Par Driss Ghali*.
Le duel Macron / Bolsonaro, c’est Greta Thunberg qui défie John Wayne
Comme ça, Macron se passionne pour l’Amazonie, ses plantes, ses animaux et les gens qui y vivent. C’est beau ! On ne pouvait attendre moins du président de la République Française, la fille ainée du Progressisme, ce rideau de fumée idéologique qui dissimule des intérêts privés qui n’ont rien de bienveillant ni d’universel. Ce qui reste du prestige de la France est mis au service du lobby agricole qui craint l’entrée en vigueur de l’accord UE-Mercosul et des partis progressistes qui n’admettent pas l’élection de Bolsonaro.
Vu de France, on veut nous faire croire que le Brésil a besoin de défricher pour produire viande, sucre et soja. Cette idée est fausse car il y a longtemps que l’agriculture brésilienne a fait sa révolution high-tech. Les campagnes brésiliennes sont devenues une terre d’ingénieurs et de techniciens spécialisés. Le ciel au-dessus des champs est labouré par des drones d’observation et d’épandage dont une grande partie est conçue et fabriquée localement. La tentative d’associer l’essor agricole brésilien à la dévastation de l’Amazonie ignore la réalité et sert à évincer les Brésiliens du marché mondial. Rien de plus.
Macron détourne l’attention
La défense (somme toute légitime) de l’agriculture française est masquée par une rhétorique alarmiste et bienpensante qui diabolise Bolsonaro et l’insère dans un Axe du Mal aux ambitions démoniaques. Elle est maniée à la perfection par les progressistes européens qui se fabriquent des ennemis imaginaires comme Bolsonaro, Trump, Salvini et Poutine. Incapables de s’en prendre aux ennemis réels du monde occidental (Frères Musulmans, mafias de l’immigration, cartels de la drogue), nos chers maîtres font preuve du même manque de lucidité et de courage lorsqu’il s’agit de l’Amazonie. Autrement dit, ils ne comprennent rien au réel et se vantent de ne rien savoir de ce qui se passe sur le terrain.
On déboise en Amazonie parce que l’Etat de Droit y est inopérant, parce que les fonctionnaires chargés de la protection de l’environnement y sont menacés, intimidés et pourchassés. La forêt recule parce qu’il y a un déficit d’autorité et non un trop-plein de populisme comme le laisse croire la vulgate progressiste. Le problème de fond est celui de la gouvernance et non de la politique environnementale. Les lois sont bonnes mais elles ne sont pas appliquées en tout point du territoire.
Soutien à l’armée brésilienne
Le mécanisme en place en Amazonie brésilienne est similaire à celui qui domine les favelas où la loi n’est pas appliquée car l’Etat est évincé par des forces privées dont l’impunité est garantie par la corruption et le laxisme pénal. Aujourd’hui comme hier, l’Amazonie est une immense banlieue où l’on s’aventure de temps en temps et sous bonne escorte. Le Brésil est un empire où le pouvoir central s’exerce de manière inégale, l’autorité va et vient selon ses besoins et les circonstances, elle aspire à la prééminence et non à l’exclusivité.
La tentation est grande d’intervenir soi-même pour arrêter l’hémorragie avant que le point de non-retour ne soit atteint et l’Amazonie transformée en savane. Ce serait une atteinte à la souveraineté brésilienne, un acte néocolonial et une aventure hasardeuse dans la lignée des catastrophes libyennes et irakiennes.
Les seuls capables de maintenir un semblant d’ordre et d’autorité en Amazonie sont les militaires brésiliens. Ils disposent, en effet, de la doctrine et de la discipline qui font cruellement défaut aux polices locales. Or, le rôle ultime d’une armée n’est pas de remplacer le politique ni d’agir à la place de l’administration civile. Ce qui est en jeu, en définitive et une fois la crise surmontée, est la reconstruction d’un appareil politico-administratif efficace dans l’Amazonie brésilienne : la tâche d’une génération et une gageure à plus d’un titre.
Et le CO2 africain, on peut en parler ?
Si le réel avait encore une importance, on reprocherait aux Brésiliens la destruction, en ce moment-même, des vestiges encore debout de la Mata Atlantica, la forêt native qui commande le cycle de l’eau dans les régions sud et sud-est du Brésil. C’est cette forêt que Levi Strauss avait tant craint et admiré lors de son séjour au Brésil dans les années 1930.
D’ailleurs pourquoi se limiter aux immensités amazoniennes, pourquoi fermer les yeux sur le triste état des forêts ancestrales de Casamance et de Guinée Bissau livrées à l’appétit des Chinois ? Doit-on déduire que l’oxygène amazonien est meilleur que son homologue africain ?
L’essentiel est ailleurs comme nous l’avons vu auparavant. Il faut maintenir Bolsonaro sous pression, coûte que coûte, afin de favoriser le lobby agricole français et faire plaisir aux belles âmes.
L’affrontement a quelque chose de pathétique car il oppose deux puissances blessées, la France et le Brésil. Sous nos yeux, deux soft power en peine échangent insultes et bons mots, sûrs que rien de grave ne peut leur arriver tant la partie adverse est faible et dévitalisée.
Greta Thunberg défie John Wayne
Macron parle fort et fronce les sourcils alors que la France est à genoux. Symboliquement parlant du moins. Il exige des Brésiliens qu’ils surveillent leur immense territoire alors que le sien est ouvert aux quatre vents, son administration étant incapable de réguler le flux de clandestins. Il critique les Brésiliens pour leur complaisance face aux pyromanes alors que les voitures brûlent et les zones de non-droit s’enflamment à la moindre étincelle. Macron se préoccupe du sort des Indiens autochtones alors que ses propres autochtones se font évincer de quartiers entiers comme la Porte de La Chapelle à Paris.
Ce n’est pas un hasard si Bolsonaro se permet de poser un lapin à Jean-Yves Le Drian. La voix de la France est enrouée. Sa civilisation des minorités et ses renoncements successifs ne causent aucune admiration au-delà du petit cercle des capitales progressistes. Les Brésiliens désolés voient Notre-Dame brûler, les Champs-Elysées saccagés, les principaux monuments parisiens assaillis par les mendiants et les banlieues mises en coupe réglée par une ultra-minorité de racailles.
Face à Macron, Bolsonaro ne brille pas non plus de mille feux. Il représente un pays qui tourne en rond depuis cent ans à force de répéter les mêmes erreurs. Le Brésil est une promesse non-tenue, dont la perception à l’extérieur oscille entre la convoitise (samba, plages, liberté sexuelle) et l’horreur (favela, drogue, violence extrême).
Le futur nous réservera d’autres épisodes comme celui-ci car Macron et Bolsonaro ont de grandes chances d’être réélus pour un second mandat. Ils représentent à la perfection le moment historique que traversent leurs pays respectifs. Le président-CEO accompagne le déclin français et le rend inéluctable. Le président-shérif, bardé de défauts mais conscient que son pays a touché le fond, tente de lui appliquer un traitement de choc. L’histoire nous dira qui de Greta Thunberg ou de John Wayne aura raison. ■
* Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier Mon père, le Maroc et moi aux Editions de l’Artilleur.