurs démocrates et libéraux », de la bouche desquels sourd « le nouveau zèle des Droits de lʼHomme »[1], générateur de plus de violences que nul autre fanatisme, des guerres révolutionnaires du tournant du XIXème siècle au deuxième conflit mondial en passant par la révolution bolchévique. Et ils ne manqueront pas de recycler le mouvement des Gilets jaunes, tant décrié ici par le pays légal, pour lʼériger en matrice universelle du combat pour la Démocratie, dans la continuité de 1789. On a vu en effet ce week-end à Moscou des manifestants porter le fameuse veste jaune fluo. Pour sûr, ceux-là auront droit à un tout autre traitement symbolique de la part des médias de notre pays. (FIN) ■
[1 Jacques Bainville, Journal (1901-1918), Paris, Plon, 1948, p. 10.
La grande notoriété de Navalny ? À l’ouest, assurément ! Pas en Russie en dehors de Moscou.