Il y a 116 ans, le 25 août 1903, Frédéric Amouretti mourait à Cannes, âgé à peine de 40 ans. Cʼest lʼoccasion de revenir sur la relativement courte mais intense vie de celui qui peut être considéré comme lʼun des amis de jeunesse les plus proches de Charles Maurras, à qui ce dernier a dédié la préface du Chemin de paradis, écrite en mai 1894.
Cʼest dans ce sens quʼAndré Cottez a pu affirmer quʼil fut le précurseur du nationalisme intégral dans une monographie publiée par Plon en 1937, à lʼépoque où lʼAction Française était à son apogée.
Pour mieux connaître cette personnalité importante de l’histoire du royalisme français, nous reproduisons une partie de la brève biographie que lui a consacrée Jean Gavot dans le texte Cent ans de Félibrige à Cannes[1], laquelle a été rédigée pour le centenaire de la naissance de Frédéric Amouretti. Rémi Hugues ■
En 1881, il obtient la première partie du baccalauréat es-lettres. En 1882, il va passer quelques mois au collège Stanislas, à Paris, et est reçu définitivement bachelier le 15 septembre de cette même année.
Entre temps, il s’était intéressé au mouvement de la Renaissance Provinciale qui correspondait à des sentiments innés en lui, qui ne demandaient qu’à s’exprimer et se développer passionnément.
J’ai pu, grâce à l’extrême obligeance de M. Frédéric Mistral neveu, Rèire Capoulié du Félibrige, que je remercie ici très vivement de sa confraternelle compréhension, avoir connaissance, en substance, de la correspondance adressée par Frédéric Amouretti au Maître de Maillane, et qui permet de suivre, en quelque sorte, l’évolution félibréenne du bouillant Cannois.
Dans une lettre du 11 juin 1881, Frédéric Amouretti s’étonne, auprès de Mistral, que le provençal n’ait pas, dans les écoles primaires et secondaires, une place honorable comme l’anglais ou l’allemand. Il se dit, à son grand regret, incapable d’écrire en provençal. C’est la lecture de Mirèio qui lui a ouvert les yeux. Il n’a pas encore 18 ans. Il ignore les conditions pour être félibre. Dès qu’il les connaîtra, il se fera inscrire.
Mistral qui, on le sait, ne laissait jamais aucune lettre sans réponse, le renseigna, et ce fut là le début des relations et, plus tard, d’une amitié, entre le Maître et le disciple.
Le dossier de la correspondance que M. Frédéric Mistral neveu possède de son oncle ne contient pas évidemment les lettres du poète de Maillane, mais le sens de celles d’Amouretti permet de reconstituer ce que fut leur commerce épistolaire.
C’est ainsi que, le 27 juin 1881, Frédéric Amouretti remercie Frédéric Mistral de la brochure qu’il lui a envoyée (sans doute les statuts résumant la doctrine du Félibrige). Il se déclare résolu à suivre aveuglément le Maître dans tous ses efforts pour ranimer l’amour de la vieille langue maternelle. Il a écrit à Jean Monné (le Baile) pour être inscrit au Félibrige et il demandera à faire partie de l’Ecole félibréenne de Paris… car il est destiné, dit-il, à vivre encore à Paris. Il fait déjà de la propagande au collège Stanislas (celui de la capitale), auprès de quelques Méridionaux qui y sont.
Et déjà, le 5 octobre 1881, il peut écrire à Mistral en Provençal, en s’excusant des fautes de syntaxe, de grammaire et d’orthographe qu’il commet :
Tout ço que sabe l’ai après soulet. Li bèu Moussu de Cano ounte demore, volon pas parla la vièio lengo dou terraire. / Tout ce que je sais, je l’ai appris seul. Les beaux messieurs de Cannes, où je demeure, ne veulent pas parler la vieille langue du terroir.
[…] Il ne sait pas dire ses sentiments, mais il pleure de douleur quand on se moque de lui, et sa colère est encore plus grande quand ce sont des Méridionaux. Pour l’heure, il ne sera pas d’une grande force mais peut-être, qu’un jour, il défendra, par la plume et la parole, la cause félibréenne provençale. Il compte pour cela sur l’aide de sainte Madeleine et de sainte Estelle.
Cette lettre, résumée, est bien entendu entièrement écrite en Provençal. Elle est celle d’un néophyte plein de flamme, une flamme qui ne s’éteindra d’ailleurs pas. Il vient, en effet, d’être reçu félibre et il sera toujours intégralement dans son action régionaliste qui fut l’œuvre et le but de sa vie.
Maurice Barrès, dont il a été l’ami, n’a-t-il pas dit :
« L’homme ne se donne tout entier que lorsqu’il s’agit de son propre destin ». Et c’était bien là le destin de Frédéric Amouretti assigné par la Providence.
Victor Hugo l’a écrit :
– Tout homme est un dessein de Dieu marchant sur terre.
Le 24 mai 1884, il assiste, à Paris et à Sceaux, aux fêtes de la sainte Estelle, patronne du Félibrige, et il rencontrera Mistral dans la capitale, Mistral qu’il n’avait pas encore vu et à qui il vouera, plus intensément, une admiration sans bornes. Encore qu’il le traite parfois comme un enfant, Mistral n’en saluera pas moins en lui un grand défenseur du Félibrige.
Il se rendra encore, en 1885, à la sainte Estelle d’Hyères. Puis, pour faire plaisir à sa mère, il s’inscrira à la faculté des lettres d’Aix, dont il déteste le doyen, M. Bizos, parce que anti-félibre déclaré.
Malgré les difficultés de relations avec certains de ses professeurs, il obtient sa licence le 27 novembre 1886, et par acquit de conscience, demande un poste à l’alma mater. Ce poste, celui de suppléant professeur d’histoire au collège de Béziers, il l’obtiendra le 2 mars 1887.
Mais, entre temps, il prépare, à Cannes, les fêtes de la sainte Estelle qui devront avoir lieu dans cette ville en 1887, et il fonde avec quelques amis, en mars 1887, L’Escolo de Lérin qui sera consacrée par Mistral sous les pins de l’île de Saint-Honorat et dont le cabiscòu sera François Mouton. Cependant, lui-même sera sous-cabiscòu, avec Léon Jeancard, Pierre Millet, Maurice Raimbault et que Joseph Bérenger et Henri Giraud en seront respectivement les trésorier et secrétaire.
Notre excellent confrère et ami, Me Roland Moncho, l’actuel Cabiscol, peut aujourd’hui, à juste titre, tirer honneur d’avoir eu Amouretti au principe même de sa vieille Escolo de Lérin.
Mais n’oublions pas que Frédéric Amouretti, s’il est félibre militant, ô combien! il est aussi, hélas! professeur d’histoire à Béziers. Je dis hélas! car, vivant dans un monde à part où l’on ne se serait pas soucié des obligations matérielles, il n’était pas fait pour l’enseignement, nous dit son biographe. Jamais professeur ne fut plus chahuté; aussi, à la fin de l’année scolaire, donna-t-il sa démission. Il avait exercé cinq mois…!
Aux vacances de 1887, on le rencontre à Nîmes, une valise à la main, allant à pied à Maillane, rendre visite à Mistral.
Il revient à Cannes, s’adonne complètement à L’Escolo de Lérin, organisant de nombreuses manifestations et recevant même l’empereur Pedro du Brésil.
Il en rend compte à Mistral, dans sa lettre du 11 janvier 1888, se plaignant de l’indifférence du peuple et de celle des bourgeois de Cannes que seul l’argent peut remuer: – soul l’argènt pòu boulega.
Vers la fin de l’année, il fait à Cannes une connaissance exceptionnelle — nous dirions volontiers aujourd’hui, sensationnelle. En effet, il est présenté par Joseph Bérenger, bourgeois de Cannes, à Fustel de Coulanges (Photo), venu sur la Côte pour quelques mois s’y reposer. Il se lie à lui, ce qui n’était pas chose aisée, car le célèbre historien n’était pas, paraît-il, d’abord facile. Toute sa vie, Amouretti restera fidèle à sa mémoire.
C’est sur les instances de Fustel de Coulanges, disparu d’ailleurs peu après, qu’il se décide à préparer l’agrégation d’histoire à la faculté de Lyon. Il n’y satisfait pas toujours ses professeurs. Brillant, certes, Amouretti ne sait mater sa nature fantasque. En août 1890, il est admissible aux épreuves orales : il échoue aux épreuves finales.
N’empêche, l’université l’aura heureusement marqué. Il fut, au cours de sa carrière journalistique qu’il entreprit par la suite, un spécialiste écouté et apprécié des questions de politique étrangère; en particulier, la situation complexe dans les Balkans n’avait aucun secret pour lui.
C’est aux fêtes félibréennes de Sceaux, en juillet 1889, qu’il rencontra Charles Maurras avec qui il se liera d’une amitié fraternelle, que la mort d’Amouretti n’effacera pas, car le célèbre écrivain toujours se souviendra de lui dans ses écrits et ses éblouissantes chroniques. Il n’y a qu’à relire les pages qu’il lui a consacrées dans son Étang de Berre, pour mesurer la profondeur des sentiments qui unissaient ces deux Provençaux passionnés. (A suivre) ■
[1]https://www.cieldoc.com/libre/integral/libr0368.pdf
Dossier préparé par Rémi Hugues