PAR PÉRONCEL-HUGOZ.
Suite du texte de notre collaborateur publié en 1990 dans Villes du Sud (Payot, Genève).
AU ROYAUME DE BONGO.
GRACE NÈGRE ET RÉBELLION FÉMININE
L’amour et la raison d’Etat coïncidaient. Omar Bongo, qui bénéficie à fond de cette grâce nègre lui donnant comme à Léopold Senghor, Modibo Keita ou Denis Sassou-Nguesso, vingt-cinq ans de moins que son âge réel, décollait littéralement de félicité, étalon ailé survolant les jungles africaines.
Las ! Toutes les Gabonaises s’estimèrent lésées, manifestant ainsi que se forgeait enfin sinon un sentiment national de ce pays, du moins une jalousie nationale… Ces dames et ces demoiselles sont redoutables qui, en 1975, saccagèrent la villa d’une favorite trop m’as-tu- vue du président, une imprudente que seuls les gendarmes purent arracher au lynchage…
Cette fois seuls un complot éventé puis des manifs de collégiens et étudiants contre Bongo ont empêché les envieuses d’agir. On frôlait enfin un vrai drame politique : l’avantageux Omar vacillait sur ses talons compensés ; les larmes lui vinrent aux yeux, brillant pour les téléspectateurs hexagonaux, attendris devant cet ami de la France chahuté par de vilaines gens n’ayant comme idéal que leur « pouvoir d’achat ». Ceux qui n‘étaient pas séduits restèrent au moins baba quand le président gabonais, pour justifier le limogeage de son grand argentier, rétorqua : « C’est mon droit ! Je nomme et révoque [les ministres] quand je veux. Mon ministre des Finances était fatigué, il avait perdu ses cheveux* »… Tout ceci fait « la beauté du régime gabonais », selon une jolie expression due encore à Omar Bongo. Et j’écris cela sans ironie.
Toute entière tournée vers les cours de la Bourse mondiaux, le flux de l’okoumé, ou le reflux du pétrole, Libreville n’en fait jamais état : elle a pourtant plus d’Histoire derrière elle que la plupart des cités africaines. C’est en 1839 qu’un envoyé de Louis-Philippe signa avec le roitelet local, Denis Rapontchombo (Photo), la cession, près de l’emplacement actuel du port, d’un terrain où « la France pouvait élever toutes les bâtisses, fortifications ou maisons qu’elle jugerait bon ».
Cette station navale fût baptisée Fort-d’Aumale (Photo), en hommage au plus guerrier des fils du roi des Français (Photo). En 1845, des religieux catholiques ouvrirent la première école, bientôt suivie d’autres ; ainsi le Gabon est aujourd’hui, par-delà ses soixante ethnies et langues bantoues pour la plupart, quasi entièrement scolarisé et francophone.
En 1849, les Français qui déployaient un zèle intense contre l’esclavage pour expier leur passé en la matière capturèrent un négrier, L’Eliza. L’inspecteur général des Comptoirs français du golfe de Guinée décida que sous la houlette d’un capitaine et de religieuses de Castres, « les jeunes noires et négresses [libérées] composeront la population du nouveau village chrétien et français de Libreville ». Le toponyme « Fort-d’Aumale » n’avait plus de raison d’être depuis la chute des Bourbons-Orléans quelques mois plus tôt. Les anciens captifs étaient quarante-trois ; leurs noms sont conservés aux archives municipales de Libreville ; ils sont l’aristocratie, le Mayflower du Gabon (…) (À suivre, demain mercredi) ■
* Le Figaro, 4 mars 1990