par Gérard Leclerc
« Le roi de France est empereur dans son royaume, car il ne se reconnaît pas de supérieur en matière temporelle. »
Voilà des années que François Fleutot m’avait parlé de son projet d’une grande étude sur les rois de France excommuniés. Je l’écoutais avec intérêt, sans vraiment percevoir la portée d’une telle recherche. Je pensais aux conflits d’ordre privé qui avaient pu exister en raison de problèmes matrimoniaux, où les souverains se trouvaient en contradiction avec les lois de l’Église, sans songer au véritable enjeu qu’était la relation du spirituel au temporel, avec la question de l’autonomie du pouvoir politique par rapport à une autorité à laquelle devaient être soumis des rois qui se voulaient très chrétiens. Du coup, l’affaire prenait une ampleur considérable et c’est toute l’histoire de la France monarchique qui se trouvait convoquée dans sa complexité. Je constate, maintenant que l’enquête a été réalisée et se traduit par un gros volume, que l’intuition initiale était géniale. Essayons d’en rendre compte succinctement, car il est impossible de reprendre l’analyse au long des siècles de ce conflit perpétuel qui a opposé les papes et les rois, démentant la formule habituelle de l’alliance du sabre et du goupillon.
Prenons l’exemple caractéristique de « Louis IX le prudhomme » dont la sainteté a été rapidement reconnue par l’Église, alors qu’il n’a jamais cessé de veiller jalousement à ses prérogatives royales : « Le roi de France est empereur dans son royaume, car il ne se reconnaît pas de supérieur en matière temporelle. » Cette formule d’un juriste médiéval nous dit tout du fond du problème. François Fleutot peut ainsi commenter : « La France capétienne n’a jamais reconnu une quelconque vassalité temporelle envers le Saint-Siège. Du début à la ,fin des règnes (987-1848), les rois ont refusé toute allégeance à une puissance extérieure ce qui n’est pas le cas de nombreux pays qui sont feudataires du Saint-Siège comme l’Angleterre, la Sicile, l’Aragon, Malte et bien sûr le Saint-Empire romain germanique dont l’empereur ne tient son pouvoir que de son élection par les oligarchies allemandes (civile et religieuse), de son élection comme roi de Rome (tradition carolingienne) et de sa reconnaissance par le Pape qui le couronne. » Certes, Saint Louis ne fait pas partie des 16 rois capétiens qui subirent les foudres de l’excommunication. Cela ne l’empêcha pas de s’opposer à plusieurs reprises à la papauté avec beaucoup de vigueur.
Bien plus, avec Saint Louis s’amorce une évolution décisive, qui amènera la monarchie à ne plus tenir son existence de l’autorité religieuse mais de la sienne propre. La cérémonie du sacre à Reims dont l’importance est capitale ne sera plus fondatrice ou créatrice du pouvoir. Si elle
demeure un passage obligé, ce n’est pas elle qui confère au roi sa légitimité. 11 est donc inconcevable en France de s’incliner devant la théorie de certains théologiens qui sont parfois de premier ordre comme Bellarmin de reconnaître au successeur de Pierre une autorité d’ordre supérieur qui vaudrait aussi dans l’ordre politique et qui lui donnerait la possibilité de défaire des rois. Depuis les origines de la monarchie française, c’est une certitude qui explique comment les conflits avec Rome seront constants et parfois d’une extrême violence. L’exemple le plus célèbre d’une telle violence demeure l’attentat d’Anagni.
Cependant, plus déterminante encore apparaît l’affaire de la « pragmatique sanction » sous Charles VII le victorieux, celui qui battit définitivement les Anglais au terme de la guerre de Cent ans. Cet édit royal publié à Bourges et enregistré par le Parlement de Paris le 13 juillet 1439 constitue une véritable loi d’État, qui dispute à Rome une large partie de ses prérogatives sur la France. En même temps, Charles VII défend le Pape contre sa mise en accusation par le concile de Bâle. La querelle est d’importance puisqu’il s’agit de déterminer si l’autorité d’un concile est supérieure à celle du Pape. On peut noter ici que la pente gallicane qui va être celle de l’Église de France conduira à des thèses assez proches de celle-là. L’opposition à la notion d’infaillibilité pontificale y est notoire. Il est vrai qu’elle ne sera officiellement proclamée qu’à la fin du XIXe siècle. Il n’empêche que le désaccord manifesté indique qu’il peut y avoir parfois des implications doctrinales lorsqu’on fait le partage de ce qui revient à la cité des hommes et à la cité de Dieu.
C’est sous le règne de Louis XIV que la tentation gallicane va se formuler de la façon la plus insistante, et notamment sous la plume du grand Bossuet. La fameuse déclaration des quatre articles du 19 mars 1682 contient une proposition qui dépasse celle de l’autonomie du politique : « Que, quoique le Pape ait la principale part dans les questions de foi et que ses décrets regardent toutes les Eglises et chaque Eglise en particulier, son jugement n’est pourtant pas irréformable à moins que le consentement de l’Église intervienne. »
Avec la distance du temps, on peut juger que la querelle a été arbitrée avec la fin des Etats pontificaux, la prise de Rome et surtout, la tenue du concile Vatican I, même si celui-ci fut prématurément conclu par la guerre de 1870. En perdant son pouvoir politique, le successeur de Pierre trouvait sa pleine légitimité dans l’ordre spirituel. Le paradoxe veut qu’en s’inclinant ainsi devant la requête gallicane, le concile la contredisait en même temps en définissant le dogme de l’infaillibilité dans ses justes proportions et sa portée uniquement doctrinale. ■
Royaliste n°1169
Les rois de France excommuniés de François-Marin Fleutôt éd. du Cerf, 288 pages – févr. 2019, 25,00€
Oups ! Grosse faute d’hortaugraffe dans le titre du billet.
@Kardaillac
Merci ! C’est corrigé.